"Il ne restera bientôt plus rien de l'argent économisé durant la crise Covid" : dans le rouge, les pharmaciens lancent un ultimatum
Egora : La semaine dernière, les pharmaciens ont manifesté pour réclamer l'ouverture de négociations conventionnelles pour une revalorisation chiffrée à hauteur d'un milliard d'euros. S'agit-il d'une crise conjoncturelle, liée à l'inflation, ou d'une crise structurelle ? Le modèle économique des officines est-il en péril ?
Pierre-Olivier Variot : Aujourd'hui, on a une marge brute en baisse de 10.4% et dans le même temps, on est confrontés à une énorme augmentation des charges, principalement liées aux salaires. Sans parler des charges d'électricité qui ont été multipliées par 2, 3, voire 4 ou 5 dans certaines structures. Moins de marge, plus de charges : la situation économique des pharmacies n'est pas bonne. A la fin de cette année 2023, il ne restera rien de l'argent économisé lors de la crise du Covid.
Des pharmacies sont-elles menacées de fermeture?
Le nombre de défaillances de pharmacies, c'est-à-dire de redressements, de liquidations et de fermetures, a augmenté de 50% entre le 1er janvier et fin octobre 2023. L'an dernier, il y a eu environ 200 fermetures et cette année, on sera à plus de 300… Il n'est pour l'instant pas question de "déserts pharmaceutiques" mais si on ne réagit pas vite, c'est ce qu'on peut redouter.
En 2022, nous avons signé une nouvelle convention avec l'Assurance maladie qui comportait un volet métier. Mais nous n'avions pas signé le volet économique car il était alors difficile de mesurer l'impact du Covid sur les officines. L'objectif était de rouvrir les négociations en septembre 2023, pour les clore en fin d'année. Or, on est bientôt début décembre et les négociations ne sont pas encore ouvertes. Nous avons manifesté car nous en avons marre des promesses non tenues.
A ces difficultés économiques, s'ajoute la gestion des pénuries de médicaments…
On a signé une charte de bonne conduite entre les industriels, les grossistes et les pharmaciens pour régler les problèmes de rupture sur certains médicaments pour lesquels il y a des stocks présents sur le territoire. Mais pour beaucoup d'autres produits, il n'y a pas de stock. Ce n'est pas normal que la France soit le parent pauvre de l'Europe. On n'a pas un Gouvernement qui prend ça en main.
En deux ans, 1500 places sont restées vacantes en deuxième année d'études pharmaceutiques. Il y a aussi des difficultés de recrutement dans les officines, avec 15 000 postes à pourvoir en 2022. Comment expliquez-vous cette perte d'attractivité ?
Il y a une perte d'attractivité des études, pas du métier. Il y a effectivement eu 1500 places vacantes… mais dans le même temps, les facultés de Belgique, d'Espagne, du Portugal et de Roumanie font le plein ! Au point qu'ils ouvrent de nouveaux établissements… Les jeunes préfèrent aller faire leurs études à l'étranger car les conditions de formation en France ne sont pas attractives.
La Pass/LAS n'est pas un bon système de recrutement. En fin de cursus, la réforme du troisième cycle, engagée il y a 7 ans, n'a toujours pas abouti. En mars 2022, Olivier Véran avait promis sa mise en place. C'est une réforme structurante pour les étudiants, qui seront mieux rémunérés en 6e année et qui pourront faire des stages dans des territoires plus excentrés. Ça les incitera à aller exercer là où l'on a besoin de plus de main d'œuvre et ne pas rester autour des facs. Cette réforme n'étant toujours pas signée, on voit des étudiants qui préfèrent aller faire un 3e cycle en industrie plutôt qu'en officine… C'est n'importe quoi.
Mais comment expliquez-vous les difficultés de recrutement?
Depuis le Covid, tous les corps de métiers en ont. Il n'y a pas de difficultés propres à la pharmacie. Si ce n'est que les études ne facilitent pas les choses.
Comme pour les médecins, ça s'explique aussi par la féminisation des métiers, par une aspiration à mieux équilibrer vie personnelle et vie professionnelle : les jeunes ne veulent plus travailler 70 heures par semaine. Ces évolutions sont à l'origine d'une certaine carence du temps de travail. On sait que pour remplacer un médecin qui part en retraite aujourd'hui, il faut 2.8 médecins qui s'installent.
On a donc besoin de former des professionnels, et peut être aussi de revoir comment on prend en charge les patients. Si on ne fait rien, en tout état cause, il n'y aura plus personne pour le faire.
Pourtant la profession de pharmacien évolue, avec de nouvelles missions de santé publique qui se sont ajoutées ces dernières années, comme la vaccination et bientôt la délivrance sans ordonnance d'antibiotiques pour l'angine et la cystite… L'Ordre des pharmaciens appelle à aller plus loin dans les transferts de compétences. Quelle est votre position?
Reprenons la sémantique : pour les antibiotiques, on parle bien de prescription (si besoin). De même, il ne s'agit pas d'un transfert de compétence, mais d'un partage de compétence qui vise à libérer du temps au professionnel qui est surchargé. Aujourd'hui, le temps médical est rare. On ne peut pas demander aux médecins de se couper en deux. Mais il y a des patients qui ont des rendez-vous...
chez le généraliste fixé à un mois, un mois et demi… Il faut que les patients les plus stables soient pris en charge par d'autres effecteurs tels que les infirmières, les sages-femmes et les pharmaciens, chacun dans leur domaine de compétences, pour libérer du temps médical afin que les médecins puissent voir davantage de patients. C'est le sens de la position du Clio [Comité de liaison inter-ordres, NDLR], mais ça ne s'est pas encore traduit dans les faits.
Les pharmaciens sont-ils tous en capacité d'assumer ces nouvelles responsabilités, a fortiori dans un contexte de pénurie de personnels?
Si on reprend l'exemple du Covid, j'ai vu des petites pharmacies à Paris avec des pharmaciens, tout seuls, sans salarié, qui ont réussi à s'organiser pour faire des tests, des vaccins et de la délivrance d'ordonnance. C'est vrai que c'est moins simple pour les petites structures mais il y a des missions qui prennent peu de temps, telle la vaccination. Aujourd'hui, 19 800 pharmacies sur les 20 000 et quelques vaccinent. Il est vrai qu'il y a d'autres missions, peut-être plus compliquées à mettre en place, qui ne sont pas assurées par toutes les pharmacies – typiquement, le bilan partagé de médication. Le but du syndicat, c'est d'offrir une multitude de possibilités et chacun prend ce qu'il a envie de prendre.
Faut-il aller plus loin?
Bien sûr, il y a d'autres bilans, d'autres missions qui peuvent être mis en place pour poursuivre dans le bon usage du médicament ou améliorer le repérage de pathologies. Par exemple, on va commencer à travailler sur le dépistage du risque cardiovasculaire, sur le modèle de ce qui a été mis en place par l'URPS Hauts-de-France.
Une délégation a été reçue au ministère mardi. Qu'en est-il sorti? Allez-vous donner une suite à votre mouvement?
La délégation qui a été reçue a traité essentiellement de la réforme du 3e cycle. Les négociations conventionnelles devraient s'ouvrir très rapidement, la lettre de cadrage est en cours de finalisation. Si nous n'obtenons pas très vite une date de reprise des négociations et des avancées structurantes pour l'officine, on repartira en grève avec un mouvement qui pourrait durcir, peut-être avec des fermetures d'officines entre Noël et le jour de l'an, voire pendant les Jeux olympiques. Il faut que les gens voient quelles difficultés ils rencontreront quand il n'y aura plus de pharmacies ouvertes.
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