"Avec les maisons de santé, on aspire les médecins qui exerçaient dans les petits patelins"

15/09/2021 Par L. C.
Réélu à la tête de l’Union des professionnels de santé (UNPS), qui regroupe 23 organisations syndicales de soignants libéraux, le Dr William Joubert, médecin généraliste au Mans, met un point d’honneur à défendre l’exercice libéral, qui a connu d’importants bouleversements avec l’épidémie de Covid-19. S’il reconnaît le besoin de se coordonner entre les professionnels de ville, le praticien alerte sur le développement de certaines structures, à l’instar des maisons de santé, qui pourraient déséquilibrer l’offre de soins sur le territoire. Entretien. 
 

Egora.fr : Vous avez pris la tête de l’UNPS en septembre 2020 pour un premier mandat, à l’aube d’un deuxième confinement. Avez-vous observé des bouleversements dans l’exercice libéral des professionnels de santé? 

Dr William Joubert : Oui, l’épidémie a été un gros boost pour les formes d’exercice et d’organisation. Je pense avant tout à la téléconsultation qui a explosé chez les médecins. Mais, à la demande de l’UNPS, cela a aussi été l’occasion pour d’autres professions de pratiquer la téléexpertise (infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, etc.). Nous avons tous néanmoins en ligne de mire une inquiétude avec ce développement, c’est que l’exercice échappe à la proximité. C’est pour cela que nous avons fait de fortes demandes pour que le local soit privilégié dans toutes les formes de réponses. Je suis moi-même régulateur libéral au Samu Centre 15 de la Sarthe. Or je reçois des demandes de personnes qui ont consulté en téléconsultation sur une plateforme qui n’est pas basée dans la Sarthe et c’est à nous de gérer le problème, de rattraper des diagnostics. Nous ne voulons pas faire du service après-vente.  

Autre avancée dans l’organisation : dans notre département, comme dans beaucoup d’autres, nous avons mis en place une régulation libérale en journée, qui correspond au service d’accès aux soins (SAS). Aujourd’hui, la Sarthe est en quelque sorte le 23e site pilote. Nous avons d’ailleurs été reconnu par l’ARS comme site pilote “à part”. On a mis ça en place dès le début du Covid. En une ou deux semaines, c’était sur pied, à un moment où il y avait un tel besoin au niveau des conseils et des messages à distribuer. Lors de la première phase Covid, il y avait beaucoup d'incertitudes, mais nous avons su trouver des effecteurs volontaires. Avec le recul qu’on a aujourd’hui, cela nous permet de mettre en évidence le piège dans lequel il ne faut pas tomber, c’est-à-dire que ce soit un service ouvert à tout vent. Il faut qu’il y ait une bonne régulation. Aujourd’hui, on s’aperçoit que 50% des appels passés dans la journée sont traités uniquement par du conseil.  

 

A ce sujet, l’accord sur l’avenant 9 à la convention médicale prévoit une rémunération via le forfait structure plutôt que des actes majorés. En êtes-vous satisfait? 

A mon sens, on n’apporte pas les bonnes réponses. Il faut obligatoirement... inciter l’effection. Ce système de forfaits est incompréhensible [voir notre article du 30 juillet 2021 sur l’accord sur l’avenant 9 à la convention]. Les rémunérations sont insuffisantes pour inciter les médecins à s’engager. Trouver des régulateurs en journée avec les tarifs qu’on nous propose, là aussi, c’est mission impossible. 

 

Globalement, vous estimez que le “tout forfaits” peut nuire à l’offre de soins. Pourquoi ? 

Il y a quinze ans, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) nous donnait “premier système de santé au monde”. On avait un hôpital centré sur son cœur de métier, l’excellence et l’hospitalisation. Et puis, on a voulu qu’il fasse tout. En ville, on a eu une contrainte des honoraires et un remplacement par des forfaits, avec le regroupement comme solution imposée, en tout cas, unique. Cela a déstructuré le tissu. Il faut limiter à mon avis ces forfaits. Il y a une appétence d’accord, je le conçois, mais il ne faut pas que ça déstructure l’exercice lui-même. Il y a des règles : si vous touchez de l’argent public, il faut participer aux missions de service public. Si les revenus au forfait atteignent des niveaux qui font que vous avez moins besoin de faire de l’acte, ça a un effet négatif sur la réponse. 

 

Quelles pourraient être les solutions pour répondre aux demandes de soins dans des territoires sous-denses ? 

A court terme, il faut prendre des mesures pour que le pool de réserve qu’on a immédiatement disponible (les remplaçants et les retraités actifs) soit utilisable. Il faudrait notamment des mesures incitatives pour que les remplaçants s’installent. Avec les centres de vaccination, nous n’avons pas eu de remplaçants cet été, ils étaient trop bien rémunérés pour ces missions. Pourquoi faire plus dur, plus complet, en cabinet, pour une rémunération équivalente ? Toutes les mesures qui doivent être prises devraient inciter à l’installation. Pour les retraités actifs, la grande majorité voudrait pouvoir continuer. La situation n’est pas suffisamment incitative. Vous avez un plafond que vous ne devez pas dépasser, au risque de payer des charges sociales à un tel niveau que cela ne sert plus à rien de travailler. On est en train de refaire le zonage, mais il ne faudrait pas que ça devienne à nouveau du saupoudrage.  

 

Vous alertez également sur le développement des maisons de santé. Pour quelle raison? 

Le fait qu’il y ait une maison de santé qui aspire les professionnels qui exerçaient dans les petits patelins autour pour créer une grosse structure, cela peut nuire. A 25km aux alentours, c’est la perte de petits cabinets d’infirmières. On voit que... même les pharmacies ferment, les médecins je n’en parle pas ! Je pense que ça a été quelque part une conséquence négative sur la proximité et le maillage du territoire. Ce qu’il faudrait aussi, c’est que tous ces professionnels qui sont dans ces structures participent à toutes les missions de service public. Il faut s’assurer qu’ils fassent de la PDSA, qu’ils répondent en journée à leurs patients, etc. On revient sur la problématique de l’incitation à l’acte.  

 

Etes-vous inquiet pour l’avenir de l’exercice libéral ? 

Si on privilégie uniquement une des formes d’exercices par rapport à toutes les autres (le libéral y compris), on va tourner le dos à ce qui fait la réponse - et l’excellence, française. Je suis quand même assez optimiste. Je vois autour de moi un frémissement et un désir de liberté. Certains préféreront l’exercice en salariat, d’autres, la liberté avec une installation. Dans les structures, on voit beaucoup de salariés administratifs arriver. C’est une réponse, bien sûr, mais encore une fois, s’il n’y a que celle-ci qui est proposée, cela va être fait au détriment des petits territoires et des patients. 

 

Lors des négociations interprofessionnelles sur l'avenant 2 de l'ACI CPTS, en décembre dernier, vous aviez proposé un autre modèle de coordination. Quel est-il ? 

Au sein de l’UNPS, nous avons développé le concept des Escap (équipe de soins coordonnée autour du patient). Il permet à tout soignant, quelles que soient sa profession et sa forme d’exercice, de pouvoir se coordonner autour d’un patient lorsque ce dernier nécessite une prise en charge coordonnée. Pour cela, nous avons mis en place une grille d’inclusion avec différents items à laquelle un professionnel peut se référer pour savoir s’il y a un besoin de coordination pendant une période transitoire ou prolongée. C’est une forme de coordination simple, qui ne nécessite pas de se constituer en société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) ou de rédiger un projet de santé. Elle peut aussi servir aux structures existantes. Celles qui veulent prendre en charge un de leurs patients dont l’infirmière ou le pharmacien n’est pas dans la structure par exemple. Ça répond à tout. 

Où en est-on dans la reconnaissance de ces équipes de soins ouvertes ? 

Aujourd’hui notre priorité, c’est que les Escap soient considérées comme une forme d’exercice coordonné par la Sécurité sociale. Nous sommes allés voir le cabinet du Premier ministre, la DNS et l 'Agence du Numérique en Santé (ANS). Nous avons présenté notre schéma et notre position. La Caisse d’Assurance maladie a agréé et on a déjà eu deux groupes de travail qui ont été effectués. Il doit y en avoir d’autres cette semaine. On a très bon espoir de voir arriver dans un proche avenir cette forme de coordination ouverte, à côté des autres formes. Ça permettra la réponse autour du patient dans un cadre libéral. Mais ce sera aussi un moyen pour toutes les professions de s’articuler entre elles, sans être montées les unes contre les autres. On est tous complémentaires. Si les périmètres de certaines professions doivent être définis, nous devons le faire entre nous, ça ne doit pas être imposé par des non professionnels.  

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