"Je crois que ce sont des raisons, pour beaucoup, électorales qui ont poussé les pharmaciens à avoir accès à la vaccination contre le Covid-19, n’hésite pas à déclarer le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. Après la vaccination contre la grippe, ils ont voulu montrer que cela faisait partie de leurs missions et qu’ils étaient les meilleurs. On voit cela avec beaucoup d’étonnement et d’effarement." Des mots durs à l’encontre des pharmaciens, dont certains estiment que les médecins ont également voulu vacciner en ville en vue des dernières élections aux unions régionales des professionnels de santé libéraux (URPS). La guerre est-elle déclarée entre les deux professions ? Crispation des syndicats médicaux Reprenons les dates clés. Dès l’été 2020, les pharmaciens se positionnent pour participer à la campagne vaccinale contre le Covid. En juillet donc, les groupements d’officine font valoir l’expérience des pharmaciens et leur maillage territorial pour aller au plus près des patients… en complément des médecins et des infirmières, comme pour la vaccination antigrippale. Mais les conditions de conservation des vaccins à ARN messager compliquent largement la donne, contrairement au vaccin AstraZeneca qui, ne requérant pas de très basse température de stockage, permet de vacciner en ville. Le 29 janvier 2021, alors que le vaccin vient tout juste d’obtenir l’autorisation de l’Agence européenne des médicaments, la Haute Autorité de santé (HAS) est saisie par le Gouvernement pour que les pharmaciens puissent « mettre à disposition, prescrire et administrer ce vaccin ». L’instance émet un avis positif quelques jours plus tard, à condition qu’ils aient suivi une formation et déjà vacciné contre la grippe. Une annonce qui hérisse les syndicats médicaux. MG France réagit le jour même : « La mission prioritaire des pharmaciens est l’approvisionnement en vaccins et leur délivrance aux professionnels de santé, puis à la population. Le rôle des médecins généralistes est de convaincre les patients, puis de déterminer les indications et les contre-indications des vaccins. Celui des infirmiers est d’effectuer la vaccination dès lors que les indications et contre-indications ont été posées. Respecter ces rôles n’interdit pas au pharmacien de vacciner dès qu’il aura approvisionné en vaccins les cabinets du médecin et de l’infirmier. » Le lendemain, la CSMF va plus loin : « Aujourd’hui, ouvrir la vaccination aux pharmaciens ne répond à aucune nécessité et à aucun besoin », écrit le syndicat, qui qualifie la vaccination en officine d’« inutile et illogique ». Mais si la crispation semble s’atténuer par les premières livraisons d’AstraZeneca réservées aux seuls médecins vaccinateurs (29 000 la première semaine et 20 000 la deuxième), la trêve est de courte durée.
Un DGS-Urgent du dimanche 7 mars met le feu aux poudres : le Gouvernement décide d’arrêter temporairement les commandes des médecins la semaine suivante pour donner la priorité aux 18 402 officines qui ont commandé des doses pour se lancer dans la vaccination. Tous les syndicats médicaux montent au créneau. MG France et le SML réclament même la démission de Jérôme Salomon, directeur général de la Santé. La colère retombe après la suspension de la vaccination avec AstraZeneca le 16 mars, qui donne un coup d’arrêt à la vaccination dans les pharmacies.
"Cette polémique est née car nous sommes en période de pénurie de vaccins. Il a été décidé que les médecins ne pouvaient pas commander de doses car les pharmaciens voulaient vacciner. C’est quand même une erreur grotesque. Cela a obligé les médecins à annuler leurs rendez-vous", explique après-coup le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. « La place du pharmacien dans la vaccination n’est logique qu’à partir du moment où les vaccins sont nombreux », estime Jacques Battistoni. « Le premier rôle du pharmacien, c’est d’être responsable de la dispensation du médicament et, évidemment, des vaccins auprès des Ehpad et des médecins, sans vacciner nous-mêmes, déclare pour sa part Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Ensuite, il faut suffisamment de vaccinateurs pour vacciner l’ensemble de la population. À partir du moment où il y a un rationnement des doses, il faut partager, et c’est au Gouvernement de le faire. » De son côté, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), regrette à titre personnel « toute la polémique entretenue par les leaders syndicaux des médecins ». Et de préciser : « Tous les médecins ne peuvent pas vacciner car il n’est pas facile de s’organiser pour vacciner. De plus, l’approvisionnement est erratique et illisible. Après, on sait très bien que les pharmaciens, les médecins et les infirmières vont pouvoir vacciner car on a besoin de tous les bras. » Une gestion "hypercomplexe" En fait, plusieurs éléments factuels expliquent cette situation. Lors du lancement de la campagne vaccinale en ville, le Gouvernement tablait sur environ 70 000 médecins généralistes et spécialistes pour vacciner les 50-64 ans inclus avec comorbidités. Or, mi-février, ils étaient à peine la moitié à commander des flacons d’AstraZeneca dans leurs officines référentes. En outre, la vaccination, qui devait commencer le 25 février, a parfois été retardée pour diverses raisons : tous les médecins ne sont pas allés chercher leurs doses à l’officine dès la livraison ; certains ont calé des rendez-vous début mars car ils étaient en vacances... Des pharmaciens déplorent ainsi de se retrouver avec plusieurs flacons dans leur frigo sans pouvoir vacciner. Certes, l’organisation de la vaccination dans les cabinets médicaux n’est pas simple. « La vaccination est compliquée pour un médecin qui exerce tout seul », observe le Dr Éric Henry, médecin généraliste à Auray (Morbihan) et président de l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS). « La gestion logistique est hypercomplexe, quel que soit le professionnel de santé, souligne pour sa part Luc Duquesnel. Nous ne pouvons vacciner que quinze jours après avoir commandé les doses, puisqu’elles arrivent en officine la semaine suivant la commande. Il faut, de plus, repérer les patients, les appeler, leur expliquer et les convaincre. C’est un travail énorme… » Un constat partagé par Jacques Battistoni, qui rappelle que chaque médecin compte environ 50 patients éligibles à la vaccination dans sa patientèle.
À ces difficultés s’ajoutent les changements de cible vaccinale successifs. Les pharmaciens qui ne devaient vacciner que les 50-64 ans sans comorbidités peuvent finalement vacciner l’ensemble des patients. « C’est incohérent. On demande aux médecins une consultation pour vérifier les contre-indications. Qu’en est-il des pharmaciens ? », demande Éric Henry. Mais après la reprise de la vaccination avec AstraZeneca, en mars dernier, médecins et pharmaciens ne peuvent plus vacciner les 50-54 ans. Pour autant, de leur côté, les pharmaciens font face à une forte demande de la part des patients : selon un sondage de l’USPO, réalisé les 22 et 23 mars, près de 80 % des 2 579 répondants ont une liste d’attente comportant entre 20 et 80 patients inscrits. Complémentaires... sur le terrain Si la stratégie vaccinale perd en lisibilité, sur le terrain, les deux professions travaillent pourtant de concert. Par exemple, la pharmacie du Parc, dans le XIIIe arrondissement de Paris, propose la vaccination anti-Covid. La titulaire cible en priorité les personnes qui n’ont plus de médecin traitant, sachant que deux praticiens sont partis à la retraite. En revanche, elle ne vise pas la patientèle des trois médecins généralistes qui vaccinent dans le quartier. À Belle-Île-en-Mer (Morbihan), les pharmaciens de l’unique officine de l’île ne vaccinent pas car « ils ont fait le choix de s’occuper des livraisons des doses et de laisser le champ libre aux médecins pour la vaccination, relate le Dr Stéphane Pinard, médecin généraliste. Nous avons d’ailleurs monté un centre de vaccination éphémère avec les huit médecins, les élus, l’hôpital de proximité, l’agence régionale de santé et les pompiers. Et nous sommes en train de finaliser une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) dont fait partie la pharmacie. Mais chacun essaie de travailler là où il est bon et peut donner le meilleur de lui-même. De fait, c’est plutôt fluide entre les différents professionnels de santé. »
Le Dr Éric Henry exerce, pour sa part, au sein d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP). « Avec les médecins et les infirmières, nous vaccinons une journée par semaine. La pharmacie qui fait partie de la maison de santé nous livre… mais elle vaccine également », explique-t-il. C’est d’ailleurs ce qu’explique Agnès Gasnier, titulaire de l’officine, membre de la MSP : « J’ai été sollicitée par ma patientèle, mais il ne s’agit pas des mêmes patients que ceux de la MSP. Et en cas de doute sur l’éligibilité de la personne à la vaccination, je lui demande systématiquement d’aller consulter son médecin traitant. C’est du bon sens, précise-t-elle. Je fournis d’ailleurs les onze médecins d’Auray qui ont commandé des flacons. Et depuis le début de l’épidémie, les médecins et les pharmaciens travaillent ensemble. Ensuite, j’ai beaucoup de patients sur ma liste d’attente qui ont été vaccinés contre la grippe à la pharmacie. C’est leur choix de se faire vacciner contre le Covid à l’officine, et il faut leur laisser ce choix. » La pharmacienne déplore cependant l’arrêt des commandes pour les médecins la semaine du 8 mars : « C’est une erreur du Gouvernement. Pour monter les médecins contre les pharmaciens, on ne pouvait pas faire mieux ! » Dons de flacons Les MSP représentent de fait des structures permettant une interprofessionnalité pour la vaccination contre le Covid. C’est pour cette raison que la fédération AVECSanté a négocié avec l’Assurance maladie et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) un forfait d’équipe pour que les MSP puissent vacciner en coordination avec tous les professionnels de santé*. « Ce forfait vaccination est une très grande avancée. On reconnaît enfin le travail d’équipe », déclare Brigitte Bouzige, première vice-présidente d’AVECSanté, pharmacienne titulaire aux Salles-du-Gardon (Gard) et fondatrice de la MSP de La Grand-Combe (Gard). Le principe ? Un forfait de 195 euros par tranche de 10 injections, qu’il s’agisse des vaccins Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca ou Janssen, soit 19,50 euros par dose et par patient. Les deuxièmes injections, à l’exception évidemment du vaccin unidose Janssen, sont également rémunérées au même montant. Les MSP sont ensuite libres de répartir cette somme entre les différents professionnels de santé. En revanche, le forfait de 5,40 euros pour le renseignement du système d’information Sivac n’est pas intégré au forfait vaccination et est versé à chaque professionnel par saisie dans le logiciel. « Cela permet de rémunérer les professionnels de la MSP mais aussi de financer, par exemple, la secrétaire qui planifie les rendez-vous ou certains frais comme les équipements de protection ou la location de salle pour la vaccination », précise Brigitte Bouzige. Ce forfait devrait participer à « booster » la vaccination dans les MSP et les centres de santé, y compris pour les pharmaciens. « Je vaccine à la MSP lors des “journées ouvertes”, explique Brigitte Bouzige. Mais des personnes viennent également dans mon officine. Désormais, elles peuvent se faire vacciner à la MSP, à l’officine ou dans un cabinet médical selon leur choix. » Et d’ajouter : « Nous sommes tous complémentaires. Il faut vacciner un maximum de personnes en un minimum de temps. »
Un discours que tient également Saliha Grévin, pharmacienne et présidente de la CPTS Grand Douai (Nord), qui regroupe environ 300 professionnels de santé, dont 60 médecins et une cinquantaine de pharmaciens. « Sur le terrain, nous travaillons tous ensemble et de façon solidaire. Lorsque les médecins n’ont pas pu recevoir de doses, des pharmaciens leur ont donné leurs flacons pour qu’ils puissent honorer leurs rendez-vous », explique-t-elle La CPTS a ouvert ainsi deux centres de vaccination, mais pour faire face à la demande et à la situation sanitaire dans les Hauts-de-France, elle a également monté un nouveau centre de vaccination à Gayant Expo, à Douai, le 27 mars dernier. « C’est un centre interprofessionnel et exclusivement libéral. Nous avons dix lignes de vaccination avec des médecins, des infirmières et des pharmaciens. Les pompiers vont assurer la gestion des flux. L’objectif est de vacciner plus de 1 000 personnes par jour », détaille Saliha Grévin. Sur le terrain, médecins et pharmaciens œuvrent ensemble à l’accélération de la vaccination contre le Covid. Avec un problème commun : disposer de suffisamment de doses d’AstraZeneca. Après quinze jours avec seulement 150 000 doses de vaccins par semaine, la France devait recevoir, fin mars, près de 1,5 million de doses à répartir entre médecins, pharmaciens et infirmières libéraux, désormais autorisés à prescrire les vaccins. Le 29 mars, un DGS-Urgent a indiqué la clé de répartition : un flacon par médecin et par infirmière, et deux flacons par pharmacie. Quant aux chirurgiens-dentistes, autorisés également à prescrire et à administrer le vaccin anti-Covid, ils ne peuvent pas, pour l’instant, commander de flacons. Pour l’heure, il faut encore gérer le rationnement des doses.
* Ce forfait de vaccination en équipe s’applique à la fois aux maisons de santé pluriprofessionnelles et aux centres de santé « lorsque les consultations et les injections au titre de la vaccination contre [le]Covid-19 sont effectuées par une équipe de professionnels de santé ».
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