L'État paye-t-il vraiment les études des médecins ?

10/01/2022 Par Marion Jort
PASS/LAS
[DÉCRYPTAGE]​ C’est une rengaine qu’on entend souvent lorsqu’il est question de problèmes d’accès aux soins et de déserts médicaux : l'État paye les études de médecine et, en compensation, les carabins doivent rembourser ces années d’apprentissage en exerçant dans les zones sous-dotées. D’où vient cette idée reçue ? Correspond-elle à la réalité ? Egora fait le point.  

“Les études de médecine sont payées par l'État”, “on les finance, il semble normal qu’ils aillent travailler dans les déserts médicaux”... Régulièrement, l’idée reçue selon laquelle les études des carabins sont financées par l'État revient dans les débats d’opinion. À l’aube de l’élection présidentielle, de nombreux élus ou candidats brandissent d’ailleurs cet argument pour justifier la mise en place de mesures coercitives afin de lutter contre la désertification médicale notamment.  

Qu’en est-il réellement ? Pour répondre à cette question, il convient d’abord de rappeler que les étudiants en médecine dépendent de deux ministères de tutelle : celui de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et celui des Solidarités et de la Santé. Comme tout étudiant de l’enseignement supérieur, il a des frais obligatoires et peut bénéficier d’aides. En tant qu’étudiants hospitaliers, les externes et les internes touchent par ailleurs un salaire. Le point.  

À chaque rentrée, un étudiant en médecine doit s'acquitter, comme tout étudiant de l’Enseignement supérieur, de frais d'inscription. Ils s’élèvent pour un étudiant de premier cycle à 170€, pour un externe à 243€ et pour un interne à 500€. À cela s’ajoute l’obligation de payer la contribution à la vie étudiante sur le campus (CVEC) d’un montant de 92€. En cas de besoin, des aides d’État leurs sont aussi accessibles : bourses sur critères sociaux, bourses Erasmus en cas de mobilité, aides spécifiques d’urgence“Globalement, on a le droit aux mêmes aides que tous les étudiants”, résume Marie Bousigues, vice-présidente des affaires sociales à l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).  

 

Une rémunération liée au statut d’étudiant hospitalier 

À partir de la quatrième année de médecine - soit le début de l’externat - les carabins touchent une rémunération au titre de leur activité hospitalière. Pour 100 heures de travail dans le mois, leur salaire s’élève à 260€ brut mensuel en quatrième année, 320€ brut mensuel en cinquième année et 380€ brut mensuel en sixième année. Cela revient à un taux horaire de 2,60€ net en quatrième année, 3,20€ net en cinquième année et 3,90€ net en sixième année.  

Au cours de l’internat, la rémunération évolue. Le salaire est fixé à 1 539€ brut mensuel en première année d’internat, 1 704€ brut mensuel en deuxième année, 2 139€ brut mensuel en troisième année et 2 260€ pour l’année de Docteur junior. Cette rémunération couvre l’activité de service de jour des internes, dans la limite légale de 48h maximum par semaine. Il faut y ajouter une prime de sujétion, sorte de compensation financière des contraintes subies et risques encourus dans l’exercice des fonctions. Celle-ci est de...

435€ bruts mensuels en première année. Elle est d’ailleurs couplée, pour les internes effectuant un stage ambulatoire en soins primaires en autonomie et supervisé (Saspas), à une prime de responsabilité de 130€ brut mensuel.  

 

 

 

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Des indemnités pas automatiquement appliquées  

Enfin, pour les externes comme les internes, les stages en ambulatoire donnent aussi lieu à des indemnités, de transport et d’hébergement. Elles s’élèvent à 130€ pour les internes si le stage est situé à plus de 15 km du CHU de rattachement et du domicile, 150€ pour les externes ; et 300€ d’aide à l'hébergement à condition que le stage ait lieu en zone sous-dotée. Ces indemnités doivent être demandées par l’interne auprès de la direction des affaires médicales du CHU et ne sont pas automatiquement appliquées. 

Quant aux gardes, elles peuvent aller de 149€ brut en semaine (de 18h30 à 8h30) à 163€ brut pour les gardes supplémentaires en semaine, les samedis la nuit, les dimanches et jours fériés. Les demi-gardes, elles, sont payées 74,5€ brut durant la semaine et 81,5€ brut les dimanches, jours fériés et demi-gardes supplémentaires. Les externes sont également tenus d’effectuer 25 gardes de 12 heures sur trois ans, rémunérées 52,63€ brut.  

 

11 530 euros : le coût moyen d’un étudiant de l’enseignement supérieur 

Bien sûr, les frais d’inscription ne couvrent pas ceux de la formation d’un étudiant pour l’État. Ainsi, le budget moyen de formation pour un élève de l’enseignement supérieur à l’université avait été évalué, en 2019, par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Mesri) à 11 530€. À titre de comparaison, former un élève en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) coûte plus cher : 15 710€, selon le dernier rapport de finance du système éducatif du ministère de l’Éducation nationale. En médecine, il faut...

également compter la rémunération des maîtres de stage universitaires, aujourd’hui au nombre de 11 837, qui touchent entre 300 et 600 euros par mois d’honoraires pédagogiques.   

“Est-ce que, aujourd’hui, quelqu’un peut me citer un domaine d’étude qui n’est pas payé par l’État ? tempête Gaetan Casanova, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). En France, les études sont subventionnées, par l'État, les impôts, les Français. Le coût réel des études, si on devait l’appliquer ici, on ferait des frais d'inscription libres comme en Angleterre ou aux États-Unis et on paierait 10 000€.” “L’État paye-t-il les études ? Oui, comme toutes les études de toutes les disciplines en France. Absolument toutes. Ça permet de s’affranchir des discriminations sociales”, appuie-t-il encore. Une colère partagée par l’Anemf. “C’est un fait. C’est donc désolant d’entendre qu’on doit aller travailler X temps dans un désert médical pour rembourser nos études. Rembourser quoi concrètement ?” souffle Marie Bousigues.  

Des propos qui passent d’autant plus mal chez les étudiants en médecine, d’autant qu’ils rendent un réel service à l’hôpital pendant au moins six ans… pour un salaire minime. “Admettons qu’en tant qu’internes, nous travaillons effectivement bien 48 heures hebdomadaires par semaine, ça veut dire qu’on est payés à 10€ de l’heure. Dire qu’on est payés par l'État c’est bien gentil… mais si on faisait du baby-sitting ou qu’on donnait des cours en continu, on serait probablement mieux payés”, assure Marina Dusein, porte-parole de l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de Médecine Générale (Isnar-IMG), avant de poursuivre : “En plus, on sait très bien que personne ne travaille 48 heures par semaine.”  

 

Les internes travaillent 58,4 heures par semaine en moyenne en stage 

Selon une étude publiée par l’Isni en 2020, le plafond légal de 48 heures hebdomadaires fixé par décret en 2015 est, en effet, largement dépassé par les internes. Ils travaillent en réalité en moyenne 58,4 heures par semaine en stage. Cela peut même aller jusqu’à 70 heures en moyenne pour les spécialités chirurgicales… Et le calcul n'inclut pas les heures supplémentaires - qui ne sont pas rémunérées - ni les gardes. En réalité, beaucoup témoignent donc tourner à près de 80 à 100 heures par semaine, pour le même salaire. “On pourrait être payés, travailler beaucoup, et ne servir à rien. Mais est-ce le cas ? A votre avis, pourquoi bosse-t-on autant ? Pourquoi les internes sont réquisitionnés pour faire des gardes ? Pourquoi on les oblige à travailler quand ils sont positifs ? Pourquoi n'a-t-on pas le droit d’aller faire nos stages dans le privé ?” renchérit Gaetan Casanova.  

“Sur un plan pratique, on sait qu’on rapporte de l’argent. Globalement, l'activité qu’on a aujourd'hui en tant qu’internes dans les hôpitaux, c'est une activité de seniors. J’en veux pour preuve qu’on réalise 70% des prescriptions dans les hôpitaux”, affirme encore le président de l’Isni, qui rappelle que les internes représentent 40% du personnel médical de l’hôpital. À ses yeux, si les internes sont obligés de faire leurs stages dans le public, c’est bien parce que l'État y trouve une rentabilité. “On fait le travail d’un chef… Entre payer quelqu’un 1500€ et quelqu’un 4000€ par mois, le calcul est vite fait”, ironise-t-il.  

Outre les internes et les externes, certains carabins de premier cycle sont aussi chargés par l’État d’assurer des missions de santé publique dans le cadre de leur service sanitaire, créé par la loi ​​relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (2019) et effectué le plus souvent en troisième année. Il s’agit de mission de prévention et de promotion de la santé auprès de publics cibles sur des grands thèmes comme la santé sexuelle, la prévention des addictions, la nutrition, le sport, l'antibiorésistance… Les étudiants bénéficient de trois semaines de formation théorique avant d’intervenir dans des écoles par exemple. Pour cela, ils ne touchent aucune...

rémunération supplémentaire réglementaire, les facultés sont simplement incitées à mettre des mesures en place. Les jeunes concernés peuvent seulement toucher un remboursement de frais kilométriques selon le nombre de kilomètres effectués pour la mission.  

 

1 étudiant sur 4 a déjà pensé à arrêter ses études pour des raisons financières 

D'où vient donc l’idée reçue selon laquelle un carabin est payé par l'État ? Difficile à dire, selon les syndicats. “Peut-être que les patients, qui voient des internes dans les services à l’hôpital et qui les côtoient dans leurs parcours de soins, se disent qu’ils sont forcément rémunérés et bien rémunérés, un peu naïvement ne connaissant pas la réalité de nos études”, avance Marina Dusein. 

Car la réalité est bien loin de cette idée reçue… Dans les faits, beaucoup d’étudiants en médecine sont frappés par la précarité. Selon une enquête publiée par l’Anemf en 2019, un étudiant en médecine sur quatre a déjà songé à arrêter ses études pour des raisons financières et 92,6% des étudiants ne peuvent pas continuer à suivre leurs études sans un soutien financier de leurs proches. Un état de dépendance qui persiste pendant tout le cursus à cause de la longueur des études et du fait qu'ils peuvent difficilement prendre des emplois étudiants à côté ; et qui est également lié au fait que les étudiants tardent à devenir indépendants. Une autre enquête de l’Anemf a estimé que l’année de Pass coûte en moyenne 17 500 euros avec prépa privée, 5 300 euros avec le tutorat. L’année de LAS reviendrait à 3 628,04 euros en moyenne à la rentrée avec prépa contre 1.161,48 avec le tutorat. La première année d’externat, elle, leur coûte environ 2 709,39 euros. 

 

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Pour les syndicats, si cette précarité est constatée tout au long des études, c’est pendant l’externat qu’elle est la plus forte. Pendant le deuxième cycle, les carabins ne peuvent d’ailleurs pas bénéficier du RSA ou de la prime d’activité. “Il faudrait qu’on touche 974 euros par mois pour prétendre à la prime d’activité. C’est assez ironique, on ne gagne pas suffisamment d’argent pour obtenir cette aide de l'État”, explique Marie Bousigues. Les futurs médecins ont aussi été impactés négativement par la réforme des APL, mise en place en janvier dernier. Même si le Gouvernement avait promis que les étudiants verraient leurs APL augmenter ou stagner grâce à cette réforme, les étudiants en médecine, eux, perdent 100 euros par mois“Avant, nous avions un statut d’étudiant hospitalier qui nous permettait de bénéficier d’une majoration de 100 euros. Mais maintenant, on est rattachés au statut des étudiants salariés. On a perdu cette spécificité et la majoration qui va avec”, précise Marie Bousigues. Au total, ce sont 69% des étudiants hospitaliers qui sont concernés, estime l’Anemf.  

 

Du matériel médical à leur charge 

Par ailleurs, ce que beaucoup oublient souvent, c’est que les carabins ont à leur charge une assurance responsabilité civile professionnelle, doivent parfois effectuer des visites à domicile chez les patients et acheter leur propre matériel médical comme un stéthoscope, un otoscope ou un saturomètre.  

“Ça n’a donc aucun sens de dire...

qu’on est payés par l'État. C’est de la mauvaise foi et de la bêtise, résume Gaetan Casanova. Un interne n’est pas supposé être indispensable. Or, quand ils ne sont pas là ou qu’ils se mettent en grève, plus rien ne fonctionne.”  “La valorisation du travail accompli est déjà discutable, alors nous dire qu’on doit quelque chose derrière… Ça nous met en colère”, ajoute Marina Dusein. “Dans une bonne formation, il y a un équilibre. On est formés, payés, on profite de la structure hospitalière et en même temps, on permet d’assurer la continuité des soins. Donc l'équilibre est déjà trouvé pendant nos études”, conclut la porte-parole de l’Isnar-IMG.  

Gaetan Casanova insiste, lui, sur la notion de rentabilité des quelque 30 000 internes français. En 2018, une étude estimait qu’un carabin faisait, en effet, économiser jusqu’à 120.000 euros à l'État. Qu’en est-il aujourd’hui ? Egora vous le dévoilera en exclusivité la semaine prochaine dans le second volet de notre enquête, consacré à la rentabilité des internes pour l'État. 

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