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Vis ma vie de médecin en Nouvelle-Zélande : "Ici le généraliste doit gérer des choses assez poussées"

Après avoir exercé 20 ans en tant que généraliste libéral dans le sud-ouest de la France, le Dr Stéphane Fraize a décidé de quitter l'Hexagone pour la Nouvelle-Zélande. Un projet d'une vie dans lequel il a embarqué son conjoint et sa fille. Huit mois après avoir posé ses bagages dans l'archipel du Pacifique sud, le médecin, habitué aux expéditions à l'autre bout du monde, fait part de ses premières impressions à Egora.   

09/09/2025 Par Louise Claereboudt
Témoignage
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"Ah s'il n'y avait pas la famille, on tenterait bien l'aventure…", se disent le Dr Stéphane Fraize et son compagnon alors qu'ils séjournent en Nouvelle-Zélande, à la fin de l'année 2023. Le couple s'y était retrouvé après de longs mois à vivre à des milliers de kilomètres l'un de l'autre. Généraliste en maison de santé à Saint-Caprais-de-Bordeaux, Stéphane Fraize avait décidé de partir en mission de dix mois sur la base franco-italienne de Concordia, en Antarctique, au mois de janvier. Il y avait assuré la prise en charge de la douzaine d'hivernants. "L'expérience d'une vie", résume le praticien, interrogé par Egora quelques semaines après son arrivée dans ce milieu hostile. Le médecin avait dû écourter de 15 jours sa mission pour médicaliser une évacuation.

Après cette parenthèse polaire, le médecin avait retrouvé son mari et leur fille de 8 ans en Australie avant de rejoindre la Nouvelle-Zélande peu avant Noël. "Nous avons découvert un pays magnifique, des gens souriants, bienveillants, détendus… Une ambiance beaucoup moins hargneuse qu'en France." C'est le "coup de cœur". Pas seulement "émotionnel", mais aussi "basé sur des arguments très rationnels". "C'est un pays qui a une culture civique de protection des droits solidement installée ; et sur le plan climatique, c'est difficile de faire plus préservé sur le long terme." Des critères qui "nous paraissaient permettre un meilleur avenir à notre fille qu'en Europe", avance Stéphane Fraize.

De retour en Gironde, au milieu du mois de janvier 2024, les graines semées lors de leur voyage continuent de germer dans l'esprit du couple. "Jusqu'à ce que l'un de nous demande quelques semaines plus tard : 'tu étais sérieux au fait quand tu disais qu'on pouvait s'y installer ?' – et l'autre de répondre 'beh ouais'", se souvient Stéphane Fraize en souriant. Le médecin, qui rêve d'ailleurs depuis toujours, entame les démarches d'immigration en février 2024 avec son conjoint. Il ne faut pas trainer : l'immigration n'est possible que jusqu'à 55 ans en Nouvelle-Zélande et Stéphane Fraize approche dangereusement de la limite. C'est le grand saut.

La petite famille atterrit le 1er janvier 2025, "à l'aube", à l'aéroport d'Auckland avec la garantie d'une certaine sécurité pour l'avenir. "La Nouvelle-Zélande applique un système d'immigration choisie. Il y a une 'green list' de métiers en tension pour favoriser l'immigration. Le fait d'être médecin permet d'arriver – et c'est valable pour tous les membres de la famille – avec un statut de résident qui ouvre tous les droits. Au bout d'un an et demi on aura le statut de résident permanent et le droit de vote, et dans cinq ans on pourra demander la nationalité", explique Stéphane Fraize, évoquant "l'exode" massif des professions supérieures vers l'Australie, où les salaires sont "bien plus attractifs".

Stéphane Fraize devait toutefois montrer patte blanche et obtenir un poste de médecin avant de fouler la terre néo-zélandaise. "Ça conditionne l'inscription au medical council [l'équivalent de l'Ordre des médecins en France, NDLR] et les démarches d'immigration." La demande étant forte, le généraliste n'a pas de mal à obtenir une promesse d'embauche d'un cabinet situé à Auckland pour un poste en salariat. Ce qui convient au médecin qui a déjà expérimenté pendant plus de 20 ans le libéral en France, d'abord en exercice isolé en Dordogne puis en groupe, à Saint-Caprais-de-Bordeaux, où il avait mis en place avec ses collègues un système de partage d'honoraires. "J'ai été très bien accueilli en Nouvelle-Zélande, c'est vraiment un chouette cabinet", souligne le praticien, venu compléter l'équipe de 5 médecins : un Néo-Zélandais, une Britannique, une Pakistanaise, un Malaisien et une Irakienne. "Il y a une ambiance cosmopolite que j'aime beaucoup."

"Un vrai effort d'adaptation"

S'il a été recruté comme "médecin supplémentaire", Stéphane Fraize s'est finalement retrouvé "très vite dans le bain" à la suite du départ imprévu d'une consœur. "J'ai hérité de son activité d'emblée." Une tâche ardue. "Les trois premiers mois, je me disais 'ô mon Dieu, je ne vais jamais y arriver', parce qu'il y a énormément de différences : les protocoles ne sont pas les mêmes, les médicaments non plus, les prises en charge sont très différentes, et je ne parle même pas de l'aspect linguistique… ça demande un vrai effort d'adaptation", confie le généraliste.

Huit mois après avoir démarré sa nouvelle activité, Stéphane Fraize commence à prendre le pli. "J'arrive à faire mes journées sans trop transpirer", plaisante le quinquagénaire. Et il peut compter sur la bienveillance de ses patients. "A Auckland, 40% de la population est née à l'étranger. Je n'ai eu aucune remarque désagréable sur mon accent ou mes tournures de phrases."

Est-ce que cela suffit pour affirmer que l'herbe est plus verte en Terre du milieu ? "C'est vraiment très contrasté, nuance Stéphane Fraize. Il y a des choses vraiment très chouettes et d'autres beaucoup moins…" Comme la "norme" qui veut que les consultations ne dépassent pas 15 minutes. "Je trouve ça très rude", confie le généraliste. En Nouvelle-Zélande, la rémunération des cabinets de médecine générale est mixte. Elle combine subventions publiques (paiement à la capitation) et financements privés (les patients doivent s'acquitter de la consultation). "La capitation, dont une grosse part du revenu du cabinet dépend, est calculée sur la base de ces 15 minutes de consultation, ce n'est pas confortable", déplore le généraliste français.

Cette norme ne lui convenant pas, une consœur de son cabinet a décidé de quitter le cabinet pour exercer en solo, ce qui est plutôt rare en Nouvelle-Zélande. "Elle a ouvert un cabinet où elle ne fait que des consultations d'une demi-heure. En revanche, elle demande 150$ par consultation.", indique Stéphane Fraize. Dans l'archipel du Pacifique sud, les cabinets – "qui sont de véritables petites entreprises" – sont libres de fixer leurs honoraires. Là où Stéphane Fraize exerce il faut compter 70$ pour un adulte, soit environ 35 euros la consultation. "C'est relativement cher par rapport à d'autres secteurs, mais on est dans un quartier assez aisé d'Auckland." Les patients à faibles revenus bénéficient toutefois d'aides. "Ils paient l'équivalent de 10 euros la consultation."

L'enveloppe versée par l'Etat pour financer les cabinets comprend par ailleurs un financement, appelé le flexible funding, "à hauteur de 15 000$ par mois", qui permet, par exemple, de financer des soins pour des populations vulnérables. "On n'a pas vraiment à justifier de l'utilisation de cette enveloppe à l'Etat. Pour l'instant ça fonctionne à la confiance. On peut payer une échographie réalisée dans le privé pour un patient parce qu'on le juge nécessaire et que dans le public il ne sera pas pris en charge, ou du moins pas dans un délai raisonnable. C'est un dispositif génial !", vante le médecin peu adepte de la "logique marchande" que peuvent adopter certains cabinets néo-zélandais pour demeurer attractif. "Quand on veut revoir un patient c'est embêtant parce que ça veut dire qu'on va lui demander de repayer une deuxième consultation potentiellement chère. Le flexible funding nous permet de gérer ces situations de manière satisfaisante. C'est la soupape qui fait que ça reste éthiquement acceptable."

6 000 euros par mois

La Nouvelle-Zélande n'est, comme a pu le constater Stéphane Fraize, pas épargnée par les difficultés d'accès aux soins spécialisés. "Le système de santé public est centré sur l'hôpital. Il n'y a pas de spécialistes publics en dehors des établissements. Et le système de santé privé peut coûter très cher." Tous les résidents sont néanmoins couverts par l'Accident compensation corporation (ACC) en cas d'accident (chute, accident du travail, etc.), quel que soit le secteur (public ou privé). Ce système – unique – est financé par des cotisations prélevées sur les salaires. "Pour la grosse urgence, le système de santé public tient bien la route, poursuit le généraliste français. Mais pour ce qui ne relève pas de l'accidentel ou de la grosse urgence, ça devient vite compliqué."

Pour les pathologies chroniques notamment, "les critères pour adresser un patient à un spécialiste public sont très restrictifs. Et quand on arrive à cocher toutes les cases, on fait face à des délais extrêmement longs. Si les gens n'ont pas les moyens de se payer un spécialiste privé, ça peut devenir très compliqué. Ce qui fait que le généraliste se retrouve à devoir gérer des choses assez poussées, comme on ne le ferait pas forcément en France", explique Stéphane Fraize. Et de rapporter une forme de désenchantement, aussi, chez ses nouveaux confrères. "J'ai un peu l'impression que le généraliste ici est coincé entre la demande des patients, les besoins – on nous demande de faire de la médecine d'excellence pour préserver le système public qui est sous pression – et des moyens limités…"

Le généraliste ne regrette, lui, pas son choix d'avoir quitté la France. Il est payé 10 000 dollars par mois, soit 5 000 euros net, toutes taxes déduites. Des revenus "clairement supérieurs" à la France. Et ce, alors qu'il n'a encore qu'un statut équivalent à un interne. "Le revenu final devrait être à peu près de 6 000 euros par mois pour un contrat de 32 heures, même si en réalité on fait plutôt 40 heures…", explique Stéphane Fraize, insistant sur le fait que son immigration n'a pas été motivée par des raisons professionnelles mais familiales. "Je n'ai aucun regret. Tous les soirs ma fille rentre de l'école en me disant que sa journée était géniale."

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Claire FAUCHERY

Claire FAUCHERY

Oui

Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus

Photo de profil de Anne SUDRE
396 points
Incontournable
Rhumatologie
il y a 3 mois
Cela ne vend pas du rêve en terme de conditions d’exercice si ce n’est le temps de travail qui a l’air bien plus raisonnable qu’en France. Souhaitons lui de s’epanouir dans son nouveau pays.
 
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