Travailler plus ou partir : une étude se penche sur les "stratégie d'adaptation" des généralistes face à la pénurie médicale
Des chercheurs ont observé et analysé quatre grands types d'adaptation des généralistes à la raréfaction de l'offre de soins ces dernières années. L'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) vient de publier une synthèse de leurs travaux.
Comment les médecins généralistes s'adaptent-ils à la raréfaction de l'offre de soins ? Dans un contexte de hausse des besoins (vieillissement de la population, hausse de la prévalence des maladies chroniques) et de baisse de la démographie médicale qui dégrade les conditions d'exercice, des travaux multidisciplinaires, menés entre 2019 et 2023 dans le cadre du projet Rosam*, ont analysé quatre "stratégies individuelles et collectives" adoptées par les généralistes (MG) libéraux.
La première est celle de "l'évitement", rapporte l'Irdes, dans une synthèse de ces travaux. S'intéressant au "turn over" des généralistes à l'échelle des territoires vie-santé, les chercheurs ont observé "un moindre maintien des MG en exercice dans les zones sous-denses (départs en retraite, cessation temporaire d'exercice, mobilité), comparé aux zones mieux dotées", souligne l'Irdes. "Les territoires qui connaissent un manque de MG sont aussi ceux qui subissent le plus de départs de médecins actifs" : le taux de départs hors retraite est "significativement plus élevé dans les territoires les moins bien dotés (taux à 13%) que dans les mieux dotés (11.3%)".
Dans les zones les plus déficitaires, le temps de travail n'est pas plus élevé, mais le travail est plus intense
Ceux qui tiennent bon adoptent des stratégies de "résistance". "A priori, on aurait pu s'attendre à des temps de travail plus longs dans les zones les plus soumises à la raréfaction de l'offre de soins, avec le fait tendanciel d'un ajustement des médecins sur leur temps personnel, de façon à compenser les tensions", mais ce n'est pas le cas, relève l'Irdes. Le temps de travail est "relativement identique d'une zone à l'autre", en revanche le nombre d'actes effectués est "plus élevé" dans les zones sous-dotées, a montré une étude de 2020 : "L'ajustement se réalise alors par le rythme des consultations (une baisse de la durée), avec un écart du nombre de consultations produites par heure travaillée d'environ 20% en zone sous-dense."
Une baisse du temps de travail depuis le Covid, plus prononcée en zone sous-dense
Une autre contribution, plus récente, observe une "baisse tendancielle" (-6.5%) du temps de travail hebdomadaire des MG sur la période 2019-2022, pour s'établir en moyenne à 51 heures de travail par semaine. Cette baisse est "plus prononcée" en zone sous-dense, si bien qu'en 2022, la durée moyenne hebdomadaire du temps de travail des MG libéraux y "apparaît même légèrement inférieure".
Ce "phénomène structurel" "s'explique par les évolutions sociologiques chez les médecins", soulève l'Irdes, qui évoque les "aspirations des jeunes générations à mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle" et la "féminisation", mais aussi "une forme de rapprochement par rapport à une évolution sociétale", "récemment influencée par la crise du Covid". "Cette baisse du temps de travail pourrait toutefois également s'interpréter comme une protection contre l'épuisement professionnel", qui vient "amplifier la baisse structurelle observée dans les zones où la charge de travail est intense".
Reprenant un concept issu de la littérature sur l'adaptation au changement climatique, les chercheurs parlent alors de "mal-adaptations" : ces adaptations "défensives", qui "apparaissent nécessaires au médecin", "ne profitent pas forcément au patient" voire "aggravent les difficultés sur le territoire".
Ainsi, les généralistes peuvent "modifier leurs pratiques dans un sens potentiellement défavorable pour la qualité du suivi médical", pointe cette synthèse, qui relève une réduction du temps consacré à la formation continue (-3 points en 2022 par rapport à 2019) pour 50% des généralistes exerçant en zone sous-dense et une baisse de la durée de la consultation pour 27% d'entre eux. D'autres adaptations sont évoquées, telles l'augmentation de l'intervalle entre deux consultations pour un suivi chronique, et le refus de prendre de nouveaux patients en tant que médecin traitant.
"Mais ces adaptations peuvent aussi être positives, les médecins modifiant leur organisation du travail pour améliorer leur efficience, grâce à un exercice plus collectif ou en développant des coopérations pluriprofessionnelles", souligne l'Irdes. C'est le cas de l'organisation en maison de santé, une forme d'adaptation "plus collective", souvent considérée par les pouvoirs publics comme "essentielle face à la sous-densité" car elle attire les jeunes praticiens, favorise les coopérations et la qualité des pratiques. "Les entretiens menés dans le cadre du projet Rosam* conduisent cependant à nuancer le bénéfice perçu par les MG de l'exercice en maison de santé. Une charge de travail perçue comme importante en MSP tend à tempérer les bénéfices de l'exercice collectif", indique la synthèse de l'Irdes.
Reste à voir les effets des récentes évolutions (IPA, loi infirmière, accès direct aux paramédicaux…) et de la revalorisation du C à 30 euros. A ce titre, l'Irdes interroge : "La baisse du temps de travail des MG libéraux va-t-elle se poursuivre, sachant que l'offre de travail des médecins peut s'ajuster en fonction des incitations économiques" ?
*Le projet Rosam (Raréfaction de l'offre de soins et adaptations des médecins généralistes) réunit des chercheurs de l'Irdes, de l'université Paris-Est Créteil et l'Observatoire régional de la santé de Paca.
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