Crise de la pédiatrie : "Le médecin n'est pas l'alpha et l'oméga de la santé de l'enfant"

17/02/2024 Par Sandy Bonin
Alors que des assises de la pédiatrie étaient convoquées en urgence en décembre 2022, aucune mesure concrète sur la santé de l'enfant n'a abouti. Pour autant, la pédiatrie est toujours une spécialité en crise et les inégalités sociales de santé sont encore plus importantes chez les jeunes. Face à ce tableau alarmant, un collectif de médecins et de pédiatres a rédigé une tribune publiée dans Le Monde dans laquelle il s'inquiète de l'absence de politique gouvernementale sur la santé de l'enfant. Les Dres Corinne Bois, médecin de protection maternelle et infantile (PMI), vice-présidente du Syndicat national des médecins de PMI, copilote des assises de pédiatrie pour l’axe "Prévention" et Julie Chastang, médecin généraliste en centre de santé, secrétaire générale de l’Union syndicale des médecins de centres de santé et copilote des assises de pédiatrie pour l’axe "Parcours de santé de l’enfant", signataires de la tribune, ont accepté de répondre à Egora.  

 

Pourquoi avoir écrit et signé cette tribune ? 

Dre Corinne Bois : On est très inquiètes sur la prise en charge des enfants. On a des alertes sur toute la pyramide des soins pour les enfants. Et de notre point de vue, les inégalités sociales de santé s'amplifient. On a parlé dans notre tribune de la mortalité infantile parce que c'est le haut de l'iceberg. L'alerte de la mortalité infantile vient poser celle de tous les soins aux enfants. Les parents sont dans la difficulté pour faire soigner leurs enfants, y compris pour des vaccinations courantes dans les premiers mois de vie, avec des difficultés de rendez-vous.

 

 

Quel est, selon vous, l'origine du problème ? 

Corinne Bois : Il y a un déficit du nombre de soignants. L'exercice pédiatrique a cette particularité de demander du temps. C'est une relation triangulaire avec les parents. Il faut être attentif à l'enfant, et à la relation avec lui. On n'examine pas un enfant de but en blanc. C'est un acte qui demande du temps pour l'amadouer. Il y a le dialogue avec les parents qui est important pour savoir quels sont leurs préoccupations. Une consultation de pédiatrie n'est pas un motif. Il y a tout un ensemble de choses à voir pendant l'acte. Tout cela est très chronophage. Et il y a une mauvaise reconnaissance de ces caractéristiques-là. Les médecins ont par conséquent des difficultés à répondre à ces besoins, dans ce contexte tendu pour toutes les spécialités.  

Dre Julie Chastang : Il y a aussi une politique publique qui n'est plus menée. Le système de santé français, tel qu'il a été pensé dans l'après-guerre - où on avait certes une meilleure démographie médicale - avait une vraie politique de prévention. Il y a eu la mise en place de la santé scolaire, de la PMI. L'hôpital public était fort. Aujourd'hui, on assiste un peu démunies avec Corine, à un service public qui est non soutenu au niveau des tutelles et de l'Etat. Toute cette politique-là entraîne des inégalités d'accès aux soins. On n'imagine pas à quel point les gens sont démunis. Accéder à un médecin aujourd'hui c'est uniquement numérique. Il n'y a plus de secrétariat. Les PMI sont dans un état qui est vraiment très inquiétant, et sur lequel, au niveau des assises de la pédiatrie, nous avons alerté à plusieurs reprises. Les PMI sont pourtant des dispositifs publics, pluriprofessionnels, qui luttent contre les inégalités sociales et qui visent l'accès aux soins des plus précaires.  

Je suis médecin salariée par la municipalité dans un centre de santé public. Cela n'existe pas partout alors que ça pourrait être une porte d'entrée complémentaire en relais de la PMI avec laquelle nous travaillons beaucoup. Nous n'avons aucun soutien réel et aucune volonté politique d'engagement dans un service public qui vise la prévention et l'accès aux soins. En parallèle de cela, si on veut que les enfants accèdent aux soins, il faut un service public. Aujourd'hui, non seulement on ne le pense pas mais on est train de l'enfoncer alors que nos jeunes médecins ne s'engagent pas en libéral.  

On paierait un médecin de prévention, avec un cadre d'emploi qui soit similaire à celui de la fonction publique hospitalière, avec la possibilité de travailler dans ces deux endroits on y arriverait. Mais non on paye la prévention deux fois moins et les gens à la vacation s'ils ne veulent pas être à temps plein. On empêche la diversité d'exercice qui est plébiscitée par les jeunes. On constate que l'on assiste impuissant à tout cela alors que beaucoup d'argent va être mis prochainement dans la santé avec l'augmentation de l'acte. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire mais je ne vois pas comment on ne peut avoir que ça comme ligne, en tout cas pour permettre d'avoir une politique autour de l'enfance qui soit tenable. 

 

Les jeunes ne choisissent pas la pédiatrie alors que c'est une des spécialités les plus mal payées, il y a peut-être un rapport… 

Julie Chastang : Il faut prendre en compte que la majorité des enfants vont être suivis par un médecin généraliste. Et cela va être de plus en plus le cas. Il faut que les médecins généralistes soient bien formés, la santé de l'enfant est un enjeu important. Aujourd’hui ils le font correctement mais il faut penser qu'à démographie médicale déclinante, il faut insister sur l'accès aux soins et le travail en équipe. Ce sont nos seules voies d'issues, et c'est ce que fait la PMI. 

Corinne Bois : Oui c'est ce qui est vraiment important. On a des enjeux aujourd'hui autour de la santé mentale, de l'épanouissement, des maladies chroniques, de l'alimentation. Il y a un écosystème de santé à construire et à proposer aux parents. Le praticien peut porter un travail d'équipe qu'il soit en PMI, en centre municipal de santé ou en maison pluridisciplinaire libérale. Le médecin n'est pas l'alpha et l'oméga de la santé de l'enfant, par contre il doit rester bien positionné pour aider ses équipes. C'est cet exercice qui nous porte et qui est le mieux à même de répondre aux besoins de santé et d'économiser du temps médical. Pour cela il ne faut pas que la médecine soit atomisée avec des exercices répartis dans des cabinets où il n'y pas de travail collectif.  

 

Quand vous parlez de formation des généralistes à la santé de l'enfant, que faut-il leur apporter de plus ? 

Julie Chastang : En deuxième cycle, pendant 5 ans, les étudiants ne pensent qu'au concours. Ils vont en stage, se forment un peu mais ce concours les pressurise et les met dans un état de santé mentale compliqué. On leur apprend à raisonner par questionnaires à choix multiples (QCM). On leur apprend en plus des maladies qui sont en général rares et graves parce que leur programme est fait par des PU-PH spécialistes de ces maladies. C'est le système du CHU qui a été pensé comme ça. Ce qui tombe au concours n'est pas proportionnel à la prévalence des maladies ou aux situations sur lesquelles ils vont faire face dans leur pratique courante. Ils vont par exemple savoir gérer un syndrome néphrotique de l'enfant, et c'est très bien qu'ils sachent le repérer, mais ils ne sauront pas conseiller des parents sur la position pour mettre un enfant au sein. Pourtant le bénéfice de l'allaitement en termes de santé public est majeur et fait partie des éléments sur lesquels nous sommes très en retard. Il faut une approche dans le deuxième cycle qui pense "équipe". On pourrait apprendre à travailler avec une puéricultrice qui va nous aider.  

Mes internes sont très déstabilisés quand ils arrivent. Ils ont appris par cœur des situations de néphro ou de neuro alors que l'on fait un diagnostic global avec des situations psycho sociales très importantes.  

Corinne Bois : Il ne faut pas que des médecins pour former des médecins. Les spécialistes ne suffisent pas. Dans cette approche globale on a besoin de savoir comment les liens peuvent se tisser avec le prénatal, avec des sages-femmes, comment proposer des actions collectives quand on repère une difficulté du développement. Pour moi, une bonne formation à la pédiatrie, c'est aux deux tiers d'apprendre à mener une consultation, conseiller et donner des repères aux parents et pour un tiers construire quelque chose avec les autres professionnels de PMI.  

 

 

Vous estimez également dans votre tribune qu'il faut développer l'exercice des infirmières puéricultrices et notamment leur exercice autonome. C'est aussi ce que préconisait l'Igas dans un rapport en 2021. Comment mettre cela en place et le concilier avec le travail du médecin ? Quel est la place de chacun ? 

Julie Chastang : Il faut que les équipes de santé travaillent de façon coordonnée. Le but pour un patient n'est pas d'avoir un médecin tout le temps mais d'avoir accès au juste niveau de soins auquel il a besoin. Tout ne nécessite pas un médecin. Les infirmières puéricultrices peuvent répondre aux besoins de parents en ayant un appui en cas de besoin avec un médecin et en travaillant avec lui. Que chacun travaille dans son coin, avec des puéricultrices et des médecins libéraux en villes, chacun avec des enchaînements d'actes, parce que c'est à l'acte que l'on est payé et que la prévention ne rapporte pas, c'est exactement ce qu'il ne faut pas faire. Il faut que les puéricultrices puissent monter en compétences, qu'elles puissent se reposer sur des équipes coordonnées, avec des médecins. Là je parle d'équipes qui se connaissent. Travailler ensemble ne veut pas dire être inscrit sur une CPTS, ça veut dire avoir des temps d'échange, un lieu de structuration commun. La PMI en est un, les centres de santé aussi. La rémunération à la fonction est, je pense, plus favorable à la délégation de taches. D'ailleurs les expérimentations au forfait ont fonctionné dans les centres publics alors qu'elles n'ont pas bien fonctionné chez les libéraux. Cela prouve que l'on travaille mieux en équipe quand on a un cadre d'emploi à la fonction.  

Dans le centre dans lequel j'exerce, nous avons beaucoup de demandes en soins non programmés. Nous avons formé nos infirmières nous-même et on les fait travailler, un peu hors cadre, pour répondre aux questions des parents. On travaille ensemble et en cas de questions on est là.  

Il faut plus de formation, une meilleure vision de l'avenir du système de santé par l'équipe de santé et un service public à renforcer. Il n'y a aucun problème pour avoir un service de santé privé. Par contre il y a un trou béant dans la raquette dans l'accès aux soins, la prévention et le premier recours au niveau du service public. Cela nécessite un projet qui n'est pas là. Il faut la possibilité d'attractivité pour les jeunes par un cadre d'emploi cohérent sur le service public de santé. 

 

Vous êtes toutes les deux pilotes des assises de la pédiatrie, où en est-on ? 

Julie Chastang : On aura vu trois ministres passer en un an, je ne vous cache pas que l'on est un peu désespérées par la situation. Nous avons rendu 350 mesures. 

Corinne Bois : Nous ne sommes nulle part. Les remaniements ministériels ont encore compliqué les choses. On avance, on a des engagements ministériels et on change de ministre.   

Julie Chastang : Alors qu'on nous avait demandé de rendre notre fiche en urgence, en ayant énormément travaillé. Nous avons fait à notre échelle tout ce que nous pouvions.  

Corinne Bois : Un statut commun de médecins de la fonction publique serait vraiment intéressant, répondant à la fois aux vœux des futurs médecins mais aussi au souci d'égalité entre les territoires car aujourd'hui, il y a vraiment de grands écarts entre les départements. 

Julie Chastang : Nous avons aussi un levier important qui n'a pas encore été saisi. On va rajouter une quatrième année de DES de médecine générale. Il faudrait vraiment que ce projet rejoigne une volonté d'organisation des soins et de réponse à l'envie de diversification d'exercice des jeunes avec des possibilités professionnalisantes d'engagement dans le service public. 

 

 

Corinne Bois : On a une vision de la santé de l'enfant qui est très déformée par ce qu'on pense de l'adulte. Se dire comme pour les adultes, j'ai un problème, je consulte pour cela et on me donne la solution, ça ne fonctionne pas pour les enfants. Il faut une vision globale de la santé de l'enfant et de son développement. Les difficultés que nous vivons avec Julie interrogent de façon plus générale sur la place de l'enfant dans notre société. Je suis très inquiète. On pourrait être au début d'une vague avec des grosses difficultés pour les enfants si on n'en prend pas plus soin. Les enfants ont besoin que l'on prenne soin d'eux.  

Julie Chastang : Les enfants ne rapportent pas et ils sont les enjeux de demain. La santé ne doit pas être lucrative et avoir une vraie politique.  

17 commentaires
23 débatteurs en ligne23 en ligne
Photo de profil de Laurent Laloum
133 points
Débatteur Renommé
Ophtalmologie
il y a 10 mois
Analyse aussi brillante que celle de nos politiques, dont nos ministres de la santé successifs. Des réponses sont données à un problème qui n'a pas été énoncé. Le système de soins est dans une situation catastrophique, avec l'Ile-de-France déjà premier désert médical du pays, et où 1/3 des médecins libéraux cessera toute activité dans 2 à 5 ans. Et des médecins emboîtent le pas des politiques avec des réponses à des problèmes où les données principales manquent. Exemples : -Quel est le coût de revient de la consultation en centre de santé municipal ? -Combien d'heures travaille un pédiatre salarié ? Un pédiatre libéral ? -La délégation de taches, c'est une réduction de combien de la cotation de la consultation pédiatrique ? (quand les cas simples et rapides sont délégués, le pédiatre, pour le même prix ne voit que des cas longs et complexes). -La prescription à 28 ans lorsqu'un médecin examine un nourrisson est-elle une bonne chose pour le système de soins ? (c'est certainement bien pour les patients, mais si cela fait renoncer à la pédiatrie des médecins brillants -et inquiets de l'évolution de la justice-, est-ce vraiment bien ?) -Pour la formation : comment sont déterminées les bonnes pratiques ? Je compte sur les doigts d'une main les pédiatres qui demandent un examen ophtalmo dès l'âge de 2 mois dans les fréquentes situations où cela est impératif, ce serait-ce que du fait des antécédents familiaux de strabisme, d'amblyopie etc... 2 mois, c'est l'âge où on peut sauver les bébés du strabisme, des caches... - Quelle visibilité donne-t-on aux médecins libéraux ? -Un médecin qui s'installe doit-il compter sur des aides ? Sur une ROSP qui devient inatteignable selon le bon vouloir des pouvoirs publics ? Ou doit-il vivre de ses honoraires pour avoir la visibilité nécessaire ? Je ne vois qu'une chose certaine : augmenter les honoraires permettra aux nombreux diplômés en attente de s'installer en France. Pour les autres éléments de réponse, il faut exiger des politiques que les données du problème soient recherchées et publiées. Puis que soit publiée aussi, pour chaque proposition, l'analyse qui conduit à dire que c'est une bonne proposition. L'argument "cela sort de la bouche du ministre, donc c'est bien" ne suffit pas.
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1,5 k points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 10 mois
Tout cela me semble bien compliqué et je plains les nouveaux toubibs qui choisissent pédiatrie. J'ai l'impression que la seule prévention acceptable actuellement est la vaccination. Si tous les vaccins obligatoires deviennent à ARNm vous allez avoir du boulot chers confrères. Il faudrait aussi éduquer certains parents à savoir s'occuper des enfants et à ne pas être scotchés sur leur portable qu'ils mettent souvent dans le berceau. Vous vous heurtez à un monde que vous ne pouvez pas changer. L'empathie et le temps passé avec le patient, ici, l'enfant, n'en font plus partie. Le mode de pensée de l'étudiant en médecine, c'est les QCM et les maladies graves qui nécessitent le plus souvent une hospitalisation. Tout devient numérique. Il fallait que les médecins s'y opposent. j'en connais qui font encore des feuilles de maladie et qui prennent leur RV. Seulement voilà, le toubib actuel ne cherche pas le contact avec son patient et veut rentrer chez lui à 19h. Il ne regarde pas le patient mais son ordinateur. Il n'examine pas mais prescrit des examens complémentaires. Enfin, vous le savez mieux que moi, c'est le bordel. réunissez-vous et changez le bordel. Quittez doctolib.
Photo de profil de Marie-Caroline Rettori
389 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 10 mois
Étant donné la pénurie de pédiatres, il me semble qu’ils doivent se concentrer sur leur spécialité et laisser tomber les vaccinations, les virose et autres pathologies bénignes infantiles, le suivi des enfants en bonne santé , pour redevenir accessibles, pouvoir recevoir les enfants et parents pour lesquels le médecin généraliste se trouve en questionnement ou difficulté… 5 mois pour avoir un avis pour un nourrisson de 5 mois … refus de « nouveau patient «  insupportable à entendre lorsque l’on demande un avis ponctuel. Les vaccins, les viroses, les angines, les épidémies , la prévention on s’en occupe (médecins généraliste) … les pathologies atypiques les problèmes de poids, les problèmes psychologiques, les maladies chroniques les maladies graves les Troubles De croissance, bref on a besoin de pédiatres
 
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