
Les médecins favorables à la responsabilisation des patients : "Le médicament est devenu une denrée sans valeur que l’on gaspille"
Doublement du plafond des franchises, révision du statut des affections longues durées… Le Premier ministre, François Bayrou, a annoncé le 15 juillet dernier un vaste plan d'économies, dont cinq milliards d'euros sur la santé. L'objectif du Gouvernement de responsabiliser les patients face à leurs dépenses de santé est-il une bonne idée ? 92% des lecteurs d'Egora* y sont favorables.

"La notion de 'c'est gratuit, j'y ai le droit' est mortifère", a estimé la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, lors de l'annonce par François Bayrou d'un vaste plan d'économies touchant la santé à hauteur de cinq milliards d'euros. Parmi les mesures annoncées, le doublement du plafond des franchises médicales, de 50 à 100 euros par assuré et par an. Celles-ci seront payées "au comptoir pour être plus visibles, pour aider chacun à mieux économiser", a précisé Catherine Vautrin. Le Gouvernement souhaite également "engager une réforme en profondeur de prise en charge" des ALD "avec, dès 2026, une mesure visant à sortir du remboursement à 100 % des médicaments qui sont sans lien avec les affections déclarées", a indiqué François Bayrou, le 15 juillet.
Faut-il davantage responsabiliser les patients face à leurs dépenses de santé ? Egora vous a posé la question. Et la réponse est pour le moins unanime : 92% des 367 lecteurs interrogés ont répondu par l'affirmative. "Comment être contre ? On reproche aux soignants, pharmaciens, médecins... les dépenses inutiles alors même que quasiment tous nos patients sont inobservants !", a réagi Erwan A. Le soignant estime toutefois qu'il faudrait "commencer par l'éducation à la santé, à son coût, et investir dans la prévention, ce qui rapporte à long terme seulement... alors que le politique souhaite gagner à court terme, souvent au détriment de l'usager".
"On pourrait porter à la connaissance du patient le coût des prestations afin de permettre une prise de conscience de ce qui est 'gratuit'. Par exemple : remise immédiate au patient et signature d'un duplicata de la facture des médicaments lors de leur délivrance au guichet de la pharmacie. Ce n'est pas culpabiliser, c'est simplement informer", abonde Jean-Denis M., médecin généraliste.
Les médecins favorables à une meilleure responsabilisation du patient pointent, en premier lieu, la gratuité, notamment des médicaments. "Trop de prescriptions traînent dans les pharmacies familiales. Ce n’est pas bon pour la planète, ce n'est pas bon pour les finances de la Sécu. C’est la source de mésusages. Le médicament est devenu une denrée sans valeur que l’on gaspille", déplore Fréderic O., addictologue.
Les praticiens notent aussi "l’argument choc des patients en matière de demande péremptoire d’examen : 'j’y ai droit !'". "La 'prise en charge' quasi complète des consultations, des examens et des traitements favorise la surconsommation, les patients n’en connaissant pas le coût ! Les caisses se déresponsabilisent et rendent les professionnels de santé responsables des dérives budgétaires", constate ainsi Lionel G., généraliste.
Mais si une meilleure responsabilisation semble faire l'unanimité, son mode d'application fait, lui, débat. L'augmentation de la franchise "causerait de gros problèmes aux patients à faibles revenus. Il vaudrait mieux s’attaquer au remboursement par les mutuelles des 'médecines douces' qui décrédibilise la vraie médecine", avance Corinne G., médecin généraliste. "Les petits consommateurs, qui cotisent autant que les autres, ne seraient quasi jamais remboursés puisqu'ils ne dépasseront pas le plafond forfaitaire !", ajoute Dela L., également médecin.
Responsabiliser en priorité les patients avec des "comportements à risque" ?
Dela L., ainsi que plusieurs soignants interrogés, proposent donc la mise en place d'un compte épargne "soin", "reportable sur l'année N+1, voire +2 si non utilisé, et au-delà il serait acquis au compte commun de la solidarité". D'autres invitent à responsabiliser, en priorité, les patients ayant des "comportements à risque". Sophie S. prend notamment l'exemple des personnes qui fument : "On a des tas de manières et d'aides pour le stopper [le tabagisme, NDLR], idem pour les autres addictions. Dans quinze ans, mourir de son exposition au tabac, cela ne devrait plus exister", espère la médecin. "J'ai plusieurs patients qui savaient les risques de maladies, d'une maladie grave génétique... et [qui] ne s'en sont pas occupés avant 55/60 ans, quand il n'y avait plus de solutions que la dialyse, la colectomie avec des traitements lourds..."
8% des soignants ayant répondu au débat estiment toutefois, comme Claudie A., que "ce n’est pas à un patient malade d’être responsable des coûts liés à sa maladie qu’elle soit réelle ou imaginaire". "C‘est aux médecins d‘être responsables concernant le coût des prises en charge des patients tout en étant libres de ses prescriptions", affirme-t-elle. Un avis partagé par la médecin du travail Jeanine B. qui juge que "le patient fait confiance au médecin, c'est lui qui a les compétences pour prescrire". Il ne faut "pas inverser les rôles et faire culpabiliser les malades, poursuit-t-elle. Par contre, ceux-ci devraient connaître le montant de leurs ordonnances."
De son côté, Anne P., généraliste, pense que cette responsabilisation "irait contre l'esprit même de la solidarité nationale et [de] l'égalité des chances devant la maladie". Thierry A., infirmier, s'interroge lui sur le fait que responsabiliser "soit un mot alternatif pour dire dérembourser davantage les soins des plus vulnérables, restreindre les ALD et augmenter les franchises"…
*367 lecteurs ont répondu à ce sondage.
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