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Arrêt maladie injustifié, médicament inutile… Comment dire "non" à un patient?

Savoir dire "non" fait partie de l'exercice quotidien du médecin. Mais cela reste une compétence relationnelle complexe à acquérir pour les jeunes médecins. Deux médecins ont accepté de partager leur expérience et de livrer leurs conseils à notre partenaire RemplaJob.

06/07/2025 Par Philippine Bonte
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Refuser une demande fait partie du quotidien médical : arrêt de travail injustifié, traitement non pertinent, bilan biologique inutile… Pourtant, les études de médecine n’enseignent pas comment dire "non" avec tact. Pour les jeunes médecins, cela peut être source de stress face à des patients frustrés ou incompris. Avec l’expérience, on gagne en assurance, mais chaque situation reste délicate. La nature du refus varie aussi selon le mode d’exercice (remplacement, libéral, salariat).

Comment faire alors quand on est jeune médecin ? Comment appréhender le refus et la réaction du patient ? Nous avons interrogé deux médecins pour identifier les situations les plus fréquentes et dégager des bonnes pratiques de communication.

Comment gérer et refuser un arrêt de travail que l'on juge injustifié ?

Les demandes d’arrêts de travail sont les exemples de requête les plus régulièrement cités, le médecin étant en première ligne pour les délivrer.

Cette demande peut être très délicate à gérer. Le Dr Timothée Wattinne, anciennement remplaçant en libéral et désormais urgentiste salarié, considère qu’il est plus facile de gérer le refus avec son poste actuel : “En tant que médecin urgentiste, je ne vois le patient qu’une fois. La situation reste délicate, mais je reste brut et je justifie mon refus en fournissant une justification médicale. Bien évidemment, il faut aussi jongler avec le côté humain parce que chaque situation est différente.”

Quand on exerce en tant que remplaçant, la difficulté réside dans le fait qu’on ne connaît pas l’historique du patient et que ce dernier est habitué à la manière de travailler de son médecin traitant. Il est alors délicat de répondre à une demande d’arrêt de travail quand on remplace sur un court terme. “Lors d’un rempla d’une semaine, ce qui est très court, un patient, en arrêt depuis 6 mois pour mal de dos, m’a demandé de le renouveler, se souvient Timothée Wattine. C’était difficile de remettre en cause une décision si importante quand on remplace sur une courte période, dans cette situation je lui avais renouvelé. L’une des solutions est d’entrer en contact avec le médecin qu’on remplace pour demander plus de précisions sur la situation du patient en question.”

Le Dr Marie Crinquette, généraliste installée en libéral depuis 8 ans et auparavant remplaçante pendant 2 ans, considère qu’il est aussi difficile de refuser en tant que remplaçante qu’installé. Tout comme son confrère, elle souligne que l’avantage de l’urgentiste ou du spécialiste, c’est de pouvoir se permettre d’être plus direct dans son refus car il n’y a pas d’affect personnel avec le patient qu’on ne connaît pas et qu’on ne verra qu’une fois. Quand elle trouve que la demande d’arrêt n’est pas justifiée, Marie Crinquette n'hésite pas à le dire, et peut éventuellement délivrer un arrêt d’une journée :  “Je préconise au patient de prendre cette journée pour se reposer pour qu’il soit en forme pour travailler le lendemain.”

Il faut bien prendre en considération que chaque personne est différente, tout le monde n’a pas la même résistance. “Un patient peut se remettre de sa maladie en 2 jours quand pour un autre ce sera 6 jours. Les antécédents médicaux et le rapport au corps est différent pour chacun. On ne peut pas faire rentrer tout le monde dans des cases”, considère Marie Crinquette.

Comment refuser une prescription en tant que médecin généraliste ?

Lorsque l’on n'est pas convaincu ou que l’on ne connaît pas le traitement demandé, comment faire ?

Il y a plusieurs cas de figure, nous explique Marie Crinquette : “On peut avoir un patient qui consulte et nous dit d’emblée qu’il a entendu parler d’un super traitement recommandé par son amie, mais toi tu n’en as jamais entendu parler. Dans ce cas, j’explique que je ne peux pas parler et me positionner sur un produit que je ne connais pas et je clos rapidement le sujet. J’ai plutôt une bonne réception de la part de mes patients quand je me retrouve dans ce genre de situation.” Autre approche : expliquer au patient qu’il est difficile de comparer deux situations, une prescription peut fonctionner sur un patient mais pas sur un autre, les indications pour lesquelles on prescrit un traitement sont différentes.

Il est évident qu’il est plus facile de refuser une prescription lorsque l'on sait de quoi on parle. Marie Crinquette évoque la relation de confiance qui s’est installée avec ses patients après huit ans d’installation : “Quand je refuse de prescrire un traitement, je prends le temps d’expliquer au patient les raisons de mon refus, c’est très important parce que ça concerne leur santé, leur corps. Ils connaissent mon mode de fonctionnement, ils savent que je suis franche et que je dis les choses. C’est sûr que si cela ne convient pas à l’un de mes patients il va aller voir un autre médecin mais de manière générale, c’est ce que mes patients apprécient chez moi.”

À titre d’exemple, l’un de ses jeunes patients est venu la consulter pour une baisse de libido et il lui explique que cela devient problématique avec sa conjointe. Le patient lui fait part de son désir d’obtenir un traitement de testostérone. Pas convaincue, la généraliste a préféré prendre le temps de poser des questions sur les raisons de sa baisse de libido. Il a évoqué le stress de son travail, le fait qu'il rentrait très tard le soir et précisé qu’en vacances tout rentrait dans l'ordre. D’un commun accord, aucun traitement ne lui a été prescrit, simplement du repos.

Il peut aussi arriver de se retrouver face à un patient hypocondriaque. “Un patient hypocondriaque c’est un patient anxieux, explique Marie Crinquette. Il faut le prendre en considération et s’adapter. Souvent, mes explications, même poussées, ne suffisent pas à le rassurer. Il aime le concret, comme les chiffres.”

Dans le cas d’une demande de bilan sanguin pour ce type de profil, l’une des solutions pour la praticienne est d’accepter de leur prescrire tout en leur demandant de ne pas revenir en consultation trop rapidement.

En conclusion : quelles solutions et méthodes privilégier pour refuser un arrêt de travail ou une prescription ?

Il n’y a pas de recette miracle pour émettre un doute ou formuler un refus à son patient. Chaque patient, situation et contexte sont différents. L’important est de prendre confiance en son jugement et à son analyse de la situation : un médecin est en droit d’exercer parce qu’il est qualifié et qu’il a fait les études et le parcours requis.

Lorsqu’on est jeune installé, on bénéficie d’une certaine liberté, le patient s’adapte à la façon de travailler de son médecin. “Il faut que le patient comprenne dès le début que si tu n’es pas convaincue ce sera non, conseille Marie Crinquette. J’ai toujours parlé sans langue de bois, si je ne suis pas d’accord, je le dis, sans filtre. Mes patients sont habitués et respectent ma manière de travailler.”

On observe également une évolution de la relation médecin-patient. Aujourd’hui, le médecin est encouragé à convaincre son patient pour qu’il adhère au traitement, la confiance du patient dans son traitement est aussi un facteur clé de succès de ce dernier : “On est moins dans cette attitude paternaliste qu’on pouvait retrouver il y a quelques années. Aujourd’hui, on se base sur des faits scientifiques, il faut prendre le temps de l’explication quand on refuse un traitement ou un arrêt de travail. Il y a aussi la facilité d'accès à l'information comme avec internet ou l’IA qui pousse à la décision médicale partagée”, relève Marie Crinquette.

Il faut aussi souligner la dimension consumériste du soin. Si un patient n’est pas satisfait de la décision de son médecin, il peut toujours aller en consulter un autre.

Pour les jeunes médecins installés, exercer en cabinet de groupe ou en MSP peut être un vrai soutien et aider à gérer les doutes et le refus qu’on émet lors d’une requête d’un patient. Cela permet de bénéficier de l’entraide confraternelle et de renforcer la cohérence des décisions quand tous les praticiens sont alignés. 

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