Privé d'ECN, cet interne va devenir généraliste en Belgique : "C'est hors de question que je retourne en France"
En 2022, Jonathan était recalé des inscriptions aux ECN car son diplôme d'externat, obtenu en République tchèque, datait de l'année précédente. Voyant son rêve s'éloigner, le Champenois avait alerté sur sa situation auprès d'Egora. Trois ans plus tard, l'homme de 33 ans s'apprête à terminer son assistanat de médecine générale en Belgique et compte exercer en milieu rural. Se sentant "trahi" par la France, il refuse de revenir dans pays d'origine. Quatrième épisode de notre sérié d'été : "Que sont-ils devenus ?"
"Il y a trois ans, j'étais au plus bas de ma vie. Je venais d'apprendre que ma carrière était fichue, je me retrouvais à vivre chez mes parents comme un ado. Pour moi, c'était fini, je pensais que je ne pourrais plus faire de la médecine." Ces mots, ce sont ceux de Jonathan, 33 ans. En 2022, nous publiions sur Egora le témoignage de ce jeune Champenois qui, après avoir suivi et validé six années d'externat en médecine en République tchèque, n'avait pas pu revenir réaliser son internat en France. La raison ? Son diplôme de master, obtenu à l'université de Brno, datait de l'année précédente, rendant impossible son inscription aux ECN 2022.
En République tchèque, le dernier examen de master "était le 9 juin 2021, et les ECN cette année-là se déroulaient le 14 juin", rappelle Jonathan. "A ce moment-là, la pandémie de Covid-19 battait son plein, et moi c'était la fin de ma sixième année d'études, donc j'étais cassé, je n'en pouvais plus", résume celui qui rêvait de revenir étudier dans l'Hexagone. "J'aurais dû prendre l'avion en catastrophe en pleine pandémie pour revenir en France passer les ECN sans rien apprendre, les mains dans les poches. Surtout que j'avais fait mes études en anglais, donc il fallait que je réapprenne tous les médicaments, les différentes notions [en français]."
Fatigué et dans l'incertitude, Jonathan décide donc de ne pas s'inscrire à ces épreuves en 2021 et d'attendre un an pour les passer. "C'était une décision consciente." Mais quelques mois plus tard, le carabin découvre qu'il ne pourra pas s'inscrire à la session 2022 des ECN. L'article R.632-5 du code de l'éducation précise, en effet, qu'un étudiant ne peut passer ces examens que dans l'année d'obtention de son diplôme d'externat. Et malgré l'abrogation de ce texte en septembre 2021, celle-ci n'a pas eu d'effet "rétroactif", laissant Jonathan hors des clous. "C'était vraiment la cata, la panique…", se remémore le trentenaire, dont les ECN se sont déroulées en juin 2022 sans qu'il ne puisse y participer.
Voyant son rêve s'écrouler, le jeune homme a pourtant essayé d'alerter sur sa situation : "J'ai passé des mois à envoyer des lettres à différents politiciens pour demander de l'aide." Il a également lancé une procédure en référé devant la justice administrative, de laquelle il sera débouté. "Les juges ont estimé que [ma demande] n'était pas urgente et on est donc repassé" sur une procédure plus longue, détaille-t-il.
Slovaquie, Angleterre, Australie…
Jonathan abandonnera finalement son action en justice quelques mois plus tard. "Oui, la loi était injuste", mais elle avait déjà été abrogée et "c'est moi qui n'avais pas lu les 'petites lignes' [avant de tenter de m'inscrire aux ECN]", reconnait-il. Il assure, par ailleurs, ne pas avoir été le seul à se voir refuser son inscription au fil des années : "On était très nombreux. J'ai même été en contact avec plusieurs autres personnes [concernées]."
Empêché de réaliser son internat en France, celui qui rêve de devenir généraliste à la campagne a commencé à s'intéresser à d'autres pays. "J'ai d'abord demandé à mon école en République tchèque de m'aider, si je pouvais faire mon internat là-bas." Mais pour être accepté, Jonathan devait attester d'un très bon niveau en tchèque. "Je parlais un peu, mais pas couramment", glisse-t-il, expliquant s'être ensuite tourné vers la Slovaquie ; en vain. "J'ai aussi essayé en Angleterre, mais ça n'a pas marché […] ainsi qu'en Australie, car j'ai aussi la nationalité australienne, mais ça n'a pas abouti non plus. Ils recherchent des médecins, mais ne veulent pas d'internes", poursuit Jonathan, qui a également envisagé de se rendre au Canada et en Irlande pour poursuivre ses études.
C'est finalement en Belgique qu'il posera ses valises. "C'était une surprise", assure le Champenois d'origine, car "quand je me suis intéressé [à ce pays], j'ai reçu une lettre des universités belges me disant qu'ils acceptaient peu d'étudiants étrangers […] Je me suis dit que c'était fichu, mais mon père m'a poussé à essayer." Le pari s'avère gagnant puisqu'après un stage d'un mois auprès d'un généraliste – "il juge si on a les qualifications" pour suivre la formation – et un examen oral, Jonathan est accepté en Belgique et débute son assistanat* en médecine générale à la rentrée 2022.
L'apprenti généraliste déménage alors en Wallonie**, et débute son assistanat par un stage à l'hôpital. "En Belgique, on est obligé de faire un stage de six mois à un an à l'hôpital. [Le reste de la formation], on travaille directement auprès d'un médecin généraliste comme assistant", explique Jonathan. "J'ai fait mon assistanat auprès d'un maître de stage qui était au courant de ma situation, et qui était très compréhensif."
Après près de trois ans d'assistanat, le trentenaire a présenté sa thèse début juin et pourra, dès l'automne, commencer à exercer comme médecin généraliste. "Mais pour l'instant, je travaille à temps plein jusqu'à la fin de mon contrat d'assistant en septembre. J'ai encore beaucoup de documents à rendre", précise-t-il. Jonathan ne sait pas encore s'il s'installera dans la foulée. "Ici, il y a aussi un système de remplacement comme en France, mais je ne sais pas si c'est le plus adapté pour moi. Comme je suis en milieu rural, je me suis acclimaté aux patients, je m'entends très bien avec eux. Quand on fait des remplacements, il y a [moins] ce côté relationnel", estime-t-il. "Je ferai peut-être quelques remplacements, mais pas pour longtemps."
En France, on vous donne des coups de pied dans la figure
Mais "quoi qu'il arrive, je vais rester en milieu rural", affirme l'expatrié, qui envisage d'exercer près de la frontière française pour rester "proche de [s]a famille". Car une chose est certaine : Jonathan restera en Belgique. "C'est hors de question que je retourne en France, je me suis senti trahi", lance-t-il. "Et honnêtement, les conditions de travail sont beaucoup mieux en Belgique. Ils ont dix ans d'avance sur la France en termes de santé." Chez nos voisins belges aussi, "le travail est dur, on est débordés, il y a un manque de médecins et je termine très souvent très tard le soir, mais je suis bien", insiste le soignant. "Avec mes collègues, on s'entend très bien. Notre manière de travail est, pour moi, très correcte. Et même quand j'étais [en stage] à l'hôpital, on était sous pression mais j'en garde de très bons souvenirs. Comparé aux histoires qu'on entend en France, je me dis que 'non, je n'ai pas envie'" de revenir, témoigne Jonathan.
Surtout, "pourquoi retournerais-je en France ?", ajoute-t-il, remonté. "Quand j'avais besoin d'aide, c'est la Belgique qui m'a aidé. Pourquoi partirais-je ? Et puis, je l'ai déjà dit, ce que je veux être, c'est médecin généraliste à la campagne. Il y a plein de campagnes ici, et ils sont aussi en manque de généralistes", développe le trentenaire. Avant de poursuivre : "La différence que j'ai remarquée en Belgique – et c'est la même chose en République tchèque -, c'est qu'ici ils vous aident à aller vers le haut, à monter l'échelle… alors qu'en France, ils vous donnent des coups de pied dans la figure."
Après des années de doutes, Jonathan assure "aimer" sa nouvelle vie de l'autre côté de la frontière. "Honnêtement, c'est très agréable, confie-t-il. J'ai réussi à me remettre sur pied et ça va bien, je suis content."
*L'assistanat en Belgique correspond à l'internat en France.
**Pour préserver son anonymat, Jonathan n'a pas souhaité préciser la ville dans laquelle il a réalisé son assistanat.
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