Louis XIV

Louis XIV (Hyacinthe Rigaud, CC0, via Wikimedia Commons)

Mort de Louis XIV : la version officielle remise en cause par des chercheurs

Et si la gangrène qui avait emporté Louis XIV à l'âge de 76 ans le 1er septembre 1715 n'en était pas vraiment une ? C'est l'hypothèse formulée par le médecin légiste et archéologue Philippe Charlier dans une étude publiée dans Les Annales pharmaceutiques françaises. Grâce à la paléoprotéomique, les chercheurs du LAAB ont détecté la présence du champignon Cyphellophora europea dans les restes du cœur embaumé du Roi soleil, avançant une chromoblastomycose comme cause probable de sa mort. 

24/10/2025 Par Aveline Marques
Médecine légale Histoire
Louis XIV

Louis XIV (Hyacinthe Rigaud, CC0, via Wikimedia Commons)

10 août 1715. Séjournant au château de Marly, Louis XIV est frappé d'une "débilité d'estomac" après le déjeuner. Le soir même, rentré à Versailles, le souverain se plaint de douleurs à la jambe gauche que son premier médecin, Fagon, attribue à une sciatique. Pour le Roi Soleil, cet épisode marque le début de la fin d'un règne de 72 ans, "le plus long dont l'histoire de tous les temps et de toutes les nations ait jamais fait mention", relate le duc de Saint-Simon dans ses Mémoires, témoignage précieux des derniers jours du roi.

Les décoctions, les bains d'herbes aromatiques, le lait d'ânesse et les linges humides préconisés par Fagon ne viennent pas à bout du mal qui ronge le souverain : une "noirceur" de "mauvais augure" est observée sur la jambe du roi le 24 août, rapporte Saint-Simon. Au petit matin du 1er septembre, "la jambe et la cuisse de sa majesté furent trouvées entièrement gangrenées ; on jugeait bien que ce mal avait gagné les parties intérieures", rapporte-t-il. Quelques heures plus tard, l'agonie de Louis XIV s'achève. 

Le procès-verbal de l'autopsie du roi semble confirmer le diagnostic de gangrène : "On a trouvé l’extérieur du côté gauche gangrené depuis l’extrémité du pied jusqu'au haut de la tête, l’épiderme se levant de tous côtés, moins le droit que le gauche, le ventre extrêmement tendu, très bouffi, les intestins bien altérés, avec inflammation surtout ceux du côté gauche, le gros intestin d’une dilatation extraordinaire", peut-on lire.

Une analyse des résidus de sang dans son cœur

Mais une étude menée par les chercheurs du Laboratoire Anthropologie, Archéologie, Biologie (LAAB) de l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, et qui vient d'être publiée dans Les Annales pharmaceutiques françaises, apporte un éclairage nouveau. "On savait qu'il avait une gangrène, mais on n'avait pas encore déterminé quel était l'agent causal, explique à Egora le Dr Philippe Charlier, directeur du LAAB. En analysant les résidus de sang qu'il y avait encore au niveau du cœur, on s'est rendu compte que ce n'était pas du tout des bactéries (Clostridium) mais plutôt des champignons."

Suivant la coutume royale, la dépouille de Louis XIV a été embaumée et il a été procédé à un triple enterrement : les entrailles ont été déposées à la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, son cœur momifié a été placé dans l'église Saint-Paul-Saint-Louis du Marais et son corps a été inhumé dans la nécropole royale de la basilique de Saint-Denis. A la Révolution, ces sépultures royales sont profanées : les reliquaires contenant les cœurs de Louis XIII et de Louis XIV sont ouverts, les métaux sont fondus, tandis que des fragments des cœurs momifiés sont broyés pour créer du "brun de momie", un pigment de peinture prisé des artistes de l'époque*. Les restes sont finalement restitués et déposés à la basilique Saint-Denis en 1817.

Restes du cœur de Louis XIV (crédit : LAAB)

Ayant obtenu l'accord des deux branches de la famille royale (Bourbons et Orléans), du ministère de la Culture et de l'Eglise, les chercheurs ont procédé à plusieurs examens sur les restes du cœur embaumé. Les résultats de la datation au carbone 14 encadrent la date de décès de Louis XIV avec une "légère imprécision" que Philippe Charlier attribue… au régime alimentaire du souverain, riche en poissons de roche et en huîtres, que ce "roi très chrétien" consommait une centaine de jours par an. C'est "l'effet réservoir" : "la richesse en carbone 14 de l'alimentation peut en effet légèrement vieillir, ou rajeunir l'échantillon", pointe le médecin légiste et archéologue.

La nature cardiaque de l'organe a été confirmée : une valve cardiaque et deux parois du ventricule gauche ont pu être observées grâce à la microtomodensitométrie, tandis que la paléoprotéomique a permis d'identifier des protéines spécifiques du tissu cardiaque humain. 

Outre des peptides propres aux Homo sapiens et aux protéines de mouton (kératine et poils) – qui suggèrent la présence de laine, la paléoprotéomique a relevé la présence de diverses bactéries (par ordre d'abondance : Bordetella, Streptomyces, Pseudonocardia, Jiangella, Nocardiopsis et Promicromonospora) et de champignons de type ascomycète (Fusarium, Aspergillus, Cyphellophora). Parmi tous les agents infectieux identifiés, le champignon Cyphellophora europaea a tout particulièrement retenu l'attention des chercheurs car il est le seul connu pour provoquer des infections cutanées et sous-cutanées sur des lésions épidermiques (abcès, ulcères et chromoblastomycose), et pour survenir chez des sujets présentant une immunosuppression relative.

Améliorer les techniques d'identification

L'apparence des lésions était "vraisemblablement" due à ce champignon noir, relève Philippe Charlier. "La chromoblastomycose donne une coloration noirâtre aux téguments qui ressemble à une gangrène mais qui n'est pas la gangrène."

Louis XIV pourrait donc avoir succombé à une chromoblastomycose, favorisée par son état de santé fragile, en particulier son diabète, suggère l'étude. "Une telle infection a pu se répandre (des champignons étant retrouvés dans les restes de son cœur), provoquant un sepsis et menant à la mort du roi", soulèvent les auteurs.

Cette étude ouvre la voie à l'utilisation de la paléoprotéomique dans l'étude rétrospective des morts historiques et des anciennes pathologies. "On teste des méthodes en archéologie qu'ensuite on va utiliser en médecine légale sur des corps moins bien conservés, relève Philippe Charlier. C'est comme si Louis XIV était notre cobaye – avec tout le respect qui lui est dû - pour améliorer nos techniques d'identification." 

*Le tableau "Vue de Caen", peint en 1810 par Alexandre Pau de Saint-Martin, contient des restes du cœur de Louis XIV. 

Références :

Charlier P, Pelzer V, Augias A, Slimani L, Chaussain C, Poupon J, Popescu S-Maria, Kielbasa M, Annane D, Armengaud J, Paleoproteomics reveals chromoblastomycosis as possible cause of King of France Louis XIV’s death (1715), Annales Pharmaceutiques Françaises (2025), doi: https://doi.org/10.1016/j.pharma.2025.10.005 

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Claire FAUCHERY

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