À l’Ehpad de Corbas, "soignants et résidents vivent sous un dôme protecteur"

21/04/2020 Par L. C.

Depuis le 18 mars dernier, les infirmières, aides-soignantes et la directrice de l’Ehpad Vilanova de Corbas, dans le Rhône, ont pris la lourde décision de se confiner avec les 106 résidents au sein de la structure. Une solution radicale pour éviter la dissémination du Covid-19 qui s’avère aujourd’hui payante, puisqu’aucun cas suspect n’a été détecté.     Lundi 6 mars, à l’Ehpad Vilanova de Corbas, près de Lyon. Le Conseil de vie sociale prend la lourde décision de stopper immédiatement les visites des proches, et ce, avant même la décision du Gouvernement de les suspendre. À 16 h 30 pétantes, les amis, enfants, petits-enfants, de résidents sont priés de quitter les lieux. Valérie Martin, directrice, ferme symboliquement les portes de la structure. “Ça a été super violent”, se souvient-elle. Douze jours plus tard, cette maman de deux grands enfants prend une autre décision, encore plus radicale, pour protéger les personnes âgées de l’épidémie de nouveau coronavirus qui touche de plein fouet la France. Le confinement du personnel est décrété au sein de l’Ehpad, et les allées et venues, limitées au maximum.  29 des 50 salariés décident de suivre Valérie Martin, 51 ans, dans cette “expérience confinée”. “Quand j’ai vu la propagation en Italie et la problématique des masques et des matériels, je me suis dit qu’il fallait mettre un dôme protecteur sur la maison”, explique la directrice de l’établissement. Les autres personnels sont retournés chez eux. “Certains avaient des obligations privées, comme les femmes seules avec enfants, d’autres n’ont pas souhaité rester dans l’Ehpad pour des raisons médicales”, explique-t-elle avant d’ajouter : “Il y a aussi des personnes qui n’ont pas voulu prendre part à ce confinement collectif. Il ne faut pas non plus trop idéaliser les choses.”

Pour Valérie Le Forestier, 42 ans, infirmière exerçant à Corbas depuis une quinzaine d’années, suivre le mouvement était une évidence. “J’imposais chez moi des règles d’hygiène très strictes, je me tenais à distance de mes enfants et je ne les ai pas embrassés pendant trois semaines avant d’être confinée. J’avais très peur d’amener le virus à l’intérieur de l’Ehpad. Cette décision, c’était donc presque un soulagement”, explique-t-elle.   Bureaux transformés en chambres L’initiative a suscité l’admiration de bon de nombre de confrères et consœurs. “C’est une volonté personnelle de la part des soignants, un choix que j’admire”, estime le Dr Ilimi-Kertous, 41 ans. Médecin coordinatrice de l’Ehpad depuis près d’un mois seulement, Kahina Ilimi-Kertous est arrivée à Vilanova après que la décision a été prise. Aujourd’hui, force est de constater qu’elle est pertinente. “C’est ça qui a permis de ne pas enregistrer de cas de Covid dans l’établissement”, indique-t-elle, persuadée. Depuis le 18 mars, aucun cas ou décès lié au...

nouveau coronavirus n’a, en effet, au lieu, alors que de nombreux Ehpad en France déplorent plusieurs morts. “Les décès liés au Covid sont horribles dans la mesure où les malades meurent seuls. Je voulais donner aux 106 résidents la possibilité de revoir leur famille”, confie Valérie Martin avec insistance. Bien sûr, vivre sur son lieu de travail a demandé maintes réorganisations et ajustements. “On a créé quelques chambres individuelles, ce sont en fait des bureaux ou des salles de travail transformés”, raconte la directrice de l’Ehpad. Les autres employés dorment dans le Pasa (le pôle d'activités et de soins adaptés). Le personnel de nuit bénéficie, quant à lui, de vraies chambres. Côté restauration, un sous-traitant s’occupe de tout. “C’est agréable de se faire servir”, plaisante Valérie Martin. En vivant ensemble, les liens se sont par ailleurs soudés entre les personnels, même si un point d’honneur a été mis par la direction pour maintenir un espace privé “indispensable”. Une psychologue “au bout du fil” est également disponible si un soignant en exprime le besoin. “On a quand même une vie sociale après le travail, ce n’est pas un mauvais moment, confie Valérie Le Forestier. Je pense qu’on sait toutes pourquoi on est là.”

  Sas de décontamination Si les familles des personnes âgées ont, au départ, accueilli la décision avec difficulté et parfois colère, Valérie Martin est parvenue à les rassurer en créant une page Facebook sur laquelle elle poste chaque jour les nouvelles de “la maison”.  “Les familles téléphonent moins maintenant, elles sont...

rassurées”, explique-t-elle. Cet éloignement a même permis aux résidents de s’ouvrir aux autres. “Ils ont paradoxalement moins besoin de nous, se réjouit la patronne de l’établissement. Avant, il y avait leurs enfants qui venaient, donc ils leur parlaient, maintenant ils sont obligés de se parler entre eux, des affinités se sont créées. Et finalement, ça parle beaucoup plus maintenant.” Des loisirs sont toujours organisés : sorties dans le jardin, atelier coiffure… “On ne fait plus de grosses activités, comme le Loto, par manque de temps et de personnel”, explique la directrice qui note toutefois beaucoup de “franches rigolades”.  

  Malgré ce quotidien presque hors du temps, toutes les mesures barrières sont scrupuleusement suivies à la lettre. Toute personne entrant ou sortant (médecins traitants, infirmières venues en renfort entre temps…) doit porter un masque et des gants. Un sas de décontamination a également été mis en place pour les objets destinés à s’engouffrer dans “la maison”. La téléassistance, utilisée initialement dans les lycées pour les élèves handicapés et offerte à la structure, a dû y séjourner pendant 24 heures avant de pouvoir remplir son rôle et permettre aux résidents d’apercevoir leurs proches, par écrans interposés. “Même si on est dans notre bulle, on applique les recommandations”, indique la directrice. Même rigueur pour le Dr Ilimi-Kertous qui exerce également en cabinet libéral et dans clinique de la région lyonnaise qui possède un service de gérontopsychiatrie. “En tant que médecin gériatre intervenant dans des structures psychiatriques et dans des Ehpad, j’essaie de limiter les contacts avec des personnes atteintes de symptômes respiratoires pour éviter de contaminer les personnes âgées fragiles”, assure-t-elle.   “Agitation brutale” A l’intérieur, tous les résidents, âgés en moyenne de 87 ans, ne se rendent pas compte du virus qui les entoure. “Certains ont la maladie d’Alzheimer ou d’autres démences apparentées. Les autres...

comprennent le sacrifice familial que l’on fait pour eux, témoigne Valérie Martin. Il y en a aussi qui regardent la télévision. Eux sont dans la panique totale. C’est très anxiogène. En voyant toutes ces ambulances, ces morts aux journaux télévisés, on s’aperçoit qu’on est une bulle d’air. Elle a un sens. Pour la plupart, cela fait dorénavant plus d’un mois que le quotidien est rythmé par la vie de l’Ehpad. Et bien que tout soit mis en œuvre pour faciliter les tâches des personnels, la fatigue se fait aujourd’hui ressentir. “On a des journées très longues avec une amplitude horaire vaste qu’on aménage entre 7 h et 20 h 30”, raconte Valérie Le Forestier. L’éloignement des proches commence, lui aussi, à peser sur les épaules des troupes, mais aussi celles des résidents. “Même si mes enfants sont grands, le manque commence à se faire sentir. Heureusement qu’ils sont soutenants. Ils sont très fiers de moi”, raconte l’infirmière.

Lundi 13 avril, après les annonces du président de la République concernant un déconfinement progressif à partir du 11 mai, l’Ehpad a décidé de permettre les sorties des employés dès le 23 avril, avec une sortie définitive le 4. Quelques jours plus tard, le Gouvernement a décidé de rétablir un droit de visite pour les familles dans les Ehpad, dans des conditions très limitées. “Le jour où on va ouvrir les portes des foyers, tous les proches vont se ruer à la maison de retraite. Ça va être de la folie, s’inquiétait déjà la directrice, prudente, avant cette annonce. “Je crains énormément cette agitation brutale, alors je ne vais pas forcément être très aimée, mais moi aussi je vais faire une entrée progressive dans l’établissement.” Ce lundi, la direction a ainsi pris la décision d’élaborer une liste de résidents, basée sur les critères psychologiques et médicaux. Le référent sera alors appelé pour rencontrer son parent, “dans des conditions rigoureuses, sans contact physique et sans entrer dans les chambres”. “Il est hors de question d’accueillir les 106 familles en même temps”, martèle Valérie Martin.

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La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

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