30 euros la consultation : les médecins généralistes entrent "en résistance"

Se sentant "méprisés" par les 1.5 euro de hausse promise par le Gouvernement, des généralistes ont décidé de passer en force sur le tarif de la consultation, en facturant aux patients un supplément -non remboursé par la Sécu- de 5 euros. S'ils disent "comprendre" la colère de la profession, les syndicats appellent les contestataires à la prudence.  
 

"Il y a un moment où il faut arrêter de se faire piétiner, où il faut arrêter de se faire mépriser. À partir de jeudi, je vais prendre 30 euros à la consultation, sauf pour les CMU, les AME et les gens qui n'ont pas un rond, lance le Dr Jean-Paul Hamon. Et s'ils m'emmerdent trop, je laisserai 2500 patients sur le carreau et ils se démerderont." Face au "démantèlement" et à la dévalorisation du métier de généraliste, le président d'honneur de la FMF entre "en résistance". Et il n'est pas le seul. 

Comme en 2002, en 2005-2006 ou en 2011-2012, des généralistes, mécontents des 1.5 euro de hausse promis par le règlement arbitral dans seulement 6 mois, ont décidé de passer en force sur le tarif de consultation. Seuls ou en coordination avec certains de leurs confrères de leur territoire, ils factureront désormais 5 euros de plus aux patients qui le peuvent, au moyen de dépassements pour exigences particulières (DE) voire d'actes hors nomenclature (HN). 

"On sent les médecins énervés, et prêts à sauter le pas, plus ou moins systématiquement, observe le Dr Richard Talbot, de la FMF. C'est sans doute plus pour montrer qu'ils ne sont pas contents qu'autre chose… mais à mon avis si beaucoup de médecins pratiquent du passage 'sauvage' à des tarifs supérieurs, c'est un argument fort pour reprendre des négociations. Car la situation va devenir rapidement intenable pour la caisse." 

 

Dépassement exceptionnel 

Sur son compte Twitter, très suivi, le généraliste de la Manche a sondé ses confrères en amont de la présentation du règlement arbitral : 49% des 1736 répondants se sont dit prêts à passer à 30 euros, "et un quart de plus si les autres le font", relève le syndicaliste. Plus le mouvement sera massif, plus il aura de chance d'aboutir… et plus le risque de poursuites des caisses sera faible, calcule-t-il. "On peut faire des procédures contre 200, 300, 400 médecins, comme en 2016. En faire contre 15 ou 20 000 ça devient beaucoup plus lourd, ne serait-ce qu'en termes de coûts de procédure…" 

 

Le généraliste met toutefois les médecins en garde contre la pratique du HN, qu'il considère comme "extrêmement dangereuse". "Un acte HN est un acte quand même : de l'hypnose, de la réflexologie plantaire ou que sais-je, en plus de la consultation. Si vous faites juste 5 euros de plus pour arriver à 30, ça revient à un acte fictif, techniquement c'est de la fraude", alerte-t-il. Pas question non plus de facturer "l'utilisation des chaises de la salle d'attente" ou autres frais de fonctionnement du cabinet. Pour le syndicaliste de la FMF, le DE est donc moins risqué : "1) c'est conventionnel, 2) c'est règlementaire, 3) c'est transparent", argumente-t-il. "Après à mon avis, il ne faut pas faire des DE systématiques…et faire éventuellement des montants variables en fonction des exigences du patient, voire pas de DE du tout si ce sont des gens qui ont des revenus très faibles, ou si les gens le refusent", nuance-t-il. 

En revanche, rien n'empêche un médecin de "modifier les horaires d'ouverture du cabinet, en passant aux 35 heures : 9h-12h, 14h-18h. Et de facturer des DE pour les patients qui consultent en dehors de ces horaires", pointe-t-il. "On peut aussi dire qu'un rendez-vous c'est 15 minutes, et que si le patient a plusieurs demandes, on s'occupe de ce qui est prioritaire et pour le reste, soit il reprend rendez-vous, soit il veut tout régler en une seule consultation – ce qui décale tout le monde, c'est donc une exigence de temps, donc c'est plus cher." 

 

Que risquent les médecins? 

Concrètement, que risquent les médecins qui se lancent dans le "C" à 30 euros? D'après l'article 85 de la convention médicale, qui a été reprise par le règlement arbitral, ils s'exposent à une procédure conventionnelle pour "utilisation abusive de DE" ou pour 'facturation d'actes fictifs', en cas d'actes HN déconnectés de la réalité. Ils risquent de voir la prise en charge de leurs cotisations sociales suspendues, pour une durée de 1 à 12 mois. Voire une procédure de déconventionnement, en cas de manquement grave. Mais pour Richard Talbot, cette dernière option...

 

 

 

est peu probable. Non seulement, l'abus d'un DE n'est pas grave si le dépassement reste respectueux du tact et de la mesure, mais de nombreux médecins libéraux contestataires brandissent eux-mêmes déjà une promesse de déconventionnement*… "De toute façon dans la période actuelle, déconventionner un médecin, c'est avant tout punir les patients, souligne le syndicaliste. Surtout si tous les médecins d'un même bassin de vie sont concernés. C'est une menace ultime, d'un côté comme de l'autre, mais plus crédible pour les médecins que pour la caisse…" Quant à la prise en charge des cotisations sociales, elle s'élève, "aux dires de la Cnam à 2 à 3 euros par acte". Soit moins que le DE pratiqué. Enfin, si procédure il y a, elle doit passer par les commissions paritaires locales… suspendues en l'absence de convention.   

À titre personnel, le généraliste de la Manche n'envisage toutefois pas de "bouger" seul. Pas avant de se réunir avec les médecins de son territoire : rendez-vous est pris le 16 mai. Quant à son syndicat, pour lequel il ne se prononce pas, il a tout intérêt à ne pas donner de consigne tarifaire, sous peine de poursuites, comme en 2008 : suite à une plainte de l'association Familles rurales, plusieurs syndicats, dont la FMF, la CSMF et MG France, avaient écopé d'une lourde amende infligée par l'Autorité de la concurrence – plus de 800 000 euros au total. L'amende a finalement été annulée car, explique Richard Talbot, ce n'est pas "l'appel à augmenter la consultation" qui est répréhensible mais bien "l'entente illicite" sur un tarif.  

Raison pour laquelle les syndicats, tout comme Médecins pour demain, qui s'est constitué en association, se gardent d'appeler à suivre le mouvement. Les Généralistes-CSMF n'"inciteront certainement pas" les médecins à passer la consultation à 30 euros, réagit ainsi leur président, le Dr Luc Duquesnel. Mais "on ne peut que comprendre les médecins qui s'engagent dans cette-voie-là." Avec la hausse des charges et l'inflation, "ils n'ont pas le choix" et ils "n'ont aucune perspective d'amélioration", le ministre de la Santé se refusant pour l'instant à rouvrir les négociations, souligne le syndicaliste. "De toute façon, on aboutirait au même résultat tant que l'enveloppe reste la même…", déplore Luc Duquesnel.  

Le généraliste de Mayenne, aux premières loges de la grève de 2002, juge que le mouvement actuel pourrait prendre de l'ampleur étant donné "les conditions d'exercice déplorables" des médecins et "l'humiliation" infligée par les 1.5 euro du règlement arbitral. "Les patients nous le disent : 1.5 euros, on se fout de vous. Ils savent que 5 euros, c'est le minimum que mérite notre travail, assure-t-il. Et encore, 30 euros pour une consultation qui peut durer 45 minutes, c'est très mesuré…" Dans tous les cas, "le syndicat jouera son rôle de défense des médecins qui seraient poursuivis par les caisses", assure Luc Duquesnel. 

 

"Ce sont les patients qui paieront la différence" 

Alors qu'il avait encouragé la fronde du C à 23 euros, puis du C à 25 euros, MG France, cette fois-ci, dit ne pas "cautionner" le mouvement des 30 euros. "C’est une initiative qui est totalement illégale et qui peut retomber juridiquement à la fois sur les individus qui la feraient, et surtout sur les syndicats qui seraient amenés à la soutenir", prévient la Dre Agnès Giannotti, présidente du syndicat majoritaire des généralistes. Si elle assure comprendre "la colère" de ses confrères, la responsable syndicale souligne que cette fois-ci, "ce sont les patients qui paieront la différence. Donc ça ne règle pas le problème de reconnaissance de la profession"

De son côté, le Dr Jérôme Marty affirme que l'UFML "défendra" les médecins qui seraient mis en cause... Tout en les mettant en garde contre un mouvement qui, politiquement, risque de se retourner contre eux. "C'est un peu les 30 euros du désespoir, lâche-t-il, ce n'est pas une fin en soi. 30 euros en euros constants aujourd’hui avec l’inflation, en 2028 ça représentera 26,50 euros. C’est-à-dire ce que l’on vient de nous donner", commente le président de l'UFML, qui revendique, à terme, 50 euros. Plutôt qu'un DE systématique, le syndicaliste se dit "plus favorable à un passage autoritaire en secteur 2", "c’est-à-dire que les médecins prennent les tarifs qu’ils veulent". 

Quoi qu'il en soit, "la lutte sera longue", prévient Jean-Paul Hamon. "En 2002, on avait eu la chance d'avoir des élections au bout de 6 mois, et que Chirac, qui avait promis les 20 euros, soit passé au second tour", rappelle-t-il. Le contexte est aujourd'hui nettement moins favorable aux médecins libéraux. Les prochaines élections n'auront lieu que dans 4 ans, souligne le généraliste. "Et quand le Gouvernement résiste aux manifs contre la réforme des retraites, on se dit qu'ils ne vont pas céder facilement pour les médecins." Et de conclure : "S'il n'y a pas un mouvement massif de déconventionnement, ou un mouvement massif de contestation tarifaire, je ne vois pas comment on va s'en sortir."   

 

 

*L'UFML a déjà recueilli 1729 promesses sur son site dédié 

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