"L'hôpital public sait ce qu'il doit aux médecins de ville... Nous avons besoin d'eux"
Egora : Arnaud Robinet, vous êtes le nouveau président de la Fédération hospitalière de France (FHF), pouvez-vous vous présenter ?
Arnaud Robinet : J'ai 47 ans, je suis président de la FHF, praticien hospitalo-universitaire de formation et de métier en pharmacologie. Je tiens toujours à préciser que je ne suis ni médecin, ni pharmacien, bien que je sois hospitalo-U. Je fais partie de ces rares scientifiques, biologistes à pouvoir accéder à ces postes pour de l'enseignement, de la recherche et de l'analyse toxicologique et pharmacologique au laboratoire du CHU. J'ai été président de la Fédération hospitalière Grand-Est pendant plusieurs années. Et j'ai également été parlementaire pendant quasiment deux mandats lors desquels j'ai été membre de la commission des affaires sociales. J'étais en charge des sujets santé et retraite pour mon ancienne formation politique. Depuis 2017, je ne fais plus partie des Républicains, je suis membre d'Horizon. Mais il n'y a, bien évidemment, aucun lien avec la FHF. À votre élection à la tête de la FHF, vous avez indiqué que des réformes étaient nécessaires pour relever le système de santé. Lesquelles voulez-vous mettre en œuvre ? Il est vrai qu'aujourd'hui, notre système de santé est à un tournant. Je prends cette présidence à un moment critique pour le secteur public, où nos établissements sortent essorés de la crise. Ils ont besoin d'actions rapides et fortes de la part des pouvoirs publics. Les chiffres sont là pour en témoigner. Le secteur public en 2022 est le seul secteur de la santé qui n'a pas retrouvé un niveau d'activité équivalent à 2019. Il y a également cette problématique des ressources humaines, qui est un peu commune à l'ensemble des acteurs du monde de la santé. Si l'on prend le milieu hospitalier, il y a 5% de postes infirmiers vacants, 2,5% des postes de soignants vacants et 30% du corps médical. Aujourd'hui, cette présidence, je la vois comme un mandat d'action. Nous devons guérir le système de santé, sauf à accepter que l'accès aux soins se dégrade durablement. Je crois que nous pouvons y arriver en parlant et en sortant des postures que nous connaissons. Je prends également cette présidence à un moment important, puisqu'il s'agit du lancement du PLFSS, mais aussi du Conseil national de la refondation. L'hôpital public et le médico-social ont toute leur place à prendre. Le rôle de la FHF est de porter la voix des 1.000 hôpitaux et des 3.700 établissements médico-sociaux dans une refonte de l'hôpital public qui ne pourra pas se faire avec une notion d'hospitalo-centrisme. Cette refonte devra se faire avec l'ensemble des acteurs du monde de la santé. Les enjeux sont énormes, notamment sur les questions des ressources humaines et du financement. Sur les ressources humaines, nous sommes très attentifs puisque le Gouvernement avait annoncé 50.000 embauches sur le quinquennat. On a conscience que ces 50.000 postes peuvent poser des difficultés en termes de formation et de recrutement. Nous rencontrons aussi une difficulté en termes d'attractivité de la profession. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé 3.000 emplois dans cadre du PLFSS. On a fait le calcul, ça représente 0,42 équivalent temps plein (ETP) par établissement et une prise en charge supplémentaire par patient d'une minute. Le compte n'y est pas. Nous ferons des propositions de remontée de terrain sur le sujet. Comment redonner envie aux soignants de travailler pour l'hôpital public ? Il y a évidemment la question de la rémunération pour l'ensemble des acteurs du monde de la santé publique et hospitalière, qu'il s'agisse des médecins ou encore des infirmières ou des aides-soignantes. Au-delà de la rémunération, il y a aussi le sujet du bien-être et des conditions de travail. Aujourd'hui, notre système de santé doit s'adapter à ces requêtes de la nouvelle génération. C'est très important pour renforcer l'attractivité de l'hôpital public. Enfin, il est également important de donner à l'hôpital public une place prépondérante dans l'ensemble du système de santé français pour montrer que c'est le pilier qui doit garantir l'accès à l'offre de soins. Il ne l'est pas aujourd'hui ? Ça l'est aujourd'hui, et d'ailleurs on le voit bien dans le cadre de la crise Covid. 80 à 85% des patients ont été accueillis à l'hôpital public. Ce dernier a, bien évidemment, tenu un rôle majeur. Sur l'organisation de l'offre de soins, on doit renforcer la place de l'hôpital et peut-être même sortir des GHT. Je suis attaché aux GHT parce qu'ils ont facilité sur leurs territoires la coopération entre hôpitaux publics, mais il faut peut-être aller plus loin et pourquoi pas intégrer certains établissements publics et la médecine de ville, pour avoir une vision beaucoup plus globale et complète. Concrètement, comment intégrer la médecine de ville dans le cadre des GHT ? Quand je dis intégrer dans les GHT, je veux dire que nous devons renforcer les discussions, les liens et la coopération avec la médecine de ville. L'hôpital public sait ce qu'il doit à la médecine et aux médecins de ville. Nous avons besoin d'eux. Notamment dans le cadre de la question des urgences qui est aujourd'hui encore un véritable sujet. Nous devons coopérer et dialoguer. Pour moi il n'est pas question d'opposer les uns et les autres. Vous succédez à Fréderic Valletoux, et ses relations avec la médecine de ville étaient plutôt tendues. Les pics de Fréderic Valletoux vers les médecins de villes se sont enchaînés. Quelle relation voulez-vous nouer avec la médecine de ville ? Comment souhaitez-vous travailler avec eux ? Je ne sais pas si les relations étaient tendues avec Fréderic Valletoux. En tous cas, l'ancien président et moi-même partageons la même volonté, qui est de relever notre système de santé. C'est d'ailleurs ce qui nous unit tous au sein de la FHF. Pour autant, nous avons chacun notre personnalité et nos mots. Ma priorité est simple. Au-delà des débats de personne, la Fédération hospitalière de France entend continuer à faire des propositions pour que notre système de santé retrouve un fonctionnement à la hauteur des enjeux. Cela implique que chacun, hospitalier, comme professionnel de ville, prennent leur part équitablement. La richesse de notre système repose sur le service public mais également sur la ville et les établissements privés. Si l'on fragilise l'un de ces piliers, on fragilise l'ensemble. Aujourd'hui, ces deux jambes du système sont en difficulté. L'accès aux soins devient de plus en plus difficile, qu'il s'agisse de territoires ruraux, comme urbains. Les urgences sont également largement saturées. C'est pourquoi nous devons nous épauler et avancer ensemble, sans concurrence mais aussi sans tabou. Sans tabou, cela signifie un meilleur partage des missions de service public ? Prenons un sujet qui est sur la table depuis plusieurs mois : la permanence des soins. Evidemment que ce sujet doit être réparti de manière équitable. Sur certains territoires, il y a des choses qui commencent à fonctionner avec la coopération. Faut-il une obligation de PDSA pour les médecins libéraux ? Ma philosophie n'est pas d'imposer. Je crois en l'intelligence des femmes et des hommes et à la responsabilité de tous. Je pense qu'avant de passer par une obligation, qui serait inscrite dans la loi, ou dans les textes réglementaires, on doit plutôt territoire par territoire, dialoguer et échanger entre les différentes parties prenantes. Que ce soit la médecine de ville ou l'hôpital, on a tous le même intérêt et la même volonté de faciliter l'accès aux soins pour nos concitoyens. Je défends et je défendrai toujours les mesures incitatives, plutôt que coercitives. Certains projets se montent entre l'hôpital et la médecine de ville, mais ils sont encore minoritaires. C'est la direction à prendre selon vous ? L'exemple qui est le mien, sur mon territoire rémois, prouve que nous pouvons travailler ensemble, notamment dans des maisons de garde. Et les choses fonctionnent. Regardons ce qui se passe sur le terrain, et élargissons-le à l'échelle nationale. Un amendement au PLFSS propose d'étendre la permanence des soins aux infirmières, sages-femmes et dentistes, quel est votre avis sur ce sujet ? Je trouve ça intéressant. J'ai assisté au lancement du CNR Santé au Mans et ce qui m'a marqué, c'est que l'ensemble des intervenants, et notamment les usagers, n'ont à aucun moment utilisé le terme de médecin. Ils ont parlé de collectif, comme si nos concitoyens avaient intégré le fait que l'accès aux soins pouvait se faire par différents professionnels de santé. Je pense que cet amendement mérite discussion, mais il est intéressant. François Braun parle "d'intérim cannibale". Des mesures de limitation financière vont être appliquées au printemps. On s'attend même à une grève des médecins intérimaires sur cette période. Comment se préparer ? Et quelle est votre position vis-à-vis de l'intérim médical ? Sur l'intérim médical, j'ai entendu le ministre Braun qui a posé les bases. Nous à la FHF, nous demandons purement et simplement l'application de la loi Rist. Aujourd'hui, ce que nous observons est néfaste pour les finances de l'hôpital public. Quand on regarde la rémunération d'un médecin en intérim, à côté du salaire mensuel d'une infirmière, cela pose aussi un problème d'un point de vue de la cohésion des équipes. Il faut retourner à des situations plus acceptables et plus compréhensibles par l'ensemble du monde de la santé. C'est un sujet qui n'est pas facile parce qu'aujourd'hui, d'un côté il y a 30% de postes médicaux vacants à l'hôpital, et de l'autre nous voulons mettre fin à l'intérim. Ce n'est donc pas d'en finir avec l'intérim en tant que tel que nous souhaitons mais surtout de pouvoir plafonner la rémunération. On parle beaucoup des praticiens, mais il y a un vrai sujet sur les agences d'intérim également. Sur la question des urgences, la régulation a permis "pour la première fois depuis dix ans de diminuer la fréquentation des SAU, entre 5 et 6%", a indiqué le ministre de la Santé le 8 novembre. Depuis quelques semaines les services sont de nouveaux engorgés, notamment les urgences pédiatriques. Faut-il revenir sur l'accès direct et pérenniser la régulation ? Aujourd'hui les urgences sont encore en difficulté. De jeunes patients d'Ile-de-France sont envoyés dans les CHU de la périphérie francilienne comme Reims ou Orléans. Il va falloir prendre des décisions. On ne va pas pouvoir laisser nos urgences être engorgées à un tel point. Les urgences doivent répondre à un besoin spécifique des patients pour les urgences et non pour la bobologie. Réguler l'accès aux urgences, je pense que c'est nécessaire. C'est pour cela qu'il est important de travailler avec la médecine de ville. Il faut continuer le dialogue et regarder ce qui se fait sur les territoires, notamment dans ces maisons médicales qui sont un premier filtre et permettent de désengorger les urgences. Certaines maisons médicales de garde se sont plaintes que les hôpitaux n'envoyaient pas suffisamment de malades vers les médecins libéraux. Certains attendaient véritablement les patients… Faut-il revoir la tarification ? Car les urgences sont rentables pour l'hôpital. Les urgences sont rentables pour l'hôpital mais les hospitaliers sont les premiers à dire que les urgences sont en difficulté. J'ai eu ce cas au lancement de la maison médicale de garde à Reims. Nous avons discuté au sein du conseil de surveillance du CHU de cette problématique. J'ai incité à une réunion et nous avons trouvé les solutions. Il y a beaucoup de communication à faire sur le sujet. Ça n'est pas dans l'intérêt des urgences de freiner ce filtre et ce passage vers la médecine de ville. Je crois véritablement que les choses vont s'amplifier et aller dans le bon sens. Selon vous la tarification est la bonne aujourd'hui ? Je ne fais pas partie de ceux qui veulent revenir sur la tarification à l'hôpital. Le sujet n'est pas d'actualité. Les finances de l'hôpital public, nous les connaissons, avec un grand nombre de difficultés face à l'inflation, face à la prise en charge des mesures du plan Braun de cet été qui se sont arrêtées au 30 septembre. Aujourd'hui c'est à la charge directement des hôpitaux. Je ne pense pas que la tarification soit le véritable problème aujourd'hui.
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