Psychiatre accusé de viols : l'Ordre savait et n'a rien fait, charge Mediapart

17/01/2018 Par A.M.
Faits divers / Justice

1980, 1995, 2005, 2017… Avant d'être mis en examen pour "abus de faiblesse" et "viols et agressions sexuelles", le 10 janvier dernier, ce psychiatre libéral manceau a fait l'objet de plusieurs plaintes et signalements auprès de l'Ordre des médecins.  

  C'est une enquête à charge contre l'Ordre des médecins que livre Mediapart. L'instance est accusée de ne pas avoir donné suite aux plaintes et signalements qui lui ont été adressés au fil des ans par quatre patientes et le mari d'une autre patiente, aujourd'hui décédée, à l'encontre d'un psychiatre libéral exerçant au Mans depuis 40 ans.  

"On ne peut qu’être surpris"

  "À la lecture des différentes affaires, on ne peut qu’être surpris, reconnaît le Dr Frédéric Joly, actuel président du CDOM de la Sarthe. Il y a une forme de stéréotypie dans toutes ces plaintes. Mais jusqu’ici, elles n’ont pas abouti, car la chambre disciplinaire n’a pas voulu départager la parole des deux parties." Tous les plaignants décrivent une forme d'emprise exercée par ce psychiatre reconnu par ses pairs, qui a présidé le Syndicat national des psychiatres privés dans les années 90.  

  Le premier signalement date de 1980. Le mari d'une patiente adresse un courrier au conseil départemental de la Sarthe, après que sa femme lui a avoué avoir entretenu des relations sexuelles régulières avec le psychiatre. "Ma femme, étant donné son état, répondit en pleurant à une question du médecin. Celui-ci se leva alors et profita de sa faiblesse pour l’embrasser en la tutoyant. À une prochaine consultation, après l’avoir flattée sur son physique, il lui proposa des relations sexuelles", raconte-t-il.  La personnalité de la patiente fait peser un doute "sur la réalité des faits alléguée" : la plainte est classée sans suite.      

  Deuxième alerte en 1995. Une patiente signale à l'Ordre qu’en 1987, le psychiatre "lors d’une consultation et sans mon consentement, n’a pas cessé de me toucher pour finir par me 'tripoter' le sexe et introduire un doigt dans le vagin, pour parler franchement." Mais elle ne se sent pas la force de porter plainte, consciente que ce sera parole contre parole. Elle s'est suicidée en 2009. Le président du CDOM de l'époque "aurait sans doute dû transmettre ce signalement à la justice", admet le Dr Joly.  

Le ministère de la Santé fait appel

 

En 2005, la plainte d'une autre patiente est enfin jugée par la chambre disciplinaire régionale. Elle a commencé à consulter le pédopsychiatre à la fin de l’année 1986, à l'âge de 14 ans, à la suite du suicide de son frère et de la séparation de ses parents. Son journal intime à l'appui, elle affirme avoir été victime d’un viol et d’attouchements sexuels répétés, à partir de l’âge de 16 ans. Le psychiatre évoque une simple "relation de tendresse" et reconnaît avoir mal géré "les risques de transfert et contre-transfert avec cette patiente". La plainte est rejetée. Le ministère de la Santé fait appel mais le Conseil national, en 2006, va dans le même sens, relevant "le vif sentiment amoureux" qu'entretenait la plaignante à l'encontre de son psychiatre à l'époque. Il faudra attendre la plainte d'une autre patiente, en septembre dernier, pour qu'une sanction soit prononcée. Le 11 septembre 2017, la section disciplinaire des Pays de la Loire a finalement condamné le psychiatre à trois mois d’interdiction d’exercice, parce qu’il a admis "avoir adopté un comportement ambigu, en la prenant dans ses bras et en lui caressant les cheveux". "Je le consultais depuis plusieurs mois, plusieurs fois par semaine. Il était ma bouffée d’oxygène. J’allais mal et... je le voyais comme un père, confesse-t-elle à Médiapart. Un jour, en 1989, j’avais 27 ans, il s’est déshabillé, m’a demandé de me déshabiller, j’ai dit non, il m’a allongée sur le divan, s’est plaqué sur moi et il m’a violée. J’étais sidérée, j’aurais voulu crier, appeler, mais je n’ai pas pu." Le médecin a fait appel de cette décision, suspendant son interdiction d'exercice.    

  La dernière plainte, instruite par la justice, a été déposée en décembre dernier par une patiente qui entretenait une sorte de relation amoureuse avec le psychiatre qu'elle consultait depuis 2001, suite à l'assassinat de son mari. "Je le voyais deux fois par semaine, toujours dans le cadre de la consultation. J’y allais en automate, en petit soldat, témoigne-t-elle. Il fallait se déshabiller, se mettre tout nu. Je ne l’ai jamais aimé, et je n’ai jamais eu de plaisir. C’est devenu une sorte d’ami, l’homme sur lequel je pouvais compter. Lui disait qu’il m’aimait. Mais le jour où j’ai proposé qu’on aille au restaurant, il s’est décomposé. Quand j’ai cessé de le voir, il m’a dit que je l’abandonnais. J’ai cessé de lui répondre au téléphone, il m’a appelée jusqu’à 18 fois par jour." Durant la garde à vue, le psychiatre admet des relations sexuelles consenties avec celle qu'il désigne comme une "maitresse". Ce qui ne l'a pas empêché de facturer les consultations médicales à chacune de leurs rencontres.  

"J’ai eu une attitude d’empathie mal interprétée"

  Contacté par Médiapart, le médecin se défend. "Je n’ai pas violé. J’ai l’impression d’avoir donné une claque, et d’être accusé de meurtre. J’ai eu une attitude d’empathie mal interprétée, il y a 30 ans. Je suis devenu très prudent. J’ai été président de la Ligue des droits de l’homme, les violences faites aux femmes sont un combat pour moi. J’ai vu 7 000 patients, 4 000 femmes. Quatre fabulatrices parmi 4 000 femmes, c’est possible."  Les trois plaignantes se disent aujourd'hui soutenues par l'actuel président du CDOM. "Aujourd’hui, la parole des femmes est plus écoutée, explique le Dr Joly. En tout cas, c’est ma position. J’ai hérité de dossiers difficiles, mais on ne peut pas m’accuser de ne pas agir."   [Avec Mediapart.fr]

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