"C'est une véritable machine à broyer" : ces médecins lanceurs d'alerte dénoncent la répression à l'hôpital
Si l'idée a émergé en 2021, c'est mercredi 10 décembre que plusieurs médecins lanceurs d'alerte, dont le Pr Bernard Granger, ont inauguré l'Observatoire de la répression des personnels hospitaliers. L'objectif : recenser et alerter sur les affaires, déjà jugées par la justice, et qui ont donné lieu à des sanctions de soignants ou de salariés de l'hôpital, pour avoir signalé des faits d'indignité des pratiques ou de maltraitance institutionnelle.
"Il s'agit là de mini-affaires Dreyfus, on s'acharne sur quelqu'un qui n'a pas commis de faute parce qu'il faut protéger l'institution." Le Pr Bernard Granger, ex-chef du service de psychiatrie de Cochin-Tarnier de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), n'a pas mâché ses mots, mercredi 10 décembre, lors d'une conférence de presse organisée à Paris pour lancer l'Observatoire de la répression des personnels hospitaliers.
"Nous avons l'impression qu'il n'y a jamais eu autant d'affaires. Le principe de cet Observatoire, c'est d'être une caisse de résonance. Nous voulons sortir des affaires individuelles pour caractériser l'ensemble du phénomène et pouvoir le quantifier. C'est un fonctionnement pathologique du corps soignant (tutelle, ARS, CNG, directions des hôpitaux…)", a expliqué le Dr Mathieu Bellahsen, ex-chef de pôle au sein d'un service psychiatrique de l'hôpital Roger-Prévot à Moisselles (Val-d’Oise), précisant que l'Observatoire s'adresse à l'ensemble des personnels hospitaliers, "pas que médecins".
En pratique, cet Observatoire vise à "recueillir et recenser toutes les situations qui ont donné lieu à des enquêtes, des suspensions, des destitutions, des sanctions, des condamnations du fait d'alertes sur la qualité des soins, l'indignité des pratiques, les maltraitances institutionnelles, les logiques harcelantes et d'ostracisation" pour en analyser les rouages systémiques, précise un communiqué, rédigé par les médecins lanceurs d'alerte.
"Les mécanismes sont toujours les mêmes", relève le Pr Granger. "Dès qu'on critique, on est pointé du doigt." "Il s'agit d'une mécanique de répression avec des enquêtes administratives à charge qui ne respectent pas le contradictoire, avec des sanctions disciplinaires déguisées", abonde le Dr Bellahsen, qui note que "le temps administratif est très rapide pour les sanctions alors que celui de la justice est très long".
J'ai le record de France de représailles
Cela a notamment été le cas pour le Dr Raouf Hammami, ex-chef du service d'orthopédie et de traumatologie de l'hôpital de Gap, qui a alerté en 2018 sur un collègue chirurgien qui faisait des "expérimentations" en injectant du ciment acrylique dans les disques intervertébraux de patients, sans leur consentement, entre 2015 et 2017.
"Plutôt que ce soit le chirurgien fautif qui soit suspendu, ils ont inauguré pour moi le catalogue complet de sanctions à compter de 2019", ironise le Dr Hammami, reconnu lanceur d'alerte par la Défenseure des droits et présent mercredi à la conférence de presse. "J'ai le record de France de représailles avec dix au total : quatre suspensions ; un détachement d'office ; un détachement aux urgences d'Aix à 150 kilomètres de chez moi, mais sans accès au bloc opératoire alors que je suis chirurgien ; trois disponibilités d'office ; et depuis une semaine, une révocation", liste le médecin.
Les sept premières sanctions du praticien ont été déboutées par la justice, dont une par le Conseil d'Etat, qui a fait jurisprudence. Les trois dernières n'ont pas encore été jugées. "Mon histoire est caricaturale, chaque fois que je gagnais en justice, je subissais une nouvelle sanction administrative", raconte Raouf Hammami à qui l'hôpital a reproché de nuire à la réputation de l'établissement et du service.
Pour lancer l'alerte, le chirurgien a pourtant suivi le protocole. "Dans un premier temps, j'ai saisi la direction de l'hôpital, puis le conseil de l'Ordre et l'ARS, ensuite le procureur et en dernier recours, la presse", retrace le chirurgien. "A chaque procédure, j'ai dû payer, parce que l'autre arme fatale qu'a l'administration, c'est de couper la protection fonctionnelle*. C'est une véritable machine à broyer psychologique et financière", analyse Raouf Hammami, qui a déboursé 140 000 euros de frais d'avocat, dont seulement 70 000 ont été remboursés pour l'instant.
"Je suis aussi broyé professionnellement, car je ne suis plus en service depuis trois ans", ajoute le chirurgien, qui fait des remplacements et qui est médecin colonel de réserve. Le praticien a envoyé plus de 30 candidatures dans divers hôpitaux mais il n'a obtenu aucune réponse favorable. "Cela montre bien qu'il y a une liste noire pour les postes de PH", estime-t-il. Pendant ce temps, son poste est toujours vacant depuis 2021. "L'hôpital cherche des remplaçants, il vient de proposer 20 000 euros pour trois semaines", sourit Raouf Hammami.
En plus des plaintes administratives, le Dr Hammami a été blanchi de diffamation et de calomnie sur le plan pénal. Il a aussi dû essuyer une plainte ordinale de la part de l'ARS, allant jusqu'au Conseil national de l'Ordre des médecins. Ce dernier "s'est également retourné contre moi parce que j'avais saisi la presse. Il a été débouté. Un médecin ne dénonce pas un autre médecin", "voilà ce que m'a dit un président de Conseil de l'Ordre", raconte Raouf Hammami.
La question de la confraternité est hautement problématique
"La question de la confraternité est hautement problématique. La confraternité devrait toujours s'arrêter quand la complicité d'un potentiel crime ou délit commence", juge Mathieu Bellahsen, à qui l'on a reproché de dénoncer des enfermements abusifs de patients pendant la crise du Covid.
Dans chaque affaire, une constante : les médecins lanceurs d'alerte sont accusés de "ternir", voire de nuire à la réputation de l'hôpital. "Pour moi, les valeurs supérieures à l'institution sont celles de la vérité et de la justice", estime Bernard Granger. Les médecins, ayant déjà fait l'objet de procédures disciplinaires, administratives ou pénales peuvent donc envoyer leur témoignage à l'adresse mail obsRPH@proton.me. "L'Observatoire est une tour d'observation, nous n'intervenons pas dans les cas particuliers, nous les recensons", insiste toutefois Bernard Granger.
"Cet observatoire est indispensable, non pas pour avoir une aide juridique, psychologique ni même financière, mais parce que l'union fait la force", espère, de son côté, Raouf Hammami. "Et quand il y aura suffisamment de cas recensés, montrant à chaque fois le même phénomène, toujours avec les mêmes mécanismes, cela va permettre de l'analyser pour le combattre."
*Prise en charge des frais de justice lorsqu'on est agent public de l'Etat. Droit octroyé par le directeur de l'hôpital
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