"Médecin généraliste, je travaille avec une IPA et j'ai zéro charge mentale"
Il est l'un des rares médecins généralistes de France à collaborer au quotidien avec une infirmière en pratique avancée (IPA). Exerçant au sein de la maison de santé Bel air, située à Carpentras (Vaucluse), le Dr Sébastien Adnot a témoigné de son expérience lors de la 2e Journée de l'exercice coordonné (Jexco), organisée le 14 juin dernier par Concours pluripro. Pour Egora, le généraliste revient en détail sur l'organisation mise en place et ses avantages. Grâce à l'IPA, "j'ai libéré 400 créneaux de consultation par an et je peux faire plus de soins non programmés", nous raconte-t-il.
"J'exerce la médecine générale depuis 20 ans. J'étais d'abord installé en cabinet de groupe puis j'ai fondé la MSP Bel air en 2012. A l'époque, on était cinq médecins généralistes ; maintenant on est plus que trois, car il y a eu un décès et un départ à la retraite.
Je suis en exercice coordonné avec une infirmière Asalée depuis 2015. J'ai aussi une secrétaire et depuis quatre ans, une assistante médicale, issue de la toute première promotion.
Quand les décrets sur les IPA sont parus, notre infirmière Asalée s'est logiquement tournée vers cette pratique. Elle a suivi la formation de deux ans, mention pathologies chroniques stabilisées - j'ai d'ailleurs été l'un de ses maitres de stage.
"On suit tous les deux entre 200 et 250 patients chroniques"
Et il y a deux ans, elle a commencé à exercer en tant qu'IPA, tout en continuant le protocole Asalée. On a débuté le suivi conjoint des patients chroniques. Aujourd'hui, on suit tous les deux entre 200 et 250 patients chroniques et ça se passe très bien ! On les voit chaque trimestre, en alternance. Quand le patient sort de mon cabinet, je lui donne un rendez-vous trois mois plus tard avec l'IPA, et vice-versa.
Si le patient a besoin d'être revu plus tôt par l'IPA, pour un suivi diététique ou un sevrage tabagique par exemple, c'est possible. Moi je suis là pour réévaluer le traitement, éventuellement faire des modifications thérapeutiques, des explorations supplémentaires.
L'assistante médicale, elle, prépare les consultations en passant en revue les examens qui ont été faits et en les intégrant au dossier médical, elle fait un point sur les vaccinations et l'ensemble des actions de prévention à faire et qu'elle peut programmer pour le patient.
Ces patients donc, je ne les vois plus 4 fois par an comme avant, mais deux fois par an : mathématiquement, j'ai donc plus de 400 créneaux de consultation qui sont libérés. Ça me permet de suivre de nouveaux patients chroniques, et de faire davantage de soins programmés. Mais sans aucune charge mentale !
"Le bon professionnel, au bon moment, pour le bon motif"
Car toute cette équipe (secrétaire, assistante, IPA) organisée autour du médecin, que j'appelle "l'unité médicale de proximité", permet de flécher l'accès des patients et d'avoir une gradation de l'utilisation des ressources de la MSP.
Quand un patient a une demande de soin non programmé, un besoin ressenti, il y a une régulation qui est faite à son arrivée au cabinet. D'abord, la secrétaire reçoit la demande et si elle est d'ordre administratif, elle va y répondre directement. Si c'est une demande médico-administrative (certificat, poussée de tension…), elle est dirigée vers l'assistante médicale, qui va prendre les constantes et voir s'il y a besoin d'un avis médical ou si ça peut rentrer dans le champ de compétence de l'IPA.
Chez le patient chronique connu, l'IPA peut voir s'il y a une nécessité d'ajuster un traitement par exemple.
Si en revanche, c'est un problème médical nouveau, qui nécessite un temps de diagnostic, elle me passe le relais et je m'organise pour voir le patient rapidement.
Ces patients s'incluent de façon harmonieuse dans mon emploi du temps. Par exemple, ce matin, j'avais une douzaine de patients sur rendez-vous mais j'ai pu intercaler 4 patients pour du soin non programmé, sans prendre de retard. Si tout a été cadré en amont, le temps de consultation peut être réduit. Pour une cystite, les constantes auront déjà été prises et la bandelette urinaire déjà faite quand je vois la patiente, j'aurai déjà tous les éléments pour prendre ma décision.
C'est tout l'intérêt de l'équipe médicale de proximité : solliciter le bon professionnel au bon moment, pour le bon motif. Quand un médecin est seul dans son cabinet, il reçoit toutes les demandes, qu'elles soient administratives, médico-administratives ou vraiment médicales, et c'est ça qui l'épuise. Le médecin qui travaille seul est toujours sollicité, pour tout et n'importe quoi, sans tri préalable. Quand il découvre que la consultation a été prise pour faire un bon de transport, forcément il est irrité… Et le coût médico-économique d'une telle consultation n'est pas raisonnable. Il est important de protéger le médecin, en utilisant le temps médical à bon escient.
Avec ce système-là, moi j'ai zéro charge mentale. Quand je vais dans la salle d'attente, la secrétaire a déjà traité la demande et si elle ne relève pas du médecin, je ne suis pas sollicité ! Ou je le suis simplement pour une validation, car on est en lien permanent.
C'est une grosse qualité d'exercice pour le médecin, qui n'est plus aux aguets, mais aussi pour le patient. Car ça permet de prendre plus de soins non programmés et d'apporter une réponse adaptée à sa demande. Tout le monde est gagnant !
Je ne vois vraiment aucun point négatif à la collaboration avec une IPA. Au début, on entendait certains médecins dire que ça allait casser la relation avec le patient puisqu'on le verrait moins… C'est tout à fait faux ! Leur médecin, c'est toujours le Dr Adnot, mais les patients ont compris qu'ils étaient suivis par une équipe. Et ça, ça change tout. Quand ils ont une demande, ils sont contents d'avoir une réponse, ils se sentent en sécurité. L'assistante médicale et l'IPA les connaissent bien et ils leurs confient plus facilement certaines choses -parfois importantes- qu'ils ne me disent pas à moi car "le Dr n'a pas le temps" ou qu'ils n'en ont pas eu l'occasion. Finalement, ça enrichit la connaissance du patient par le médecin.
"Certains patients préfèrent ne voir que le médecin"
Il y a quand même une problématique : les locaux. Tous ces professionnels ont besoin d'un espace de confidentialité, d'un bureau avec de l'équipement : tout ça a un coût. Nous, à trois médecins, une secrétaire, une assistante médicale et une IPA, on a une surface d'à peu près 200 mètres carrés. C'est compliqué de tourner sur un même bureau, car les membres de l'équipe médicale de proximité doivent être là au même moment. Or, dans certaines régions, le prix du logement professionnel locatif est élevé. Installer une équipe comme ça en plein Nice ou à Paris, ça coûtera cher. C'est là que l'Etat et les élus locaux peuvent aider.
Pour l'instant, l'assistante médicale travaille à 100% pour moi ; j'essaie de convaincre mes confrères de prendre une assistante médicale en plus. L'IPA travaille, elle, avec l'ensemble des médecins. Même si sa file active est principalement composée de mes patients chroniques, ils lui en envoient aussi quelques-uns.
Mine de rien, la file active n'est pas si évidente que ça à développer… Il y a l'obstacle du médecin qui ne souhaiterait pas confier le suivi de ses patients et l'obstacle du patient qui ne comprend pas l'intérêt d'un suivi conjoint. Certains patients préfèrent ne voir que le médecin. Parfois j'arrive à les convaincre, parfois non et on reste sur un suivi exclusivement médical. Leur choix est libre.
Or, en libéral, il faut arriver à 450 patients pour avoir une rémunération correcte. Sur le papier c'est facile, mais en pratique il faut plusieurs mois, voire plusieurs années pour ça. En attendant, comment voulez-vous payer les charges ?
En libéral, en étant uniquement IPA, ce n'est pas possible. C'est pour ça que le système Asalée est bien : il permet de sécuriser le revenu de l'infirmière et de développer la pratique avancée.
"L'accès direct ne peut s'envisager que dans un travail en équipe"
L'accès direct aux IPA est brandi comme un totem… mais pour moi, il y aura toujours la nécessité d'un lien organisationnel entre l'IPA et le médecin – un médecin réactif. L'accès direct ne peut s'envisager que dans un travail en équipe, il ne se conçoit que dans l'exercice pluripro. S'il n'y a pas de réel pluripro, il est dangereux pour le paramédical et dangereux pour le patient.
Car un infirmier, c'est un infirmier ; un médecin, c'est un médecin. Le médecin fait des diagnostics, l'IPA, dans un certain nombre de situations cliniques, pourra apporter une solution par une prescription mais il faudra toujours une confirmation, en fonction de drapeaux rouges, etc. La médecine générale, c'est 60 à 70% d'incertitudes !
On l'a vu au Canada, avec l'accès direct, on passera par une phase où il y aura plus d'examens paracliniques qui seront prescrits par les infirmières. Puis au bout de quelques années et avec l'expérience, ça reviendra à la normale. C'est une phase d'adaptation.
Si les médecins sont aussi peu nombreux à travailler avec une IPA, c'est parce qu'il y a une méconnaissance, qui est véhiculée parfois de façon démagogique par certains syndicats qui veulent protéger le pré-carré du médecin. Je pense que les professionnels doivent aller au bout de leurs compétences et si ça dépasse leur compétence, ils passeront le relais, comme le font les généralistes avec les spécialistes et les spécialistes avec les centres de référence.
Je pense aussi que cette réticence vient du fait que la profession est en crise, la signature de la dernière convention médicale – a minima, vraiment pas ambitieuse – le montre bien. Les médecins ressentent profondément le manque de valorisation de leur métier et considèrent que l'on propose ces mesures de partage de tâches parce qu'il y a une démographie médicale en berne. S'il y avait une vraie valorisation du métier, avec une réflexion sérieuse sur les locaux, sur le "qui fait quoi", il y aurait, je pense, une meilleure adhésion des médecins.
Les jeunes médecins semblent davantage enclins à laisser le suivi des patients chroniques stables aux IPA pour se recentrer sur celui des patients chroniques instables et sur le diagnostic. L'exercice coordonné doit s'ancrer dans la formation médicale. Il faut que les étudiants abordent ces notions au cours de leur cursus et qu'ils aillent en stage dans des structures qui ont ce type d'organisation, pour que l'état d'esprit change."
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