Sarah Godard, accueillante, et le Dr Arnaud Baudet-Girard devant le centre provisoire en préfabriqués. Crédit photo : Sylvain Labaune.

Sarah Godard, accueillante, et le Dr Arnaud Baudet-Girard devant le centre provisoire en préfabriqué. Crédit photo : Sylvain Labaune.

À Marseille, des médecins s'unissent pour soigner un quartier meurtri : "Les situations qu'on rencontre ici ne se règlent pas en 20 minutes"

Dans le quartier de La Paternelle (14e arrondissement de Marseille), un territoire durement touché par la précarité et la pénurie de praticiens, un collectif de médecins a ouvert le centre Mareposa, un tiers-lieu mêlant soins, prévention et accompagnement social. Quelques mois après son ouverture, le centre ne désemplit pas et symbolise le renouveau de ce quartier longtemps frappé par la violence liée au trafic de drogue. 

28/10/2025 Par Sylvain Labaune
Reportage
Sarah Godard, accueillante, et le Dr Arnaud Baudet-Girard devant le centre provisoire en préfabriqués. Crédit photo : Sylvain Labaune.

Sarah Godard, accueillante, et le Dr Arnaud Baudet-Girard devant le centre provisoire en préfabriqué. Crédit photo : Sylvain Labaune.

Le centre en Algeco est situé à quelques mètres seulement de l'entrée de la cité de La Paternelle, un ancien haut lieu du trafic de drogue, aujourd'hui déserté par les dealers, à force d'opérations de "pilonnage" par la police. Ici, on est loin de l'imaginaire que l'on se fait des quartiers sensibles, avec leurs hautes barres d'immeubles. La Paternelle, ce sont des petites maisons à étage, couleur ocre, serrées les unes contre les autres. Difficile d'imaginer qu'il y a encore quelques mois, les clans Yoda et DZ Mafia s'y livraient une guerre sanglante. Plusieurs personnes sont mortes à quelques mètres de ces constructions préfabriquées qui constituent aujourd'hui les locaux provisoires du centre.

L'ouverture en avril 2025 du centre de santé Mareposa, qui signifie à une lettre près "papillon" en espagnol, symbolise en quelque sorte le renouveau de la cité.

Le centre réunit aujourd’hui 11 professionnels : trois médecins généralistes, une sage-femme, une orthophoniste, une éducatrice spécialisée, une médiatrice en santé, deux accueillantes, ainsi qu'une coordinatrice de santé. Un quatrième médecin généraliste doit arriver prochainement. Tous sont salariés de l’association "Collectif enchanté" qui gère le centre. L'équipe collabore également avec un infirmier en pratique avancée (IPA), le seul membre à exercer sous statut libéral. Les consultations ont lieu du lundi au vendredi de 9 heures à 18 heures, ainsi que le samedi matin.

26 % de la population vit avec une ALD

Une avancée énorme pour un territoire qui cumule les difficultés d'accès aux soins. Dans le 14e arrondissement, près de 26 % de la population vit avec une affection de longue durée (ALD) et près de la moitié des généralistes ont plus de 60 ans. Depuis 2020, quatre médecins ont quitté le secteur sans être remplacés. Les habitants, souvent confrontés à la précarité, à l'isolement et à des logements insalubres, peinent à trouver un suivi médical régulier.

"Il y a bien encore deux généralistes dans le quartier, très compétents et appréciés de tous, mais cela ne suffit pas à répondre à la demande", souligne le Dr Arnaud Boudet-Girard, médecin généraliste et membre fondateur de l'association à l'origine du centre.

Ces locaux en préfabriqué ne sont toutefois qu'une solution transitoire. À terme, le centre doit s'installer dans la bastide Massenet, une grande bâtisse municipale située juste à côté, longtemps squattée mais aujourd’hui libérée. Le bâtiment, actuellement en rénovation, doit accueillir le centre Mareposa d'ici 2029, avec des espaces de soins pérennes et un jardin thérapeutique.

La bastide Massenet où doit être installé le centre de santé en 2029. Crédit photo : Sylvain Labaune.

Le chantier, estimé à 5,8 millions d'euros, est entièrement financé par la mairie de Marseille, tout comme les installations actuelles en Algeco. "Nous voulions permettre au collectif de s’implanter rapidement, sans attendre la fin des travaux. Il est vrai que ces quartiers sont abandonnés en matière de structures d’accès à la santé et il fallait faire quelque chose", explique Michèle Rubirola, première adjointe à la mairie, qui a porté le projet.

Le médecin partage les difficultés des patients avec l’équipe

Le projet Mareposa est né d'une envie commune de "faire de la santé autrement", expliquent les professionnels du centre. À l'origine, trois jeunes amis étudiants en médecine ont imaginé un lieu où les habitants pourraient être soignés, mais aussi écoutés, orientés et soutenus. "Nous voulions créer un espace de santé globale, où le médical, le social et la prévention se rejoignent", explique le Dr Arnaud Boudet-Girard.

Pour Hannah, médiatrice en santé au centre, l'approche du lieu change tout : "Si vous allez voir un médecin libéral classique, vous repartez avec une ordonnance. Ici, le médecin partage tout de suite les difficultés du patient avec l'équipe sociale, ce qui peut l'aider pour ses démarches ou son logement."

"L’idée est de créer un lieu d’accueil autant qu'un lieu de soins", ajoute Manon Jaccard, coordinatrice de santé. "Les patients peuvent prendre un café, se poser, demander conseil. Ce n’est pas une salle d’attente où l’on passe, c’est un espace de vie où l’on prend le temps de discuter avec les personnes qui entrent."

À l’intérieur des modules préfabriqués, tout a été pensé pour rendre l’endroit chaleureux et accessible. Dès l’entrée, une grande pièce lumineuse fait office d’accueil. La machine à café est mise à disposition. À côté, une table basse et quelques jouets pour les enfants. Dans les ailes du centre, une machine à laver, des douches et des toilettes pour les habitants en difficulté.

Sarah Godard, accueille les patients à leur arrivée. Crédit photo : Sylvain Labaune.
Hannah, médiatrice en santé, range l'espace enfants. Crédit : Sylvain Labaune.

Les accueillantes connaissent la plupart des patients par leur nom. Elles prennent le temps d’écouter, d’aider à remplir un dossier administratif, de proposer un verre d’eau ou un café. Un service de traduction a aussi été mis en place pour les personnes qui ne parlent pas bien le français. Ici, on peut venir même sans rendez-vous, pour une question ou simplement pour trouver une oreille attentive.

Depuis son ouverture, le centre ne désemplit pas. "Nous sommes pleins tout le temps", constate le Dr Arnaud Boudet-Girard. "Cela montre qu’il y avait un vrai besoin, malgré la présence des deux généralistes dans le quartier. Beaucoup de patients n’avaient tout simplement pas de suivi régulier façon ‘médecin traitant’."

Dès les premiers jours, les habitants du quartier sont venus nombreux. "Quand les gens viennent, on essaie toujours de leur trouver un rendez-vous dans la journée ou au plus tard dans la semaine", poursuit le médecin. "Le simple fait d’être reçu, de pouvoir entrer, c’est déjà un soulagement pour beaucoup."

Une réalité sanitaire lourde

Mais derrière cette fréquentation soutenue, les soignants sont confrontés à une réalité sanitaire et sociale lourde. "Toutes les pathologies qu’on retrouve à Marseille sont aussi présentes chez nous, mais elles sont plus importantes en termes d’incidence", souligne le Dr Arnaud Boudet-Girard. "On voit beaucoup de diabète, d’obésité, de troubles cardiovasculaires, mais aussi de dépression et de troubles psychotiques."

Les habitants du quartier cumulent souvent plusieurs difficultés : maladies chroniques, précarité, isolement. "Certains vivent dans des logements très dégradés, trop humides, avec des champignons au plafond, et beaucoup disent qu’ils toussent en permanence”, décrit Hannah.

"Souvent, les patients arrivent avec des dossiers médicaux très épais, des analyses qu’aucun médecin n’a regardées… Des situations qu’on ne règle pas avec une consultation médicale classique de 20 minutes, mais grâce à une équipe pluriprofessionnelle qui prend le temps", ajoute-t-elle.

Les besoins en santé mentale, eux, sont immenses. "Il y a deux ans encore, il y a eu des tueries ici. Beaucoup de gens sont très sérieusement traumatisés psychiquement", poursuit Hannah. "On aurait besoin d’un psychologue à temps plein, mais pour l’instant, on n’a pas le financement", complète Manon Jaccard. "Les médecins font ce qu’ils peuvent, mais beaucoup de patients arrivent avec une grande souffrance psychique et aucun suivi.”

Dans ce quartier longtemps abandonné aux mains des trafiquants, Mareposa n'a pas effacé la misère, mais il a rouvert une porte, celle d'un lieu où l'on soigne et surtout où l'on écoute.

Serez-vous prêt à recouvrir les franchises médicales ?

FRANCOISE DEFRENE

FRANCOISE DEFRENE

Non

Qu'on puisse seulement avoir l'idée de nous transformer en percepteurs dépasse mon entendement... Quel mépris ! Et c'est parti... Lire plus

1 débatteur en ligne1 en ligne
Photo de profil de JEAN-THIERRY BETROM
220 points
Incontournable
Radiodiagnostic et imagerie médicale
il y a 16 jours
La mairie de Marseille prend l'initiative d'installer une maison de santé dans une ancienne bâtisse dont la rénovation va coûter 5,8 millions d'euros aux contribuables auxquels il faudra probablement
Photo de profil de DELA LIE
1,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 16 jours
Je salue l'initiative, et le courage qu'ils leur faudra sur le long terme. Ce système de prise en charge paraît idéal, mais possible qu'avec le salariat ET PERFUSION DE L'ETAT (+région, mairie...) .
Photo de profil de JACQUES R
3 k points
Débatteur Passionné
Biologie médicale
il y a 16 jours
1/ il s'agit donc de réinventer les dispensaires. 2/ Au delà de l'utilité indéniable de ce dispensaire le problème est celui du financement dans le cadre global de la situation financière du pays. Ma
 
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