Liens entre médecins et labos : ce qui passe, ce qui casse

19/04/2023 Par A.M.
Déontologie
Chargé du contrôle des avantages procurés par les entreprises du médicament ou du dispositif médical aux médecins, le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) vient de publier son premier rapport. En 2022, plus de 115 000 médecins ont été déclarés comme bénéficiaires de rémunérations ou de frais d'hospitalité. 

 

Contre les conflits d'intérêts, les lois "anti-cadeaux" ont conduit à la mise en place au 1er octobre 2020 d'un dispositif règlementaire garantissant le contrôle et la transparence des divers "avantages" octroyés par les industriels de la santé aux professionnels et aux étudiants. Si le principe général est celui d'une interdiction, des dérogations ont été admises pour rémunérer les activités de recherche, d'évaluation scientifique, de conseil ou de prestations de service, pour les frais d'hospitalité (hôtel, repas, transport, inscription…) pour des manifestations professionnelles ou scientifiques ou encore pour le financement d'actions de formation professionnelle ou de DPC. 

Le décret du 15 juin 2020 a confié au Cnom la mission de contrôler les conventions liant les entreprises du médicament ou du dispositif médical aux médecins et étudiants en médecine. D'après le premier rapport de la commission "relations médecins industrie" de l'Ordre, 31 722 médecins ont été déclarés comme bénéficiaires en 2020, 110 773 en 2021 et 115 361 en 2022. Côté étudiants, le nombre de bénéficiaires est bien plus réduit - 108 en 2021 et 75 en 2022, la prise en charge des frais d'hospitalité étant interdite pour ces derniers.  

L'an dernier, l'Ordre a reçu près de 72 000 dossiers de la part des industriels. 153 239 conventions valorisées à moins de 2000 euros ont été soumises sous le régime des déclarations, qui prévoit la formulation d'une simple recommandation du Cnom ; 28 818 conventions, valorisées à plus de 2000 euros, ont été soumises pour autorisation : 15 960 ont été autorisées par décision expresse et 2968 ont été refusées*. Principaux motifs de refus : délai de soumission non respecté, "temps libre excessif par rapport à la durée du programme scientifique", absence de l'autorisation de la hiérarchie du médecin, aucun intérêt scientifique à la participation du médecin à un événement à l'étranger ou encore des honoraires ou hospitalités trop élevés … 

 

Faiblesse de la rémunération des experts français 

L'arrêté du 7 août 2020 a en effet fixé des seuils au-delà desquels le Cnom est habilité à donner ou non son autorisation : pour les honoraires des médecins, il s'élève à 200 euros par heure (800 euros la demi-journée) et 2000 euros pour une convention globale ; pour l'hospitalité, le seuil retenu est de 150 euros par nuitée, 50 euros par repas, un total de 2000 euros frais de transport inclus et jusqu'à 1000 euros de frais d'inscription ou de participation aux frais de formation/DPC. "Les avantages octroyés par l’industrie ne peuvent excéder un montant raisonnable pour être à la fois conformes à la déontologie et la notion d’accessoire", rappelle l'Ordre dans son bulletin de juillet-août 2021. C'est pourquoi le Cnom a fixé "des lignes directrices" pour apprécier les conventions dont la valorisation excède ces seuils : pas plus de 250 euros par heure TTC d'honoraires ou de 325 euros par nuitée dans une capitale ou métropole européenne, par exemple. Quant aux déplacements à l'étranger, l'Ordre les apprécie "en fonction de la pertinence du programme". 

Dans son rapport, le Cnom se dit favorable à un relèvement des seuils réglementaires, qui aurait pour effet, dans un contexte "de forte inflation", de diminuer le nombre de dossiers soumis à une autorisation. Il s'interroge en parallèle sur la possibilité de permettre aux docteurs juniors, praticiens associés et internes thésés de bénéficier de l'hospitalité...  

De leur côté, les industriels interpellent l'Ordre "sur la faiblesse de la rémunération des experts français en comparaison de leurs homologues européens, qui est de fait préjudiciable à la recherche française", relève le rapport. 

 

Le cas des médecins influenceurs 

Autre problématique soulevée, celle d'"un conflit potentiel entre les obligations contractuelles du médecin et ses obligations déontologiques", en particulier l'indépendance professionnelle, l'interdiction d'exercer la médecine comme un commerce, les dispositions relatives à l'information du public ou à la communication professionnelle. A ce titre, la mission de "médecin influenceur" pour le compte des industriels pose question. Alors qu'une proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été déposée à l'Assemblée nationale, l'Ordre réclame un "encadrement" de la pratique.  

Depuis la mise en place du dispositif concernant les avantages, six médecins ont fait l'objet de poursuites disciplinaires pour manquements à la déontologie, informe l'Ordre. L'une des affaires concerne un professeur poursuivi pour déconsidération de la profession et manquement à la probité "en raison notamment du montant très élevé des rémunérations perçues". Après un rejet de la plainte par la chambre disciplinaire nationale, le Cnom a contesté cette décision sous la forme d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat. 

L'implication de sociétés commerciales dans les conventions pose par ailleurs question au Cnom, notamment dans les cas où l'industriel rémunère la société pour une prestation effectuée par un médecin pour son compte. Se pose alors la question de l'"avantage indirect consenti au médecin", qui peut ne pas apparaître au contrat.  

Globalement, si le dispositif d'encadrement des avantages "contribue à garantir l'indépendance professionnelle des médecins", il "gagnerait à être simplifié et optimisé sur certains points", conclut le rapport. 

 

*2777 dossiers, comportant une ou plusieurs conventions, étaient incomplets 

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