"On s'attend à des erreurs" : quand les transferts de compétences majorent la responsabilité des infirmières et des pharmaciens

27/09/2023 Par A.M.
Prescription d'antibiotiques par les pharmaciens, accès direct aux IPA, transferts de compétences aux paramédicaux… Face à une démographie médicale en berne, le législateur fait bouger les contours des métiers de la santé. Une évolution qui ira sans doute de pair avec une hausse de la sinistralité des professions concernées dans les années à venir, anticipe la MACSF. Pour autant, l'assureur juge qu'en la matière, le bénéfice pour les patients pourrait être supérieur au risque.  

 

"Quand on élargit les compétences, on élargit aussi les responsabilités", résume Nicolas Gombault, directeur général délégué du groupe MACSF. Alors que la loi Rist, qui ouvre un accès direct aux infirmières en pratique avancée, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux orthophonistes, entre progressivement en application, l'assureur a tenté, dans un "exercice" de prospective basé sur son expérience des sinistres concernant les professionnels de santé, d'explorer les risques que pourraient représenter ces évolutions de pratiques dans les années à venir.  

 

Il y aura "une période d'adaptation" 

Si la sinistralité* des infirmières, des masseurs-kinésithérapeutes ou encore des pédicures-podologues est actuellement faible (respectivement 0.04%, 0.25% et 0.33% en 2022) comparée à celle des médecins (1.17% en 2022) ou des chirurgiens-dentistes (5.80%), "le risque n'est pas complètement nul pour les paramédicaux, contrairement à ce que l'on pourrait croire", insiste le Dr Thierry Houselstein, directeur médical du groupe. Par le passé, des infirmières ont, par exemple, été mises en cause dans des cas d'infections post-opératoires ou encore dans un décès provoqué par surdosage de morphine lié à un défaut de communication entre le service de HAD et le cabinet d'Idel, cite le médecin. En étendant le champ de compétences des infirmières en matière de traitement des plaies, de prescription d'examens complémentaires et de produits de santé, la loi Rist va majorer ces risques pour l'ensemble de la profession, souligne-t-il. Il y aura sans doute "une période d'adaptation", le temps de diffuser les bonnes pratiques, estime le médecin. Une tendance observée avec la téléconsultation, compare-t-il : après l'explosion du Covid, la pratique s'est normalisée, les médecins ayant désormais conscience des limites de l'exercice. 

Pour l'heure, des textes d'application de la loi Rist, publiés le 8 août, ont d'ores et déjà élargi les compétences vaccinales des infirmières, des sages-femmes et des pharmaciens. Mais "sur la vaccination, nous avons aujourd'hui peu de contentieux", tempère Nicolas Gombault.  

Le risque médico-légal est d'ores et déjà bien plus grand pour les IPA, aptes à réaliser un examen clinique, à pratiquer certains actes techniques et de suivi sans prescription médicale, à prescrire des examens complémentaires et des médicaments, ou encore à renouveler et adapter des traitements, analyse la MACSF. Car ces activités, qui sont appelées à se développer, entrent dans le champ des compétences médicales, relève Thierry Houselstein. "D'ici 5 ou 6 ans, on pourrait voir des erreurs de diagnostic, des erreurs de prescription, des défauts de suivi de résultats d'examen amenant à un délai allongé de dépistage et à une perte de chance", anticipe-t-il. Autres craintes formulées par le directeur médical : un non-respect des protocoles, un manque de communication entre professionnels qui serait préjudiciable aux patients, voire un défaut d'alerte du médecin, notamment dans le contexte de l'accès direct. L'IPA, qui a l'obligation de souscrire une RCP en libéral, est responsable des gestes qu'elle réalise… mais la responsabilité des autres professionnels peut également être engagée, rappelle ainsi la MASCF. Le directeur médical se montre toutefois rassurant. "On a affaire à une nouvelle profession parfaitement consciente de son positionnement et du risque médical", affirme Thierry Houselstein. 

 

Angines et cystites : 3 à 5 sinistres par an pour les médecins 

Autre activité à risque qui pourrait se développer : la prescription d'antibiotiques par les pharmaciens pour le traitement des angines et cystites, en cas de Trod positif. La mesure devrait figurer dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, qui sera présenté ce mercredi 27 septembre. L'assureur recense chaque année "3 à 5" dossiers par an concernant des angines ou des cystites mal prises en charge par des médecins. Des sinistres liés à la prescription d'antibiotiques ou au contraire, à l'absence de traitement approprié, qui sont marqués "par leur très grande gravité, qui peuvent donner lieu à des dommages corporels et des conséquences indemnitaires importantes", relève Nicolas Gombault. Concernant la prise en charge de l'angine, ce dernier a notamment relevé au cours des cinq dernières années le décès d'un enfant de 6 ans, un cas de choc anaphylactique à l'antibiotique qui a laissé le patient dans un état végétatif chronique ou encore deux chocs septiques à streptocoque, dont l'un ayant conduit à l'amputation des deux membres inférieurs et des doigts des mains du patient. "Pour les cystites, nous avons également quelques dossiers très lourds, notamment une pyélonéphrite qui a entrainé une spondylodiscite lombaire." 

Anticipant des "réclamations" concernant ce nouvel acte effectué par les pharmaciens, Thierry Houselstein souligne que la réalisation préalable de Trod est un gage de "sécurité". "On peut penser que pour les pharmaciens, la réalisation de Trod sera beaucoup plus systématique… Ils ne prendront pas le risque", considère-t-il. Pour le directeur médical, les pharmaciens ont démontré durant le Covid qu'ils étaient capables...

d'assurer "un rôle pivot" dans l'accès aux soins. 

 

 

"Quand les patients ne sont pas suivis, ça a aussi un coût" 

Si la MACSF s'attend à voir augmenter le nombre de mises en cause de paramédicaux et de pharmaciens dans les prochaines années, elle considère néanmoins que les transferts de compétences vont participer à "améliorer l'accès aux soins". "Nous, on n'est pas du tout opposés à la loi Rist. La meilleure prise en charge des patients est aussi un facteur de désinflation des sinistres. Quand les patients ne sont pas suivis, ou pas suivis correctement, ça a aussi un coût, insiste Stéphane Dessirier, directeur général du groupe MACSF. Ce coût sera peut-être moindre quand le spectre des compétences des autres professionnels de la santé sera élargi. Même si dans une période intermédiaire, de montée en charge, il y aura certainement des sinistres. Est-ce que les deux se compenseront? Aujourd'hui, on ne peut pas le dire. En tout cas, nous, on fait tout pour aider à ce développement de compétences." Raison pour laquelle l'assureur a choisi de ne pas majorer la RCP d'une IDE qui démarrerait une activité d'IPA. 

Les transferts de compétences vers d'autres professionnels de santé ne devraient pas, pour autant, diminuer la sinistralité des médecins, avertit la MACSF. "La situation est telle que je n'imagine ni une baisse de l'activité, ni une baisse de sinistralité des médecins", augure Thierry Houselstein.  

*Taux de sinistres corporels déclarés pour 100 professionnels en moyenne 

 

Les médecins généralistes restent les professionnels de santé les plus mis en cause en 2022
Si le nombre de dommages corporels déclarés l'an dernier par les sociétaires de la MACSF est en baisse de 5.18%, il y a des tendances qui restent inchangées. En valeur absolue, la médecine générale reste ainsi la spécialité qui a déclaré le plus grand nombre de sinistres (363 déclarations), devant la chirurgie orthopédique et traumatologique (267) et l'ophtalmologie (186). Ces spécialités ne sont cependant pas exposées au même niveau de risque, relève la MACSF dans son bilan annuel : le taux de sinistralité des MG n'est en réalité que de 0.87%, en deçà du taux global pour les médecins (1.17%) et loin derrière les chirurgiens viscéraux/digestifs/généraux (74.51%), les neurochirurgiens (69.17%) et les chirurgiens orthopédiques (41.62).
Cette année encore, l'indemnisation civile la plus élevée (7.298 millions d'euros) concerne un médecin généraliste, souligne l'assureur. Le praticien a été reconnu responsable du handicap d'un enfant né en 1996, atteint de trisomie 21 : en charge du suivi de la grossesse, il n'avait pas prescrit d'amniocentèse à la mère, alors âgée de 39 ans.
Globalement, le taux de condamnations au civil continue de progresser. Il a atteint 72% en 2022, en hausse de 5 points par rapport à 2021. "Il était de 30-35% dans les années 1980", souligne Nicolas Gombault, qui parle d'une "évolution préoccupante". "Les professionnels ne commettent pas plus de fautes qu'auparavant, c'est la traduction des exigences sociétales à travers la jurisprudence. La responsabilité qui pèse sur eux est plus lourde."

 

 

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18 commentaires
Photo de profil de Michel Rivoal
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Anesthésie-réanimation
il y a 7 mois
On peut tabler sur un monde de bisounours avec des professionnels motivés soucieux de leur formation continue, toujours appliqués à demander conseils ou avis complémentaires. On peut penser que les...Lire plus
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Débatteur Passionné
Chirurgie plastique reconstructrice et esthétique
il y a 7 mois
Bon Symptôme, Diagnostic, traitement Sans diagnostic pas de traitement Est qui sont les plus a même de faire des diagnostics ????? C'est malheureux de prendre toujours les problèmes à l'envers Y a...Lire plus
Photo de profil de Christiane Kouji
3,5 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 7 mois
Les pharmaciens font un trod, vont ils aussi faire uriner les patients dans leur pharmacie? Quant aux vaccins, un détail important: quand je questionne les patients sur le lieu de vaccination, c'est...Lire plus

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