"1983. Après 3 ans d'internat au CH de Vesoul, j'avais décidé de racheter la clientèle (la moitié d'une annuité) d'un médecin devenu malvoyant ayant une grosse activité. Jeunes mariés, nous n'avions pas trouvé à nous loger dans le village; aussi, avions-nous opté pour la solution temporaire - qui a duré plus de 6 mois- de loger chez une grand-mère. A l'époque, il y avait un tour de garde obligatoire dans lequel je suis rentré alors que j'étais à peine installé depuis 3 semaines. Me voilà de garde le premier week-end de février. Appel de nuit, il est 1h30. Je décroche : 'Docteur, venez vite ça saigne'. Puis silence, ça raccroche. Je me lève, incrédule, inquiet ; je me pose la question d'un mauvais rêve. Deux minutes après, nouvel appel, je me précipite vers le téléphone. Même voix grave au bout du fil : 'Docteur, venez vite ça saigne'. Je demande des renseignements, et au moins l'identité et l'adresse du patient. Mon interlocuteur me coupe la parole et sur un ton très directif me dit : 'Place de la mairie, il y a des caravanes. Je vous attends...et apportez du fil'.
J'enfile mon pantalon et m'habille chaudement car il neigeait abondamment. Je passe au cabinet chercher mon matériel de suture et le fil et me voilà parti sur la route enneigée, glissante, dont je fais la trace. Au bout de 15 kilomètres, j'arrive au village, place de la mairie. Trois caravanes de gens du voyage sont stationnées en face de la maison communale, allumée. Des traces de sang sur la neige Je vois sortir d'une des caravanes un monsieur corpulent me faisant signe avec une lampe de poche ; derrière lui, une jeune femme enceinte près de son terme. 'Bonjour docteur, c'est là', m'accueille-t-il, en me montrant la caravane éclairée. Je m'introduis dans celle-ci, en remarquant au passage des traces de sang sur la neige fraiche. Et là, je découvre un jeune homme volontiers obèse, vautré sur un fauteuil, n'arrêtant pas de se plaindre et manifestement bien éméché. La télévision diffusait un western bruyant. Le jeune homme présentait une plaie béante, qui saignait bien, de plus de 10 cm de long sur l'avant-bras gauche. 'Oh la la, dis-je en me retournant vers l'homme qui m'a accueilli si chaleureusement, je ne vais pas pouvoir le prendre en charge, il va falloir l'hospitaliser.' Je craignais en effet une lésion tendineuse. Et là, j'entends une voix glaciale dans mon dos : 'Docteur, je vous ai appelé, pas question d'hôpital.' C'était sans appel. L'ambiance devenait de plus en plus glauque et angoissante. Donc me voilà à vérifier l'absence de lésion, notamment tendineuse, chez ce patient peu coopératif, opposant - un dénommé Jeff, que son supposé père, toujours derrière moi, a dû recadrer sans ménagement. J'ai alors entrepris la suture après une anesthésie (que je qualifierais de "rapide" aujourd'hui...l'alcool doit être un bon anesthésiant) avec la collaboration de sa femme qui essayait de lui maintenir immobile le membre supérieur et m'éclairait d'une main tremblante. Je fais une douzaine de points. "C'est pas fini" Content de mon travail -ses doigts bougeaient bien, je me lève et là derrière moi j'entends toujours la même voix glaciale me dire : 'Docteur, c'est pas fini'. Je regarde le patient, ne comprenant pas. 'Il y en a un autre… [long silence]... venez avec moi.' Nous sortons de la caravane sous la neige et nous nous dirigeons vers le bâtiment communal éclairé suivant des traces de sang qui maculaient la neige. Arrivés au pied du bâtiment, je perçois des gémissements humains et je vois une femme d'un certain âge qui lave à grandes eaux des étroits escaliers pleins de traces de sang. A l'étage, je découvre un homme allongé sur le ventre sur un lit, à moitié nu, présentant une plaie de la racine de la cuisse débordant sur une bourse. Alors je me retourne dubitatif vers le personnage toujours aussi sympathique qui me dit avant que je ne commence à parler : 'Docteur, continuez votre travail.' Me voilà à grimper sur le lit et à suturer du mieux que j'ai pu et surtout avec le peu de fil de suture qui me restait. Content de voir le bout de ma galère, je rassemble mon matériel et veux m'installer pour remplir les feuilles de soin, inquiet de la tournure que ça allait prendre (VN 30km double suture). 'Docteur, rangez tout ça.' Je regarde le personnage, qui me tend trois billets de 100 francs et me dit d'une voix qui ferait trembler les murs : 'Docteur, vous n'avez rien vu et d'ailleurs vous n'êtes pas venu.' Je lui ai repondu : 'J'ai compris...' J'étais à l'époque jeune, certainement impressionnable, en tout cas pas à l'aise dans cette situation. Mais faire profil bas était la meilleure solution. Je n'ai jamais revu ces patients."
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Faut-il mettre fin à la possibilité pour un médecin retraité de prescrire pour lui-même ou pour ses proches ?
Jacques Albertini
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Vu le manque de médecins et des rdv à 15 jours pour une angine !! Largement oui... Lire plus