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"C'est un peu l'arnaque" : généralistes, ils ont employé une assistante médicale pour le meilleur… ou pour le pire

Si certains médecins tirent indéniablement leur épingle du jeu avec l'embauche d'un assistant médical, d'autres ont enchainé les déconvenues. Egora a recueilli le témoignage de deux généralistes dont l'aide financière a été fortement réduite, faute d'avoir pu atteindre leurs objectifs. 

20/01/2025 Par Aveline Marques
Assistant médical Témoignage
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"Les assistants médicaux, c'est un peu l'arnaque, lance la Dre Bénédicte Delmas-Guillois. Mais à des jeunes qui me posent la question, je réponds que malgré tout ça m'a permis de prendre quelqu'un. Sinon, je n'aurais pas osé."

Installée à Egreville (Seine-Et-Marne) dans un pôle de santé, la généraliste a été parmi les premières à sauter le pas, dès la fin de l'année 2019. Exerçant en zone sous-dense, elle a pu embaucher une assistante médicale à temps plein. Mais les déconvenues s'enchainent : ses charges augmentent fortement, la formation est chronophage, et la délégation n'est pas si simple à mettre en place. 

"Pour 800 euros, je m'engage avec la Sécurité sociale, avec des comptes à rendre"

Installée dans sa propre salle, son assistante répond au téléphone une heure le matin, "pour les urgences". Le reste de la journée, elle décharge la généraliste de certaines tâches administratives chronophages (remplissage de questionnaires pour les certificats de sport, évaluations pour les bilans cognitifs chez les personnes âgées, aide pour les dossiers MDPH), fait le lien avec les cabinets de spécialistes, réalise certains actes techniques comme les examens pour l'apnée du sommeil, les spirométries et les ECG… "Ça me permet de faire plus pour les patients, remarque Bénédicte Delmas. Mais ça ne m'a pas permis d'en voir plus.

Car si son assistante peut être amenée à prendre la tension, la température ou la saturation, elle ne réalise pas à proprement parler une pré-consultation. "On a essayé mais je n'y arrive pas, reconnaît Bénédicte Delmas. Il y a trop de choses que j'ai besoin de regarder. Comment ils marchent, comment ils se lèvent... Ça me prend du temps, mais ça me sert. Et pendant la consultation, je ne peux pas m'empêcher de poser des questions au-delà du motif initial."

Arrivée à la troisième année du contrat, les objectifs ne sont pas atteints et l'aide s'en trouve fortement diminuée. "En plus de ça, j'ai craqué, je me suis arrêtée deux mois. Je me suis retrouvée avec une chute de mon chiffre d'affaires assez importante", confesse la praticienne. Se sentant "un peu bloquée dans le système", Bénédicte Delmas envisage désormais d'en sortir. "Ma comptable avait calculé que la différence était de 800 euros, c'est jouable. Là pour 800 euros, je m'engage avec la Sécurité sociale, avec des objectifs et des comptes à rendre… Ce n'est pas si intéressant que ça", conclut-elle.

 

Une assistante finalement licenciée

Une expérience "mitigée" qui rejoint celle du Dr Jean-Luc Caniggia. Installé avec un confrère à Fleurimont, près de Saint-Paul à La Réunion, ce généraliste de 63 ans a finalement fait le choix de licencier son assistante. Les deux associés s'étaient lancés dans le dispositif "il y a un peu plus de deux ans", choisissant d'embaucher une "jeune fille du quartier", chacun pour un ½ ETP. Très vite, ils découvrent "la farce" : deux jours par semaine, l'assistante part en formation. "On s'en est accommodés. Elle est allée au bout de son cursus et nous avons salué sa réussite", relate-t-il. 

"Tout allait bien dans le meilleur des mondes jusqu'à la troisième année. L'été dernier, la déléguée de l'Assurance maladie arrive au cabinet et nous sort ses statistiques : nous avions échoué sur la file active, que nous devions augmenter de 10 à 15%", se souvient-il. En conséquence, l'aide est réduite de 25%. S'ils veulent continuer à en bénéficier, ils ont trois mois pour corriger le tir. "On lui a fait remarquer qu'on n'avait pas le droit d'aller faire un battage dans la rue pour amener le chaland", ironise Jean-Luc Caniggia. Surtout, les deux médecins font valoir qu'à proximité, deux centres de soins non programmés se sont installés dans l'intervalle, dont l'un est situé "à 200 mètres"…

Les deux confrères, inquiets à la perspective d'avoir à "sortir plus d'argent pour maintenir l'assistante dans son poste", se mettent à "à réfléchir sur son intérêt". "Jusqu'ici, on s'était dit : 'Il faut la former, elle va se dégourdir et pouvoir faire des choses.' Mais on avait déjà subi un petit revers : à la formation, ils lui ont dit qu'elle n'avait le droit de faire que ce qui est automatisé. On ne va pas loin…", déplore Jean-Luc Caniggia.

"La promesse de doubler votre capacité de travail n'est pas tenue"

Les deux généralistes réalisent alors que leur assistante médicale "occupe l'essentiel de son temps à servir d'interface humaine à tous les systèmes informatiques que la caisse met à notre disposition", résume-t-il. "Elle relevait la messagerie MSSanté, se connectait pour récupérer les comptes-rendus des hôpitaux, les biologies, les examens d'imagerie… Elle prenait des rendez-vous pour les patients. C'était plus des tâches administratives, quoi." Le reste du temps, note-t-il, "elle est l'ombre de la secrétaire, attendant derrière elle que la journée passe…"

Jean-Luc Caniggia et son associé décident d'arrêter les frais, déçus de ne pas avoir pu bénéficier d'une assistante réellement "médicale". "Financièrement, on n'a pas perdu grand-chose, quelques milliers d'euros. Mais ça nous a coûté du temps car on a quand même essayé de lui expliquer comment on faisait un vaccin, comment on préparait un aérosol, comment on posait un ECG…". Et de conclure : "Pour moi, la promesse de doubler votre capacité de travail, elle n'est pas tenue."

Entrepreneur dans l'âme, le Dr Bertrand Legrand, président des Généralistes-CSMF pour les Hauts-de-France, a un tout autre avis. Installé à Tourcoing avec son épouse, le généraliste a sauté sur l'occasion dès 2019. "J’avais déjà réorganisé mon cabinet avec du personnel surstaffé pour me faire gagner du temps", raconte-t-il. Sa secrétaire, une infirmière formée en Algérie, "pesait les patients, les toisait, préremplissait les arrêts de travail." "Quand est arrivé le modèle des assistants, immédiatement j'ai signé. On me proposait de payer une partie du salaire que je payais déjà. Il fallait être fou pour ne pas le faire !"

"On a une chance phénoménale de toucher ces subventions"

Désormais, le cabinet tourne avec deux assistantes, mari et femme ayant pris chacun un contrat à leur nom : la première assistante est 100% clinique, réalisant des EFR, des ECG, des spirométries et même la préparation des polysomnographies, tandis que l'autre a un profil plus administratif, accueillant les patients, les installant, réalisant la facturation... "Dans une consultation, l'encaissement, c'est au moins 1 minute. 1 min multipliée par 60 patients, c'est 1 heure, en 1h je vois 4 patients supplémentaires", calcule Bertrand Legrand, qui estime que ces deux postes sont largement rentables ; l'un car il permet de coter des actes techniques, l'autre car il lui fait gagner du temps. Cette organisation a d'ailleurs permis aux généralistes d'augmenter de 30% leur patientèle médecin traitant. "Quand on a pris le 2e ETP, j'ai même consenti à augmenter mes objectifs de file active, alors qu'on est en percentile 99", lance Bertrand Legrand.

"On a une chance phénoménale de toucher ces subventions, affirme le médecin, qui milite pour le développement du travail aidé. Le modèle marche, mais il faut aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. Il y a 50000 généralistes, il faut se donner un objectif de 150 000 employés dans les cabinets.

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En tant que MSU , je ne souhaite pas participer à cette mascarade. Il ne s’agit pas de formation, mais d’utilisation de ressource... Lire plus

4 débatteurs en ligne4 en ligne
il y a 17 jours
Les seuls qui en profitent réellement ce sont les organismes de formation, 279 heures pour apprendre à dire bonjour (et au revoir), le reste, bref la pratique, la vraie vie, étant fait par le médecin
Photo de profil de Romain L
14,8 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 17 jours
Dans un gros cabinet d'au moins 3 médecins, c'est probablement une bonne chose. En dessous, c'est de l'abattage à la chaîne, très loin de ma conception de la médecine.
il y a 16 jours
Sur le principe ,pourquoi pas . Mais certainement pas pour une médecine expédiée en 10 minutes ordonnance comprise . Le médical se robotise, l'échange, la qualité se dégradent.. Aucun attrait !
 
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