
Moins de travail, plus de patients... Cinq ans après, les assistants médicaux ont-ils tenu leurs promesses ?
Si l'objectif des 10 000 contrats d'assistants médicaux signés n'a pas été atteint en 2024, la promesse d'une augmentation du nombre de patients suivis par les médecins généralistes semble tenue, avec une moyenne de 258 patients supplémentaires, si l'on en croit l'étude présentée par la caisse en décembre. Quels sont les freins qui demeurent ? Tous les médecins parviennent-ils vraiment à remplir leurs objectifs ? L'assistant médical est-il le remède miracle à la pénurie de médecins ? Egora a mené l'enquête pour mieux cerner la réalité derrière les chiffres.

"L'intuition de Nicolas Revel* était la bonne, maintenant on a la preuve que ça fonctionne." Plus de cinq ans après la création de l'aide à "l'embauche" d'un assistant médical**, l'heure est au bilan pour ce dispositif, censé libérer du temps médical. Et pour Marguerite Cazeneuve, numéro 2 de la Cnam, il est indéniablement positif. "Ça se vérifie sur tous les contrats", assure-t-elle à Egora. Des plus anciens au plus récents, "on n'a pas de contrat perdant, l'assistant médical, ça marche à tous les coups, si je puis dire".
Les chiffres présentés par la Cnam le 3 décembre dernier semblent confirmer les bénéfices tirés du dispositif par les premiers signataires***, ce qu'une étude avait montré dès 2022. "A l'époque, on nous avait dit : 'De toute façon, tous les médecins ont vu leur patientèle augmenter', retrace la directrice déléguée à l’organisation des soins. On a refait cette étude pour montrer que non seulement la patientèle des médecins ayant un assistant médical a augmenté dans l'absolu, mais aussi plus vite que la patientèle moyenne de tous les médecins."
En quatre ans, les 402 généralistes observés ont vu une hausse de 19.5% de leur patientèle, passant de 1318 patients MT en moyenne à 1576, révèle l'étude. C'est 11 points de plus que l'objectif moyen qui leur avait été fixé par la Cnam en contrepartie de l'aide financière. A titre de comparaison, la patientèle des médecins non signataires ne s'est accrue que de 6.6% sur la même période.
Même les généralistes dont l'activité initiale les plaçait au 95e percentile, ou au-delà, ont augmenté leur patientèle de 15.8% en moyenne, dépassant "largement" leur objectif qui était de la maintenir ou de l'accroître légèrement (+5%) pour ceux qui ont embauché un temps plein. "Ça booste particulièrement ceux qui avaient des petites patientèles mais en valeur absolue, c'est assez homogène, remarque Marguerite Cazeneuve. En moyenne, un assistant médical vous permet de prendre 260 patients en plus."
Patientèle et file active, des objectifs incompatibles
Mais tous les indicateurs ne sont pas au vert : l'étude révèle que globalement, les premiers généralistes signataires ne sont pas parvenus à atteindre leurs objectifs d'augmentation de la file active. En moyenne, le nombre de patients vus dans l'année a augmenté de 4.5%, en-deçà des +7.2% fixés par les contrats. Rien d'étonnant pour le Dr Richard Talbot, trésorier de la FMF. "Ces objectifs sont mutuellement incompatibles, pointe-t-il. Le bébé que vous prenez dans votre patientèle, il vous fait gagner une unité mais il vous prend 10 plages de consultation dans l'année, même chose pour les patients polypathologiques ou âgés."
La dernière convention a corrigé le tir : si l'objectif est atteint pour la patientèle MT mais que la file active se maintient (et vice versa), l'aide est maintenue en intégralité. "Le vrai sujet pour nous, c'est la patientèle MT. C'est ça qui est visé : avoir des patients qui sont suivis", appuie Marguerite Cazeneuve. Richard Talbot révèle toutefois que les premiers contrats ont une faille : "Les objectifs de file active ne sont pas opposables, j'ai rattrapé deux contrats comme ça", sourit-il.
L'aide n'a encore jamais été retirée
Car si les résultats sont bons dans l'ensemble, tous les médecins ne sont pas parvenus à remplir leur part du contrat. Egora a recueilli le témoignage de deux généralistes dont l'aide a été réduite, faute d'avoir atteint l’objectif fixé pour la 3e année du contrat. "L'aide n'est pas retirée, elle est recalculée proportionnellement à l'atteinte de vos objectifs", précise d'emblée la directrice déléguée de la Cnam. "Un retrait total ne s'est encore jamais produit", nous assure-t-elle. "Et le cas échéant, ce sera regardé de manière très très attentive. Il n'y aura pas de résiliation de contrat sans que nous, le national, on ait regardé", insiste Marguerite Cazeneuve.
Des circonstances particulières (maladie, installation d'un médecin à proximité…) peuvent en effet expliquer que les objectifs ne soient pas atteints. "On a introduit plein d'exceptions et on a redonné la main à la commission paritaire nationale", précise la numéro 2 de la Cnam. Quelques cas de "triche" ont toutefois été "remontés" de façon "extrêmement résiduelle", nous révèle-t-elle, citant le cas d'un médecin qui "avait employé quelqu'un de sa famille pour avoir une source de revenus complémentaires, et pas pour augmenter son activité".
L'immobilier, un frein majeur
Si le nombre de contrats signés augmente régulièrement sous l'effet des assouplissements successifs (la condition d'exercice coordonné a été levée, il est possible d'avoir un ETP en dehors des zones sous-denses...), le cap des 10 000 assistants médicaux voulu par Emmanuel Macron pour fin 2024 n'est toujours pas franchi. Au 1er janvier 2025, ils n’étaient que 7596 (dont 5 507 généralistes et 2 089 spécialistes). "On se fixe toujours des objectifs très ambitieux, c'est une manière de pas lâcher une dynamique importante", répond Marguerite Cazeneuve, qui juge "possible" d'arriver aux 10 000 en 2025, en travaillant sur les points de blocage qui subsistent.
La Cnam espère que la nouvelle convention donnera un coup d'accélération au dispositif : l'aide a été revalorisée de 5%, les objectifs ont été abaissés pour les MG à très forte patientèle ou âgés de plus de 65 ans, et la possibilité d'emploi d'un second assistant médical a été introduite pour les praticiens exerçant en ZIP.
Les partenaires conventionnels vont également travailler sur la mutualisation de l'emploi d'un assistant médical. S'il était déjà possible de se partager un ETP entre médecins, "les objectifs étaient individuels", souligne en effet Marguerite Cazeneuve. Demain, plusieurs médecins exerçant au sein d'une maison de santé, par exemple, pourront signer un contrat et seront collectivement tenus de respecter les objectifs. "Ça permet de mutualiser un peu les risques conjoncturels et ça fait davantage sens car souvent, il n'y a pas un ETP par médecin", fait valoir la représentante de la Cnam.
Mais le "principal sujet aujourd'hui, c'est les locaux, juge Marguerite Cazeneuve. Partout où c'est cher, où l'emploi d'un assistant induit un coût en termes d'immobilier, c'est un frein." La carte des contrats signés en témoigne. "C'est dans les déserts médicaux que les médecins en ont le plus de besoin, et c'est aussi là où il est plus facile d'avoir des locaux, là où les élus sont les plus mobilisés", analyse-t-elle. A charge pour l'Assurance maladie de sensibiliser ces derniers. "Il peut y avoir une tentation d'ouvrir des centres de santé, d'installer une télécabine… Mais le plus important c'est d'aider les libéraux qui sont déjà installés, c'est sur eux qu'il faut miser, lance Marguerite Cazeneuve. Et le meilleur moyen de les aider, c'est de le trouver un local plus grand pour recruter un assistant."
Des assistants cantonnés à des tâches administratives
La nouvelle convention lève un autre frein majeur, souligne Richard Talbot. Jusqu'ici, un médecin ne pouvait pas profiter du financement pour promouvoir sa secrétaire au poste d'assistante, à moins de remplacer cette dernière. Il peut désormais opter pour une plateforme de prise de rendez-vous, signale le généraliste normand, qui a décidé de se lancer. "J'emploie une secrétaire depuis 20 ans, mais je ne pouvais pas la passer en assistante à cause de cette condition de non-substitution. Si elle obtient sa qualification d'assistante, quand je vais partir à la retraite, soit ce sera plus facile pour moi de retrouver un successeur, soit ce sera plus facile pour elle de retrouver du travail." Dans ce cas de figure, une partie de la formation d'assistant (279 heures) peut faire l'objet d'une VAE, fait valoir le généraliste. Mais il alerte cependant ses confrères : "Quand vous partez de zéro, c'est facile d'augmenter votre patientèle, mais quand vous avez déjà une secrétaire, ça ne va pas forcément augmenter beaucoup votre possibilité de travailler plus."
D'autant que pour l'heure, les assistants médicaux sont "cantonnés à des tâches administratives", déplore-t-il. Y compris les 15% d'entre eux qui ont un profil d'aide-soignante ou d'infirmier. Le référentiel métier négocié avec les syndicats de salariés de la branche des cabinets médicaux permet l'accueil du patient, la gestion du dossier informatique, une aide à l'habillage/déshabillage, la prise de constantes, des tâches de coordination… Si une "aide à la réalisation d'actes techniques" est bien prévue, les assistants "n'ont le droit d'utiliser aucun appareil qui n'est pas totalement automatique", déplore le représentant syndical. "Même faire un ECG c'est interdit, c'est le médecin qui doit mettre en place les électrodes ; en gros ils ont le droit d'appuyer sur le bouton", ironise-t-il. "On s'est engagé à travailler sur cette question, en lien avec les infirmiers", répond Marguerite Cazeneuve.
L'assistant médical pourra-t-il être un jour être au médecin ce que l'assistant dentaire est au dentiste ? Les médecins que nous avons interrogés ne cachent pas leur scepticisme : l'assistant médical permet indéniablement de travailler mieux… mais pas de travailler plus. "Il y a ce fantasme que d'un coup, on va faire des consultations de 10 minutes et que l'on va voir deux fois plus de monde", commente Richard Talbot. L'étude de la Cnam montre que les généralistes ayant signé un contrat n'ont augmenté leur nombre d'actes par jour que de… 2. Soit 450 actes de plus à l'année. "Ça fait cher payé la consultation", ironise le syndicaliste.
Anciens vs nouveaux contrats :
Les premiers médecins signataires arrivent au terme de la période des 5 ans pour laquelle le contrat avait été conclu. Ils peuvent soit le renouveler, soit le résilier pour repartir de zéro, et ainsi bénéficier à nouveau du montant maximum de l'aide et de trois années supplémentaires pour atteindre leur nouvel objectif. Si les nouveaux contrats sont réputés plus "favorables", avec des objectifs "plus progressifs", les anciens restent avantageux, souligne Richard Talbot. Car les objectifs fixés initialement pour la 3e année "sont pérennes, il faut simplement se maintenir"…
*Ancien directeur général de la Cnam, aujourd'hui directeur de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
**Publié le 14 août 2019, l'avenant 7 à la précédente convention médicale a instauré une aide à "l'embauche", devenue par la suite une aide à "l’emploi" pérenne.
***L'activité de ses 402 généralistes non primo installés qui ont signé leur contrat entre le 1er septembre 2019 au 31 juin 2020 est comparée à celle de 18 580 médecins non signataires ayant le même profil.
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