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Pourquoi le statut de médecin collaborateur a le vent en poupe

"Ça permet de mettre un pied à l’étrier, sans trop de charge mentale" : pourquoi le statut de médecin collaborateur a le vent en poupe

Vingt ans que le statut existe et aujourd’hui encore, exercer en tant que médecin collaborateur continue de séduire les jeunes et les moins jeunes. Le libéral sans les inconvénients, vraiment ?

10/02/2025 Par Pauline Bluteau
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Pourquoi le statut de médecin collaborateur a le vent en poupe

Quand on lui propose de devenir collaboratrice dans un cabinet en pleine expansion à Rennes, Mathilde Chouquet est loin de répondre par un "oui, je le veux" en étant émue aux larmes. S’installer à son compte pour le meilleur et rien que pour le meilleur, la jeune médecin généraliste n’y croyait pas trop. "Je voulais m’installer mais je ne savais pas où exactement, rétorque-t-elle. Je ne voulais pas être coincée quelque part sans savoir si je resterais 2, 3, 5 ou 10 ans."

Après quatre ans de remplacement en région parisienne où elle a effectué son internat, la généraliste déménage à Rennes en 2023. "J’ai continué les remplacements parce que je ne connaissais pas le territoire." Elle reste finalement un an dans le même cabinet où se succèdent deux congés maternités. "Je savais qu’ils cherchaient à s’agrandir mais quand ils m’ont proposé de rester pour devenir collab’, j’avais plutôt envie de continuer les remplacements pour avoir d’autres expériences. Et finalement, j’ai accepté", raconte-t-elle.

 

Absorber la surcharge de travail

S’installer en étant inclus dans une équipe tout en gardant sa liberté, il n’en a pas fallu plus pour convaincre Mathilde. Celle qui est devenue collaboratrice en octobre dernier ne voit pour l’instant pas vraiment de différence avec son statut de remplaçante "longue durée". "Ce qui me plaît, c’est de pouvoir suivre les patients, c’est une responsabilité agréable", s’amuse-t-elle. Sa patientèle grimpe de jours en jours grâce au bouche-à-oreille. La métropole de Rennes est loin d’être considérée comme un désert médical et pourtant, les rendez-vous s’enchaînent pour Mathilde Chouquet qui ne consulte que trois jours par semaine. "Je vois les patients de ma titulaire quand elle est absente le mercredi et je crée également ma patientèle. Ça va très très vite, ça fait un peu peur parfois."

C’est bien tout l’enjeu de la collaboration : débuter son installation en absorbant la surcharge de travail du médecin titulaire et à condition de ne pas travailler plus que lui. "Pour le titulaire, la collaboration est un avantage : il vient soulager une activité excessive en assurant la continuité et la permanence des soins", approuve René-Pierre Labarrière, président de la section exercice professionnel au Cnom. Alors de là à craindre une concurrence entre médecins, les généralistes préfèrent en rire. "On ne manque pas de travail, la concurrence n’existe pas. L’esprit de la collaboration, c’est plutôt le parrainage, la confraternité, pas la concurrence", rétorque le représentant de l’Ordre.

La collaboration peut aussi être un bon compromis en cas de succession. C’est dans ce contexte que Marie Bonneau est passée de collaboratrice à associée. Originaire de La Rochelle, la médecin généraliste ambitionne de s’y installer. Après plusieurs remplacements, elle se voit proposer un poste de collaboratrice, deux jours et demi par semaine, dans un cabinet de Saint-Rogatien, le temps que la médecin titulaire prenne sa retraite. "Je trouvais que c’était une très bonne idée, à la fois pour elle qui avait du mal à décrocher et pour les patients afin que la transition se fasse en toute confiance." Pendant deux ans, Marie partage son bureau avec la médecin titulaire. Au printemps 2024, elle devient associée au cabinet. "Et je vais prendre une collaboratrice dans quelques mois parce que j’ai finalement hérité de 1.000 patients et je veux me soulager."

 

Une première installation sans contrainte

Actuellement, le Cnom comptabilise 5.398 collaborateurs libéraux dont 3.681 généralistes. Les collaborateurs salariés sont moins nombreux : 780 dont 144 médecins généralistes. Au total, les collaborateurs représentent moins de 3% des médecins actifs. Mais après vingt ans d’existence et plusieurs arrêtés venant encadrer cet exercice, le statut de collaborateur a toujours le vent en poupe. "Il attire parce que c’est un chaînon manquant dans notre exercice, pose Raphaël Dachicourt, président de ReAGJIR. Il permet à la fois d’avoir une première expérience d’installation, de s’ancrer sur un territoire, au sein d’une équipe, le tout, de façon progressive."

Le plus souvent, comme Mathilde et Marie, les jeunes médecins débutent leur carrière par des remplacements avant de s’orienter vers l’installation. D’après le représentant syndical, les deux statuts, remplaçant et collaborateur, restent indispensables, seules les conditions d’exercice sont à distinguer. "Le remplacement est plus précaire parce qu’on ne s’engage pas sur une activité pérenne mais cela peut convenir si on a envie de bouger, explique à son tour Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux. Et comme les jeunes médecins sont mal renseignés à l’université au sujet de l’installation, la collaboration leur permet de mettre un pied à l’étrier, sans trop de charge mentale. Ils approchent le libéral de façon plus souple."

 

Un statut "confortable" dans l’ensemble

De la souplesse, le mot ressort à tous azimuts. La patientèle est déjà omniprésente, le médecin collaborateur exerce en son nom avec ses propres feuilles de soin, il n’a pas besoin d’investir dans des locaux ou du matériel et son contrat (en CDD ou CDI) lui permet de quitter son statut à tout moment. La hiérarchie, elle, n’existe pas, le collaborateur n’est pas salarié du médecin titulaire. "On est chef d’entreprise, on est maître de son activité en tant que collaborateur mais il faut accepter d’être en retrait sur certaines décisions, estime Raphaël Dachicourt. Et puis, en tant que nouveau, on doit toujours faire nos preuves." Les logiciels, le matériel, la présence ou non d’un secrétariat médical, les jours de présence… autant de termes qui sont à discuter avec le titulaire mais qui s’imposent au médecin collaborateur.

Néanmoins, pour Mathilde Chouquet, la collaboration ressemble plutôt à un "travail d’égal à égal". "Je fais plus de compta que quand j’étais remplaçante mais ce statut est beaucoup plus cool en termes d’organisation : j’ai mon propre emploi du temps, je choisis mon temps de consultation, c’est confortable, je prends mon temps et c’est moins stressant."

Il n’y a d’ailleurs pas que les jeunes médecins qui y trouvent leur compte. Jean-Yves Savidan a exercé plus de 40 ans comme médecin généraliste en libéral. Retraité depuis 2017, il a préféré devenir collaborateur "pour garder [son] indépendance" après la vente de son cabinet en Mayenne. "Je ne suis pas du tout à plaindre, je fais ce que j’aime sans contrainte, rit-il. C’est quand même un vrai luxe de n’avoir aucune paperasse à gérer. Je ne m’occupe de rien, juste de mes patients." Revenir à l’essentiel, c’est ce qui a convaincu cet acharné du travail à renouveler son contrat pour une année supplémentaire "au moins, certainement deux si ma tête fonctionne et que ma santé me le permet", complète-il. Aujourd’hui, il travaille deux jours par semaine, pour pouvoir s’occuper de ses petits-enfants le reste du temps. "Je suis au cabinet à 8h et je rentre chez moi à 20h, le rythme est relativement intense. La liste d’attente est incroyable, relate-il. Et bientôt, deux médecins doivent partir à la retraite, ce sont encore 5.000 patients supplémentaires qui vont se retrouver en errance. Mais je ne peux pas faire plus, sinon, j’aurais gardé mon cabinet." Selon le Cnom, les collaborateurs retraités sont de plus en plus nombreux : le statut leur permet de limiter leur exercice progressivement tout en ayant un cadre.

"Parler d’argent, ce n’est pas facile et c’est là que peut s’instaurer un peu de hiérarchie"

 

La redevance, le sujet qui peut fâcher

Malgré cette grande souplesse, en contrepartie, les collaborateurs ont l’obligation de verser une redevance au médecin titulaire afin de couvrir les frais de fonctionnement du cabinet. Cette redevance est négociée lors de la signature du contrat. En travaillant trois jours par semaine au cabinet, Mathilde Chouquet a une redevance à hauteur de 30% des honoraires. Un budget qui lui semble convenable face aux charges du cabinet qui comprend notamment une secrétaire médicale. "Parler d’argent, ce n’est pas facile et c’est là que peut s’instaurer un peu de hiérarchie, le plus important c’est de bien communiquer, sans dire oui à tout", estime la généraliste rennaise.

Un avis partagé par le président de ReAGJIR. "Chaque partie doit rentrer dans ses frais et tout dépend de l’organisation du cabinet, appuie Raphaël Dachicourt. Il faut une discussion saine, poser les chiffres, que tout soit transparent et si possible que ce pourcentage de redevance puisse être modulé en fonction de l’activité (en cas de vacances ou au contraire, d’une grosse période d’activité)."

Car le Cnom insiste sur ce point, "l’objectif n’est pas de se faire de l’argent sur le dos du collaborateur". Mais à l’inverse aussi, de ne pas mettre le collaborateur en difficulté. Pour Marie Bonneau, le début de la collaboration près de La Rochelle n’a pas été rose financièrement parlant. Pendant deux ans, la généraliste peine à trouver sa place au sein du cabinet : "Les patients n’étaient pas pressés de me compter comme médecin traitant, c’était un conflit de loyauté vis-à-vis de leur médecin, explique-t-elle. C’était une très bonne expérience mais financièrement, c’était compliqué parce qu’on est au bon vouloir du titulaire." En devenant médecin traitant, un forfait patientèle s’applique. Ce montant doit être revalorisé pour 2026 et peut par exemple atteindre 15 euros pour un patient de moins de 7 ans sans ALD et jusqu’à 100 euros par patient de plus de 80 ans en ALD. "Certains titulaires ne se rendent pas compte que c’est une partie de notre rémunération et qu’elle doit être prise en compte pour calculer la redevance." "C’est l’écueil, renchérit le président de ReAGJIR. Les patients peuvent avoir peur de quitter leur médecin traitant donc la montée en charge pour les collaborateurs est plus lente et cela se ressent financièrement."

Les médecins collaborateurs peuvent aussi multiplier les collaborations puisqu’ils exercent souvent à mi-temps dans les cabinets. Mais la redevance peut alors grimper si toutes les parties ne s’accordent pas financièrement. Marie Bonneau, elle, a préféré travailler comme médecin régulateur au Samu en plus de son activité au cabinet.

Au contraire, Jean-Yves Savidan balaie la question financière. "C’est très malhonnête vis-à-vis du patient de lui demander d’être son médecin traitant : mes patients ne peuvent être malades que deux jours par semaine, le mercredi et jeudi quand je suis au cabinet ? Je me considère plus comme un médecin de substitution du médecin traitant."

 

De collaborateur à associé

Tout dépend aussi des ambitions du collaborateur. Ambitions qui ne sont peut-être pas les mêmes en début ou en fin de carrière. "La collaboration reste un statut intermédiaire, le but est de se diriger vers une association", souligne Sophie Bauer. Pendant cette période de collaboration, chaque partie se teste. Les contrats peuvent aussi prévoir une période d’essai afin de rompre la collaboration en cas de mésentente. "Ce sont les préliminaires, une période momentanée mais nécessaire pour que le mariage fonctionne", plaisante la présidente du Syndicat des médecins libéraux. "C’est un vrai plus pour les jeunes médecins qui ont parfois peur de se lancer. Là ils apprennent à se connaître avec le médecin titulaire avant de s’associer", complète René-Pierre Labarrière.

D’après l’Ordre des médecins, trouver un collaborateur s’avère de plus en plus aisé, les jeunes médecins recherchant davantage de stabilité. Aussi, quand elle a posté sa proposition de collaboration sur les réseaux sociaux, Marie Bonneau a tout de suite trouvé preneur. "On s’est rencontré et on a chacune parlé de nos objectifs, explique la nouvelle associée. J’aimerais acheter une annexe pour développer le cabinet et montrer à ma collaboratrice qu’un futur ici est possible car pour l’instant nous partagerons le même bureau. Mais il faut encore convaincre les autres associés or, le libéral a un coût." L’arrivée de la collaboratrice devrait avoir lieu au printemps prochain. "Même si je ne peux pas prédire le futur, mon but est de l’accompagner dans sa première installation, de lui transmettre ce que j’ai appris", affirme Marie Bonneau.

À Rennes, c’est ce travail en équipe qui a conforté Mathilde Chouquet dans son choix. "Avoir un bon feeling, ça compte, tout comme l’organisation du cabinet, la façon de travailler..." Tous l’assurent, le plus important est de trouver un cabinet à son image pour que cette première installation soit réussie. "Je pense que je ne deviendrai pas associée ici parce qu’on manque de place mais ce n’est pas grave. Pour moi, c’est un bon premier pas avant d’entrer dans le grand bain", assure la généraliste. En attendant, Mathilde Chouquet n’attend qu’une chose : la livraison de sa plaque. Un premier mais grand pas comme médecin, à part entière et on l’espère, pour le meilleur. 

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Nathalie Hanseler Corréard

Nathalie Hanseler Corréard

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Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus

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