Arrêt maladie des libéraux : faut-il allonger le délai de carence ?
Année après année, le déficit du régime d'indemnités journalières (IJ) des professionnels libéraux se creuse. Tenue d'en assurer l'équilibre, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) s'est prononcée pour une hausse de la cotisation et pour porter à 8 jours le délai au-delà duquel les IJ seraient versées. Un retour en arrière qui fait débat.
237.2 millions d'euros. C'est le montant du déficit cumulé, au sein de la branche maladie, du régime des indemnités journalières (IJ) des professionnels libéraux à la fin de l'année 2024. Institué en 2021 pour combler le délai de carence de 90 jours appliqué par les régimes d'invalidité-décès des différentes professions, ce régime n'a jamais été à l'équilibre. Dès la première année, son déficit s'est élevé à 70.7 millions d'euros. De -29.5 millions d'euros fin 2022, il est passé à -64.1 millions d'euros fin 2023, pour finalement s'établir à -72.7 millions l'an dernier (en hausse de 13.4%).
Pour Marie-Anne François, présidente de la commission retraite et prévoyance de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), le régime a "clairement été sous-dimensionné". "Nous n'avions pas d'expérience sur le sujet, sur comment le dispositif serait utilisé" par les libéraux, "une population qui vieillit comme tous les Français", relève-t-elle. "C'est compliqué de partir de rien", souligne Nicolas Delaforge, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), chargée de piloter ce nouveau régime. "Le régime a été mis en place pendant la pandémie de Covid, sur la base de données qui concernaient les travailleurs indépendants, pas les libéraux."
Face à la persistance du déficit, qui a plutôt tendance à augmenter, le conseil d'administration de la CNAVPL a voté le 3 juillet dernier deux délibérations visant un retour à l'équilibre : porter le taux de cotisation des professionnels de 0.30% à 0.40%* et allonger le délai de carence de 3 à 8 jours.
"Le fait d'allonger le délai de non prise en charge permet de récupérer de l'argent, puisque c'est une moindre dépense", souligne Nicolas Delaforge, relevant toutefois que la mesure d'augmentation de la cotisation "serait encore plus forte en termes de rendement". Elle est également "plus consensuelle" au sein des organisations professionnelles, concède-t-il. "C'est toujours compliqué de dire qu'on augmente les prélèvements obligatoires mais dans un esprit de responsabilité sur la gestion du régime, le conseil d'administration y était très majoritairement favorable."
Un équilibre obligatoire
En réalité, la CNAVPL n'a pas le choix : elle est légalement obligée d'assurer l'équilibre du régime. L'article L622-2 du code de la sécurité sociale stipule que "si l'équilibre financier entre la cotisation et les prestations vient à être rompu", le conseil d'administration de la CNAVPL "propose soit une augmentation des cotisations, soit une diminution des prestations". "En droit, le présent de l'indicatif, c'est une obligation, traduit Nicolas Delaforge. Ce n'est pas la CNAVPL 'peut proposer', mais la CNAVPL 'doit proposer'." En cas de "carence" de la caisse, c'est la tutelle qui reprend la main et rétablit l'équilibre "dans des conditions fixées par décret".
Mais si l'augmentation de la cotisation semble inévitable, l'allongement du délai de carence est vivement contesté par l'UNAPL. "Rajouter cinq jours de carence, je ne pense pas que ça solutionne le problème. Ce sont les arrêts longs qui coûtent cher, pas les arrêts courts", estime Marie-Anne François. Une analyse cependant difficile à objectiver. "On n'a pas accès facilement à toutes données détaillées, remarque le directeur de la CNAVPL. La Cnam nous transmet des éléments mais on n'est pas en temps réel, on ne peut pas suivre mois après mois l'évolution. Mais il y a sans doute des arrêts courts comme dans l'ensemble de la population générale. On peut faire l'hypothèse que les libéraux ne sont pas complètement un monde à part", relève Nicolas Delaforge.
Pas juste de faire pour les libéraux un dispositif différent de celui auquel ont le droit tous les Français
Alors que l'allongement du délai de carence, un temps envisagé par l'exécutif, semble avoir été abandonné pour les salariés, "il ne serait pas juste" de faire pour les libéraux un "dispositif différent de celui auquel ont le droit tous les Français", à l'exception des fonctionnaires, considère Marie-Anne François. L'orthoptiste rappelle d'ailleurs que le dispositif est non seulement venu combler le vide des 90 jours mais que certaines professions libérales, telles celles affiliées à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (Cipav)**, n'ont pas de régimes d'invalidité-décès intervenant au 91e jour comme ceux des médecins libéraux ou des auxiliaires médicaux.
Quelles professions ont le plus recours à ces indemnités journalières ? Mystère. "On n'a pas de données détaillées par profession, explique Nicolas Delaforge. Je ne peux pas vous dire si les médecins sont sur-représentés ou si les notaires sont sous-représentés." Pour le directeur de la caisse, "stigmatiser les uns ou les autres" ne mènerait à rien, le régime étant "mutualisé". "Les conditions d'exercice ne sont pas les mêmes", ajoute-t-il. "Si un médecin est malade, il ne peut pas réaliser son acte. Peut-être que pour certaines professions, la perte de revenus est plus lissée dans le sens où le cabinet peut être constitué d'autres associés ou de salariés", relève-t-il. "Ce serait intéressant d'avoir le détail… mais au fond ça n'aurait pas abouti, je pense, à une délibération du conseil différente."
Cinq mois après, celle-ci est restée lettre morte. Comme en 2023 et en 2024, le ministère n'a pas donné suite à la proposition de la CNAVPL, ni par la positive ni par la négative. "En toute vraisemblance, il n'y en aura pas de décret pour mettre en œuvre ces paramètres au 1er janvier 2026", pressent Nicolas Delaforge. La "dette" des libéraux risque fort de s'alourdir encore une année de plus.
*Dans la limite de trois Pass (141 300 euros en 2025), soit une cotisation maximale de 565.2 euros.
**Architectes, guides-conférenciers, moniteurs de ski… mais aussi des professionnels exerçant dans le secteur de la santé : ostéopathes, psychologues, psychothérapeutes, ergothérapeutes, diététiciens, chiropracteurs, psychomotriciens.
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