Maladie d’Alzheimer : une possible fraude secoue le monde de la recherche

29/07/2022 Par Marielle Ammouche
Gériatrie
Une vaste enquête du magazine Science remet en cause plusieurs travaux majeurs sur la maladie d’Alzheimer. Le Dr Matthew Schrag, un neurologue de l'Université Vanderbilt aux Etats-Unis, contacté par un cabinet d'avocats pour examiner les études réalisées autour d’un médicament découlant de ces données, en est à l’origine. Ses recherches ont été retracées par le journaliste Charles Piller dans cet article de Science paru le 22 juillet.

  Les doutes concernent tout d’abord des travaux menés par le scientifique Français Sylvain Lesné, professeur associé de neurosciences à l’université du Minnesota, Minneapolis (Etats-Unis). Datant de 2006 et publiés dans la revue Nature, les résultats avaient mis en évidence l’importance de l'accumulation de protéines β-amyloïdes agrégées en plaques entre les neurones dans la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer. « Cette hypothèse [l'accumulation d'amyloïde] a été la piste de recherche dominante dans ce domaine », a déclaré le Dr Schrag à Medscape Medical News. « L'apport de Sylvain Lesné a été de trouver sous quelle forme les peptides sont les plus toxiques et de montrer que les fonctions cognitives sont altérées avec l'accumulation de plaques, ce qui se mesure facilement sur les rongeurs. Tandis que sous forme soluble, les β-amyloïdes sont moins gênants. C'est surtout accumulés en oligomères qu'ils ont des effets sur le malade », détaille Le Pr Philippe Amouyel, directeur général de la Fondation Alzheimer à Sciences et Avenir.   Une implication sur la recherche thérapeutique Cette étude a marqué un tournant dans la recherche sur Alzheimer. Elle a ainsi été citée 2200 fois dans d’autres travaux. Problème : les photos utilisées dans l’étude de Nature ont été apparemment modifiées ou dupliquées dans des dizaines d'articles. « En regardant dans d'autres études publiées, c'est encore la même image qui semble être utilisée », selon Philippe Amouyel. En tout, plus de 20 articles suspects ont été identifiés précise Sciences et Avenir. Autre point douteux : les résultats de l'étude de 2006 n'ont jamais été répliqués, « ce qui constitue en temps normal une condition pour prouver qu'une recherche est fiable ». Or « un grand nombre de thérapies qui ont été développées et testées cliniquement au cours de la dernière décennie se sont concentrées sur l'hypothèse amyloïde dans une formulation ou une autre. Il s'agit donc d'un élément important de la façon dont nous envisageons la maladie d'Alzheimer », ajoute le Dr Schrag. Ainsi, les travaux concernant le simufilam, un médicament contre la maladie d’Alzheimer, posent aussi question. Ses bénéfices supposés sur les β-amyloïdes n’ont, en effet, été prouvés que dans des études du laboratoire Cassava Sciences qui le développe. C’est d’ailleurs pour examiner les études réalisées autour de cette molécule que Matthew Schrag avait été contacté par un cabinet d'avocats. Une pétition a été rédigée auprès de la FDA. « Malgré les demandes de stopper les essais cliniques, ceux qui ont été entamés sont toujours en cours. La FDA a déclaré vouloir enquêter afin de savoir si le médicament doit être retiré du marché », précise le Pr Amouyel. Par la suite, l’aducanumab, un anticorps monoclonal anti-amyloïde, a été mis au point. Utilisé à la phase précoce de la maladie, il vise à freiner la formation des peptides amyloïdes pour réduire les signes cliniques de démence. Cependant, les résultats des essais cliniques n’ont pas été francs. Et, en 2021, « le médicament a été approuvé malgré l'avis négatif du comité scientifique de la FDA. A mon avis, il a été propulsé malgré tout car il y a une pression énorme pour trouver une réponse à la maladie d'Alzheimer, et pas parce que les résultats qu'il a montrés étaient robustes sur le plan scientifique », explique à Sciences et Avenir Bryce Vissel, professeur en neurosciences à l'Université de Nouvelle-Galles du Sud et spécialiste des controverses autour des protéines β-amyloïdes.   Une maladie complexe et encore mal comprise Cependant, pour la majorité des scientifiques de ce domaine, tout ne s’effondre pas avec ces révélations. En effet, concernant la maladie d’Alzheimer, la physiopathologie n’est pas univoque et plusieurs pistes sont prises en considération comme celle de la protéine tau, des lipides ou de l’immunité, en plus de celle des plaques β-amyloïdes. « Bloquer ou supprimer les β-amyloïdes n'est probablement pas la seule réponse à Alzheimer. Il est toujours possible que les médicaments développés dans ce sens montrent une efficacité. Attendons de voir les résultats. Mais le mystère ne sera pas résolu avec cette seule théorie », complète le Pr Vissel. « En fin de compte, j'aimerais voir apparaître un nouvel ensemble d'hypothèses qui permette d'examiner cette maladie sous un angle nouveau », a ajouté Matthew Schrag, selon des propos relatés par Medscape. En outre, l'enquête de Science laisse toujours la porte ouverte au doute, ajoute le site du magazine français. Ainsi, Matthew Schrag et Science espèrent pouvoir approfondir les données données brutes utilisées dans les études mises en cause « afin d'essayer de reproduire les résultats obtenus. Mais pour le moment, personne n'a accepté de les transmettre ». Medscape Medical News précise avoir tenté de contacter Sylvain Lesné et Karen Ashe, sa collègue dans le même institut, pour obtenir des commentaires, mais n'a pas reçu de réponse. Cependant, un porte-parole de l'Université du Minnesota a envoyé un mail déclarant que l'institution est « consciente que des questions ont été soulevées concernant certaines images utilisées dans des publications de recherche évaluées par des pairs et rédigées par les professeurs de l'Université Karen Ashe et Sylvain Lesné. L'Université suivra ses protocoles pour examiner les questions soulevées par les réclamations. Pour l'instant, nous n'avons pas d'autres informations à fournir ».    

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