Cancers pulmonaires : des particularités féminines

21/02/2022 Par Marielle Ammouche
Cancérologie
Les femmes sont de plus en plus touchées par le cancer pulmonaire. Ce phénomène est le fruit de campagnes marketing intense des industries du tabac visant les femmes, mais aussi de facteurs liés au sexe qu’on commence à bien comprendre. Le Dr Anne-Marie Ruppert* est pneumologue à l’hôpital Tenon (Paris) fait le point de connaissances sur cette thématique à l’occasion du 26ème congrès de pneumologie de langue française qui s’est tenu à Lille du 21 au 23 janvier 2022.

  Egora.fr : Les résultats de l’étude KBP mettent en lumière l’augmentation importante des cancers pulmonaires chez la femme. Comment l’expliquez-vous ? Dr Anne-Marie Ruppert : Le cancer du poumon est le premier cancer par mortalité chez l’homme, et le deuxième chez la femme après le cancer du sein. Chez l’homme l’épidémie est enfin en train de diminuer, mais pas encore, malheureusement, chez la femme. On a observé, chez elle, une stabilité, voir une légère réduction après les plans de réduction du tabagisme en 2019. En 2020, il y a eu une re- augmentation dans toutes les catégories socio-économiques et âges, probablement lié au covid. On distingue des éléments liés au genre et d’autres au sexe. Le genre se définissant par le comportement qui est socialement considéré comme acceptable pour une femme ou un homme ; alors que le sexe se définit par les différences biologiques physiques entre une femme et un homme. Dans les années 1920-40, le tabac était tabou chez les femmes.  L’industrie du tabac avec 20 ans de retard par rapport aux hommes, a développé une image d’égalité, de confiance, pour inciter la moitié de la population à commencer à fumer.  Avec en plus des cigarettes spécifiques pour les femmes, slim, mentholées. Elles ont commencé à fumer plus tard mais les résultats sont les mêmes que pour les hommes avec un décalage dans le temps. La mortalité par cancer pulmonaire risque de devenir la première cause de mortalité par cancer chez la femme dans les années à venir.   Et les facteurs liés au sexe ? Les facteurs liés au sexe concernent les estrogènes et sont plurifactoriels. On dispose de peu de données sur le rôle hormonal, le nombre d’enfants, la contraception, la ménopause sur le cancer du poumon. Des études sont en cours pour explorer le versant hormonal dans le cancer pulmonaire, notamment l’étude française WELCA, grande cohorte d’Ile de France de 1000 femmes atteintes comparées à 1000 contrôles, qui a pour objet d’étudier les facteurs de risque spécifiques en s’intéressant principalement au rôle des hormones féminines et à la recherche de facteurs de risque professionnels spécifiques des métiers féminins. Cette étude évalue les dosages hormonaux et l’expression des récepteurs hormonaux dans les tumeurs. Il ne semble pas que le cancer pulmonaire hormono- sensible comme celui du sein, mais les estrogènes peuvent interagir avec la nicotine.   Comme réduire le cancer ? Prioritairement, il faut absolument éviter l’entrée des jeunes dans le tabac, s’attaquer à l’économie du tabac ; c'est-à-dire rendre les cigarettes chères, non attractives, ne pas faire de publicité, garder le paquet neutre et diminuer l’accessibilité au niveau des buralistes. Globalement, les femmes ont plus de difficulté à arrêter de fumer que les hommes. Les substituts nicotiniques sont un peu moins efficaces ; la varénicline, un agoniste/antagoniste des récepteurs nicotiniques l’est en revanche un peu plus. L’hypothèse est qu’il y a une interaction des oestrogènes au niveau d’un cytochrome hépatique qui métabolise la nicotine qui fait que les femmes fument peut-être un peu plus et que les substituts nicotiniques fonctionnent un peu moins bien. Les femmes métabolisent plus vite la nicotine et donc pour obtenir le même niveau de nicotine, elles doivent fumer davantage et sont ainsi plus exposées aux carcinogènes de la cigarette.   Quel rôle donner au dépistage ? Deux grandes études, l’étude américaine NLST et l’étude belgo-néerlandaise Nelson, ont montré la réduction de la mortalité du cancer bronchique par scanner faiblement dosé. Le bénéfice toutes populations confondues est de 20 % de réduction de la mortalité et dans l’étude Nelson où les cohortes ont été différenciés selon le sexe, le bénéfice est encore plus important chez les femmes, même s’il faut noter qu’il n’y avait que 16% de femmes à l’inclusion de l’étude. Le Dr Olivier Leleu, à l’hôpital d’Abbeville, a montré qu’un tel dépistage était réalisable en situation réelle (expérience pilote DEP-KP80)**. Malheureusement à 1 an, le nombre de perdus de vus étaient important avec seulement 1/3 des scanners qui auraient dû être réalisés qui l’ont réellement été. Le dépistage devrait être proposé aux patient(e)s entre 50 et 75 ans, en cas de tabagisme supérieur à 15 cigarettes /jour pendant 25 ans ou 10 cigarettes pendant 30 ans et en cas d’arrêt du tabac inférieur à 10 ans. Il y a un réel intérêt à combiner le dépistage et le sevrage tabagique. Sept ans de sevrage a une efficacité comparable sur la réduction de la mortalité par cancer bronchique que le dépistage par scanner. Les deux peuvent se combiner, réduisant le risque de mortalité au moins de moitié en plus des autres bienfaits liés à l’arrêt du tabac. Le dépistage doit être un moment clé pour proposer l’arrêt du tabac. Mais il ne doit jamais devenir un permis pour fumer !   *Le Dr Ruppert déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour : Novartis, AstraZeneca, Chiesi, Vifor, et Pfizer. **O Leleu. Clin Lung Cancer.  2022 Jan;23(1):e54-e59.

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