Covid et cancer : des patients qui n’auraient pas dû mourir

04/02/2021 Par Brigitte Blond
Cancérologie
La surmortalité liée à la pandémie, chez les patients atteints de cancers, pourrait dépasser 6.000 cas. Pour les experts, il s’agit même d’une hypothèse probablement optimiste, car la baisse des nouveaux diagnostics a été majeure au cours des premiers mois de 2020. Et les conséquences de ce phénomène ne seront connues qu’à long terme. De nombreuses inconnues persistent aussi quant à l’immunisation de ces patients. État des lieux avec le Pr Jean-Yves Blay, cancérologue, directeur du Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard de Lyon, et président d’Unicancer, à l'occasion de la Journée mondiale contre le cancer, ce 4 février.

  Egora : Quel impact a eu l’infection Covid-19 sur les délais diagnostiques ? Pr Jean-Yves Blay : S’agissant du retard au diagnostic, nos chiffres, sur les 7 premiers mois de l’année, sont solides et s’appuient sur les données des patients que nous prenons en charge sur l’ensemble des Centres de lutte contre le cancer, soit au total 25 % de tous les patients atteints de cancer. Bon an mal an, nous observons habituellement une augmentation annuelle de 2 % à 4 % du nombre de nouveaux patients diagnostiqués et traités par nous. En 2020, si le nombre de nouveaux cas a cru de 4 % les 2 premiers mois de l’année, nous avons accusé une diminution sensible de ces nouveaux cas avec une réduction de 6,8 % sur les 7 premiers mois, et même une chute de 20 % en avril et en mai. Cette décrue se voit pour tous les cancers, dans toutes les régions, et ce, indépendamment de l’épidémiologie de l’infection à Covid. Ce retard au diagnostic et, par conséquent, aux soins influe directement le résultat de la chirurgie (qui reste majoritairement le traitement de première intention), les chances de guérison et de survie. Ainsi, le risque de décès augmente de 6 % par mois de retard apporté à une colectomie, de 8 % à une mammectomie. Sur cette seule période, la crise sanitaire aurait provoqué au moins 1.000 décès par cancer supplémentaires, une hypothèse exagérément optimiste : elle suppose en effet qu’il y ait eu un rattrapage à partir du 8è mois, d’août, ce qui n’est pas le cas, loin de là… Nous devons donc tabler sur un excès de mortalité de plutôt 6.000 cas, ce qui est à notre avis une version optimiste là encore. Le cancer est certes notre unique mission, mais si l’on s’intéresse aux chiffres nationaux, le nombre de nouveaux diagnostics de cancer a diminué de 23,3 % sur les 7 premiers mois de l’année… et nous verrons sans doute dans les années à venir les excès de décès, de patients qui n’auraient pas dû mourir.  

  Et de prise en charge ? Parfois les patientes se sont inquiétées à l’apparition d’une “boule“ notamment. Mais elles ont attendu quelques mois pour en avoir le cœur net, par crainte du Sars-Cov-2 ou en raison de la difficulté à obtenir un rendez-vous… et la tumeur potentielle a grossi, et est devenue alors moins accessible à une chirurgie limitée. Parfois il y avait d’éventuels signes d’alerte, dont le patient a minimisé...

l’intensité, au moment du diagnostic ; et la maladie, progressive, échappe, à cette étape, à tout contrôle. Ceci pour les nouveaux patients. Pour les anciens, nous nous sommes attachés à ce que la prise en charge ne soit pas modifiée et en particulier ne souffre pas de délai. Dans ce contexte, la téléconsultation a été un atout majeur, la montée en puissance de ce nouvel outil incroyable : de 25 dans les 8 semaines précédant le 1er confinement, nous avons atteint 5.584 téléconsultations dans les 8 semaines suivantes !   Quel retard à la recherche ? Des nouvelles études n’ont pas pu être ouvertes, les anciennes ont recruté plus difficilement parce que non prioritaires, versus ce qui avait trait à l’épidémie de Covid. En revanche, de multiples études directement liées à l’infection ont été lancées, comme la description du pronostic des patients souffrant de cancer, présentant une infection par Sars-CoV-2 (une mortalité de 20 à 30% à horizon d’un mois de ces patients en cours de traitement pour leur cancer) ; ou l’épidémiologie de l’immunisation des patients. Pour cette dernière, les résultats montrent qu’on ne retrouve pas d’anticorps anti-Sars-Cov-2 chez 40% des patients cancéreux, versus une population de salariés infectés qui, à 50 jours, ont tous développé des anticorps. Autre travail spécifiquement “Covid“, la prise de risque pronostique en fonction du décalage diagnostique. Enfin, sont aussi en projet, des essais, encore préliminaires, sur la capacité de nos patients à éliminer le virus.

    Les patients cancéreux sont-ils prioritaires pour la vaccination ? Bien sûr, même s’ils s’immunisent moins que les autres, et qu’il est nécessaire d’étudier plus précisément les performances des différents vaccins pour ces personnes en particulier. Ils font des formes beaucoup plus graves, probablement en raison de l’effet propre du virus et des traitements immunodépresseurs, ce qui les priorise logiquement… Peut-être des tests sérologiques plus sensibles permettraient d’explorer plus finement leur capacité à s’immuniser ?   Le Pr de Blay déclare avoir des liens durables ou permanents avec l’entreprise Innate pharma, et participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Roche, Novartis, BMS, MSD, Deciphera, pharmamar, GSK, Bayer.

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