
Les médecins plutôt favorables à limiter la durée des arrêts maladie : "Aujourd'hui, je me sens prise en otage par le patient"
Face à la flambée des dépenses de santé, la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam) a récemment proposé de limiter la durée des arrêts de travail prescrits par les médecins. Interrogés, 62% des lecteurs d'Egora se disent favorables à cette mesure, qui permettrait d'éviter les "abus". D'autres praticiens sont, eux, plus réticents et craignent qu'une telle limitation alourdisse leur charge de travail.

Limiter la durée des arrêts de travail prescrits par les médecins ? C’est l’une des propositions phares avancées par la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) dans son dernier rapport Charges et produits, dévoilé fin juin. Face à l’emballement des dépenses d’indemnités journalières (IJ), la Caisse souhaite que la durée des arrêts soit limitée à un mois en primo-prescription en sortie d’hôpital et à 15 jours en ville. En renouvellement, ce délai passerait à deux mois.
"Trois mois, ça n'est pas pertinent en termes de suivi par le médecin. On pourra nous dire que ça sera des consultations en plus mais par rapport aux coûts engagés avec les arrêts de travail trop longs, il n'y a pas photo", avait notamment affirmé le directeur général de la Cnam, Thomas Fatôme, lors de la présentation du rapport. Début juillet, la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, s’est montrée favorable à une telle limitation de la durée des arrêts de travail prescrits. "Nous allons travailler sur cette proposition", a-t-elle déclaré à nos confrères de BFMTV.
Cette position semble partagée par une majorité des soignants. Sur les 495 professionnels de santé - médecins en majorité - qui se sont exprimés sur notre plateforme de débat, 62% se sont prononcés en faveur d’une limitation de la durée des arrêts de travail pouvant être prescrits par le médecin. "Cela m'aiderait au quotidien avec tous ces patients que je ne parviens pas à remettre au travail, l'absence de médecin-conseil pour les convoquer et m'aider", avance notamment une répondante. D’autres lecteurs d’Egora sont, eux, plus réticents et pointent l'inutilité d'une telle mesure, qui remet en cause la "compétence et la déontologie" des médecins et risque encore plus de les "surcharger". Voici une sélection de vos commentaires et arguments.
Si la Sécu veut que l'arrêt soit "bien prescrit", qu'elle en prenne la responsabilité !
"Le mieux serait que tout demandeur d’arrêt de travail supérieur à sept jours ou pour prolonger l’arrêt fasse sa demande directement auprès des médecins contrôleurs de la Sécu ou de médecins salariés par la Sécu, voire par les médecins de la médecine du travail. Après tout, cela déchargerait les médecins libéraux de tout conflit et de [la] responsabilité attenante à l’acte. La Sécu veut que l’arrêt soit 'bien prescrit', pour ne pas dire faire des 'économies', et bien qu’elle le fasse et qu’elle en prenne la responsabilité ! Je suis sûr que la Sécu trouvera 1000 et une raisons pour ne pas le faire. Pas folle la guêpe ! Matraquer est plus facile que faire."
Par Raoul D., généraliste
J'ai quasi arrêté mon activité à cause de cette tyrannie des arrêts de travail
"J'ai répondu oui. Cela m'aiderait au quotidien avec tous ces patients que je ne parviens pas à remettre au travail, l'absence de médecin conseil pour les convoquer et m'aider. Je me sens prise en otage par le patient. J'ai ralenti, voire quasi arrêté mon activité à cause de cette tyrannie des arrêts de travail. J'ai tout essayé, maintenant j'ai mis un délai de 15 jours-3 semaines pour un rendez-vous ce qui limite les abuseurs."
Par Géraldine S., médecin
Le médecin est libre et compétent pour donner un arrêt de travail d’une durée donnée
"Un arrêt de travail n’est pas prescrit au hasard. S’il doit être prolongé, c’est pour [une] raison médicale. Pourquoi le médecin a-t-il intérêt à le faire ? Seul l’intérêt de son patient le motive.
Ces questions n’ont pas lieu d’être.
Le médecin est libre et compétent pour donner un arrêt de travail d’une durée donnée. Poser la question, c’est remettre en question la compétence et la déontologie de chacun d’entre nous. Ça suffit !"
Par Nanette N., généraliste
Est-ce vraiment le rôle des médecins de prescrire des arrêts de travail ?
"Est-ce vraiment le rôle des médecins de prescrire des arrêts de travail ?
Il y a déjà la médecine du travail qui pourrait évaluer si le patient est apte ou non à effectuer son travail, les médecins des caisses qui peuvent contrôler normalement les bénéficiaires. Si les caisses ne sont pas satisfaites, rien ne les empêche de convoquer chaque patient si un médecin pense nécessaire de l’arrêter et de prendre la décision qui lui semble juste…
Si le système ne tient plus, peut-être faut-il expliqu[er] aux gens. Et arrêter de faire croire à la population que le trou de la Sécurité sociale est lié à ces satanés médecins qui prescrivent tous trop d’arrêt[s] de travail."
Par A.R., généraliste
Une réévaluation par un médecin expert neutre doit être envisagée
"L'arrêt de travail doit rester un acte médical. Mais plus que limiter la durée de prescription par le médecin, il faut limiter la durée des indemnités journalières. Une réévaluation par un médecin expert neutre doit être envisagée pour certifier le diagnostic et renouveler l'arrêt si c'est réellement médicalement justifié (bon nombre de lombalgies n'en sont plus au bout de trois mois d'arrêt... et bon nombre de syndromes anxio-dépressifs n'en sont pas, juste des gens qui n'assument pas de démissionner et là le problème n'est plus médical, et bien d'autres exemples comme ça...). De plus, malgré la campagne qu'a menée la Sécurité sociale auprès de nous pour réévaluer les arrêts, ils ne nous sont d'aucune aide lorsqu'on leur demande de convoquer un patient pour nous aider à le réinsérer... Bref, on tourne en rond..."
Par Salima K., généraliste
Limiter la durée des arrêts va surcharger inutilement les médecins
"L'arrêt de travail est une prescription médicale (en tout cas pour la Sécu !), et donc la durée de l'arrêt doit être fonction de la pathologie et de l'état clinique. La fréquence des consultations doit être aussi fonction de la pathologie, de l'évolutivité, de l'état clinique. Si on limite la durée des arrêts, cela va surcharger inutilement (= sans justification médicale) la charge de travail des médecins.
De toute façon, sans diagnostic sur les causes de l'augmentation des IJ, toutes les propositions d'actions ne sont que de l'affichage totalement contre-productif."
Par André M., médecin
Il ne faut pas faire juger les arrêts par les médecins du travail
"Absolument, mais pas en les faisant juger comme plusieurs [débatteurs] intervenant le préconisent par les médecins du travail, surtout pas ! Déjà qu'on les compte et que la spécialité n'intéresse pas beaucoup les internes, l'étant moi-même et ancien installé en libéral, je ne vois pas par quelle autorité morale ou compétence spécifique j'invaliderais les prescriptions de mes confrères de soins. Solution ? Rapide et existant déjà : élargir le corps des médecins agréés de l'administration, avec cet avantage unique de mettre les travailleurs du privé comme du public sur un plan d'égalité."
Par Pierre B., médecin
Qui va pâtir de cette nouvelle règle ? Ceux qui ne demandent jamais rien et qui finissent par s'écrouler
"Quand je vois le délai d'attente pour un renouvellement de traitement par exemple entre cinq et six semaines chez mon médecin, comment fait le patient qui a vraiment besoin d'être arrêté ? Sans compter le coût de la consultation à chaque renouvellement d'arrêt, bref… Oui il y a des abus, mais qui va pâtir de cette nouvelle règle ? Ceux qui ne demandent jamais rien et qui finissent par s'écrouler."
Par Agnès D.
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