Usé par sa maison de santé, le MG file en clinique

03/12/2013 Par F. Na.

A la fin de l’année, Philippe Leboucher, médecin généraliste à Gavray (Manche), mettra la clé sous la porte. A 48 ans, il n’y arrive plus. Trop de contraintes administratives, la charge de travail qui augmente, de moins en moins de temps pour les actes médicaux… "Si le prix à payer c’est de se retrouver en burn-out et complètement dépressif, alors le jeu n’en vaut pas la chandelle", confie-t-il. Fils de petits éleveurs laitiers dans la Manche, Philippe Leboucher a fait ses études de médecine à Caen. Ce qui lui plaisait dans la médecine ? "L’idée de maitriser la science pour rendre service aux autres. Le côté humain." En 1996, il commence à faire des remplacements dans la même zone où il exerce aujourd’hui et où il a grandi. "Un canton très rural, de bocages. Dominante élevage laitier, pas beaucoup d’industries et une population vieillissante, mais que je connais bien. Je me disais que je pouvais être utile. Je comprenais les gens, ce qu’ils vivaient. Ce qu’ils disaient." Philippe Leboucher est attaché à sa terre. A tel point qu’il a choisi de faire sa thèse sur les "termes médicaux en patois normand".   "Très vite je me suis trouvé en état de stress permanent" Il y a huit ans, un médecin de Gavray lui a proposé de s’installer avec lui. L’année d’après, le maire faisait construire une maison médicale, "de sa propre initiative. Sans qu’on lui demande rien". Le voilà donc installé dans un cabinet neuf. Un bâtiment spacieux, accessible aux handicapés, moderne. Parmi les colocataires, deux autres médecins, quatre infirmières, deux kinés, une psychologue… "C’était très bien. Mais très vite je me suis trouvé en état de stress permanent que je n’ai jamais réussi à dépasser." Quand ce n’est pas l’absence d’un collègue à compenser, c’est l’arrivée de dizaines de familles Roms qui crée une soudaine surcharge de travail. Une population vieillissante et dont les pathologies sont plus compliquées, des jeunes qui s’installent aux alentours sans nouveaux médecins. "Et l’exercice aussi s’est dégradé. On a de plus en plus de contraintes en tout genre." Des contraintes administratives, mais pas seulement. "Je parle toujours des certificats médicaux, mais là on atteint des sommets dans l’acte pseudo médical inutile, déplore le docteur Leboucher. La licence de non contre-indication à la pratique de la pétanque… Moi, ça ne me fait plus rire. Quand on est complètement surchargé de travail, que l’on suit des chimiothérapies à domicile, des fins de vie à domicile et qu’on vient vous rajouter ça en fin de journée … C’est rien, c’est juste un petit papelard à signer. Mais je trouve ça injurieux."   "En France, les médecins sont des bons petits soldats" Parmi les motifs de lassitude, Philippe Leboucher ajoute les heures passées au téléphone à trouver des rendez-vous avec des spécialistes. Il lui est arrivé de passer 18 coups de fil pour tenter d’obtenir un IRM cérébral. "Il me le fallait dans la semaine. Je ne l’ai pas eu." Le docteur Leboucher se souvient du temps où il a commencé, en 1996 et qu’il pouvait encore décrocher un rendez-vous avec un cardiologue dans les 24 heures. "Aujourd’hui ce n’est plus possible. Des heures à entendre Vivaldi au bout du fil, pour rien, c’est épuisant." Quand il a annoncé sa décision de quitter la médecine libérale à ses confrères, les réactions ont été mitigées. "Certains collègues ne comprennent pas ce dont je parle. Ils me disent carrément ‘De quoi tu te plains ?’ Mais si on parlait de nos conditions d’exercice à un médecin allemand, il dirait ‘Vous êtes timbrés les mecs ! Vous n’avez pas fait médecine pour répondre au téléphone et remplir des papelards qui ne servent à rien !’ Mais non… En France, les médecins sont des bons petits soldats. Ils sont bien conditionnés et font ce qu’on leur dit de faire." Pour ce généraliste, des solutions existent pourtant. "Il faudrait qu’on se donne les moyens". Ce qu’il voudrait, c’est garder son temps pour faire des actes médicaux. "La maison médicale, c’est une bonne idée, mais il faut passer à la phase au-dessus." Philippe Leboucher rêve de secrétaires à temps plein, qui filtreraient les appels, d’assistants infirmiers salariés dans le cabinet pour "toutes ces petites tâches qui ne nécessitent pas la compétence d’un docteur en médecine." "Aujourd’hui, les infirmière libérales font 90% des vaccins contre la grippe. C’est très bien ! Pas besoin d’un médecin pour vacciner contre la grippe quelqu’un qui l’a déjà été cinq ou six fois !", tempête-t-il.   Renaissance en clinique Si on proposait au docteur Leboucher un poste de médecin salarié dans une maison médicale, il pourrait se laisser tenter. Alors bien sûr, une telle structure a un coût. Mais, selon lui, en zone rurale ces investissements sont indispensables pour attirer les jeunes. "Il faudrait peut-être que les collectivités locales se décident à mettre des sous dans les maisons de santé. C’est la condition sine qua non pour maintenir une présence médicale en milieu rural." Pour le moment, ce généraliste n’a trouvé personne pour reprendre son cabinet. Il a bien proposé à sa remplaçante, mais elle n’est pas prête à venir se fixer à Gavray. "Il me reste un mois pour trouver. Mon successeur n’aura qu’à poser ses valises et allumer l’ordinateur. Tout est prêt" assure-t-il. Ses valises à lui, Philippe Leboucher va les poser au 1er janvier en Soins de suite et réadaptation à la clinique de Saint-Lô. "Je serai salarié en CDI. Je vais travailler en équipe, avec des infirmières, dans des conditions calmes", se réjouit-il. D’autant que le hasard fait bien les choses : c’est la clinique où Philippe Leboucher est né. "Ça va être une bouffée d’oxygène" ; une renaissance en somme.

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