"Mon sang n'a fait qu’un tour" : quand l’intervention d’un généraliste pour une appendicite prend une drôle de tournure

10/08/2021 Par Dr Jean-Paul Hoppenot
Témoignage

"L'urgence n'est pas l'apanage de l'hôpital." Généralistes ou spécialistes, vous êtes nombreux à avoir fait face à des situations d'urgence inédites au cours de votre carrière. Que ce soit à domicile, au cabinet ou lors d'une garde. Accouchement mouvementé, cas exceptionnel, urgence absolue : vous nous avez confié vos histoires.   “C'était il y a très longtemps, à la fin des années 70. J'étais tout jeune médecin, installé depuis un an en milieu rural. A cette époque, pas de 15 ni de SAMU. Le médecin généraliste faisait tout à la campagne.  Ca s'est passé un mercredi, en fin de matinée. Je ne travaillais pas l'après-midi et je devais me rendre impérativement à Caen, avec ma femme, à 60 km de là pour aller voir mon jeune fils de deux mois qui était hospitalisé en neurochirurgie, suite à une malformation. Juste avant de partir, la secrétaire décroche un appel. Une urgence, pour une crise d'appendicite, apparemment. C'était dans une ferme, en pleine campagne, des patients que je ne connaissais pas. Leur médecin traitant, un ami à moi, n'était pas dispo. 

Ma femme me dit qu'il faut absolument qu'on parte, qu'on allait être en retard, que c'etait “toujours pareil”... J'entendais, au téléphone, des cris qui ne me semblaient pas normaux. Bien sûr, je prends la décision de faire la visite. “T'inquiètes pas, j'en ai pour une demi-heure”, ai-je dit à ma femme. En râlant, je prends ma voiture. Je mets déjà une demi-heure pour trouver cette foutue ferme - il n’y avait pas de GPS à l'époque.  Premier chemin à droite, deuxième chemin à gauche… Je finis par arriver dans une cour de ferme, comme on n'en voit plus maintenant. Au milieu de la cour, un paysan marchait de long en large, complètement excité et qui me dit : “tordez-lui le cou, tordez-lui le cou !”.  Je ne comprenais rien. Il me montre la grange où je devais me rendre. Je rentre dans cette grange et je vois, sur le sol, une jeune femme, les cuisses écartées. Immédiatement, je me dis qu'elle a un œdème de la vulve, en tout cas, ce n'était pas du tout une crise d'appendicite. Je m'approche et dans la pénombre, mon sang ne fait qu'un tour...
Je vois une petite paire de fesses qui pointaient.  Je me suis retrouvé avec un accouchement et en plus, un siège ! J'avais l'expérience de quelques accouchements, mais pas par le siège. A cette époque, je n’avais évidemment pas de téléphone portable et surtout, je n’avais aucun matériel avec moi. Je prends vite la situation en main, rassure un peu la jeune femme, la grand-mère apparaît complètement excitée aussi. Je lui demande de la ficelle, des épingles à linge, des serviettes propres. Je demande au grand-père, celui qui hurlait dans la cour, de se calmer.  Tant bien que mal, j'arrive à sortir le bébé. Je vous passe tous les détails sur les cris de la mère, de la grand-mère. J'ai ligaturé le cordon avec une ficelle, je clampe avec des épingles à linge, on emmaillote le bébé, qui pousse son cri immédiatement. Le calme revient un peu dans la cour de ferme et je préviens la famille que c’est un petit garçon. On appelle une ambulance, qui arrive dix minutes après et emmène tout le monde, la maman, le bébé. 

Puis, je discute avec la grand-mère qui m'apprend que sa fille avait 16 ans et que personne ne s'était rendu compte qu'elle était enceinte. La jeune fille avait camouflé sa grossesse jusqu'au bout, d'où l'appel pour une crise d'appendicite.  A ce moment, je pensais à mon bébé, à ma femme qui m'attendait, car cela faisait une heure et demie que j'étais parti. Juste avant que je ne reparte, la grand-mère me remercie en souriant, malgré le gros choc qu'elle venait de subir et elle me dit qu'on allait appeler le petit garçon Cédric.  Je prends la route, fier de moi, n'en revenant pas de ce que je venais de faire et de voir. Je vous laise imaginer l'engueulade de ma femme a mon arrivée. En lui racontant mon aventure, elle se radoucit. Nous rentrons le soir de Caen, ayant appris que notre fils devait être opéré. A notre arrivée, nous avons reçu un coup de fil de la grand-mère de Cédric, qui venait me donner des nouvelles pour me dire que tout allait bien. Elle a ajouté : “Vous savez docteur, ce n’est pas un petit garçon mais une petite fille ! Cédric est devenu Séverine”. Grand éclat de rire, à la fin de cette journée stressante, entre mes deux nouveaux-nés. La grand-mère était hilare, et cela est longtemps resté un sujet de plaisanterie. Séverine a aujourd'hui 42 ans et est maman.”

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