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Un médecin peut-il faire supprimer une fiche Google créée sans autorisation ?

Pour la première fois en France, une décision de justice a fait droit à la demande de suppression d’une fiche Google My Business formulée par un professionnel de santé, au nom du RGPD. Décryptage.

14/09/2025 Par Catherine Heng Yee Huynh
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Le service Google My Business permet à tout professionnel, dont le professionnel de santé, de disposer d'une fiche sur laquelle apparaissent ses coordonnées professionnelles (nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, etc.). Or, il arrive que les soignants libéraux découvrent la création d’une fiche Google My Business à leur nom, faite sans leur autorisation. Cette situation pose le problème de la maîtrise de ses informations professionnelles, qui peuvent correspondre par ailleurs à des informations personnelles.

Dans une décision du 22 mai 2025, la cour d’appel de Chambéry confirme une décision du tribunal de Chambéry en ordonnant à Google la suppression d’une fiche Google My Business d’une chirurgienne-dentiste et condamne la société américaine à réparer le préjudice subi à hauteur de 10.000 euros.

La teneur de cet arrêt conforte les professionnels de santé sur leurs droits issus du RGPD (règlement général sur la protection des données). Il marque un tournant dans la mesure où les décisions précédentes n’avaient pas fait droit aux demandes de suppression de fiches Google My Business.

 

  • Les données professionnelles constituent-elles des données personnelles protégées par la réglementation ?

Le RGPD dispose qu’une donnée personnelle est celle qui permet d’identifier une personne physique.

En reproduisant sur une fiche Google My Business les nom, prénom, numéro de téléphone et adresse du cabinet dentaire de cette praticienne, il est jugé qu’un traitement de données personnelles est bien effectué par les sociétés Google*, puisque ces informations permettent d’identifier sa personne physique (quand bien même celle-ci exerce sous forme de société et que ces données soient relatives à son activité professionnelle).

En vertu du RGPD, seule une base légale légitime permet de traiter de données personnelles.

 

  • Une fiche Google My Business créée sans autorisation du médecin a-t-elle une base légale légitime ?

Parmi les bases légales autorisant un traitement de données personnelles, l’on retrouve l’existence d’un contrat, le respect d’une obligation légale, le consentement de la personne concernée ou encore l’existence d’un intérêt légitime (lequel est à mettre en balance avec “les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel” (article 6.1.f du RGPD).

En l’occurrence, le fait pour une dentiste de découvrir la création d’une fiche Google My Business à son nom ne permet pas, en toute logique, de retenir l’existence d’un consentement de sa part.

Google a fait valoir l’existence d’un intérêt légitime à la création de cette fiche Google My Business, consistant en un droit à l'information des internautes concernant des professionnels, ainsi que leur liberté d’expression en leur permettant d’évaluer les praticiens.

Or les juges relèvent qu’en réalité, il apparaît qu’un intérêt commercial sous-tend la création d’une fiche Google My Business. En effet, le praticien est contraint de créer un compte de messagerie Google s’il veut répondre aux avis émis, or il peut difficilement répondre à ces avis sans porter atteinte au secret médical qui régit sa profession et il reçoit par ailleurs des incitations à souscrire à des services payants de publicité ciblée lorsqu’une fiche Google My Business est créée.

Par conséquent, les juges estiment que l’intérêt légitime invoqué par Google n’est pas justifié au sens du RGPD.

 

  • En l’absence de base légale au traitement de ses informations personnelles, le professionnel de santé peut exercer son droit à l’effacement de la fiche Google My Business.

Parmi les droits octroyés aux personnes dont les informations personnelles sont collectées, le RGPD reconnaît l’existence d’un droit à l’effacement (aussi appelé droit à l’oubli, article 17 du RGPD). Ce droit s’exerce en présence d’un traitement de données qui est illicite, c’est-à-dire dépourvu de base légale.

En l’occurrence, les juges font droit à cette demande de droit à l’oubli.

Il est à noter que le RGPD précise que ce droit à l’effacement n'est pas mis en œuvre si le traitement de données personnelles est nécessaire à la liberté d’expression et d’information. C’est précisément ce qu’invoquait Google pour s’opposer à la suppression de la fiche Google My Business. Cet argument n’est pas retenu par la cour.

 

  • A quelles conditions le professionnel de santé peut-il obtenir la réparation du préjudice subi du fait d’une création d’une fiche Google My Business non autorisée ?

Les juges estiment que Google a commis une faute, qui engage sa responsabilité civile et au titre du RGPD, en ayant créé sans autorisation une fiche Google My Business et en manquant à son obligation d’information requise par le RGPD vis-à-vis du praticien.

La chirurgienne-dentiste n’a pas été en mesure de démontrer un préjudice économique dans cette affaire. Néanmoins, les juges prennent en compte l’existence d’un préjudice matériel et moral, consistant en la multiplication des démarches initiées pour obtenir le retrait de la fiche Google My Business et la diffusion d’avis défavorables provenant de personnes invérifiables. Ces préjudices sont réparés à hauteur de 10.000 euros (contre 20.000 euros prononcés par le tribunal en première instance).

En sus, la professionnelle de santé a obtenu la condamnation de Google à prendre en charge les frais de justice.

Cet arrêt du 22 mai 2025 marque un tournant dans l’appréciation, par les juges, du caractère licite de la création non autorisée de fiches Google My Business. Il s’agit en effet, en droit français, de la première décision ayant fait droit à la demande de suppression d’une fiche Google My Business.

Les décisions de justice antérieures, rendues sous l’empire de la loi française Informatique et Libertés (avant l’entrée en vigueur du RGPD) étaient plus conciliantes avec Google. Elles considéraient que le droit à la liberté d’expression de Google et des consommateurs prévalait sur le droit à la protection des données personnelles des professionnels de santé, en estimant que les médecins disposaient d’autres moyens juridiques pour demander la suppression d’avis négatifs. 

 

*Google France, Google LLC et Google Ireland Limited

 
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