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"Nous ne pouvons pas faire 6 choses en même temps" : les médecins divisés sur le fait d'imposer un seul motif par consultation

Les médecins sont de plus en plus nombreux à limiter chaque consultation à un seul motif. Mais cette pratique est-elle souhaitable ? Interrogés, 51% des lecteurs d'Egora affirment s'opposer à cette règle, qu'ils jugent délétère pour les patients et la médecine. D'autres soignants estiment, eux, qu'une telle démarche est nécessaire pour faciliter et améliorer l'accès aux soins.

28/05/2025 Par Chloé Subileau
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Faut-il limiter chaque consultation à une seul motif du patient ? Cette règle, qui se répand de plus en plus chez les médecins généralistes, est-elle nécessaire pour faciliter l'accès aux soins et améliorer la prise en charge des patients ? Peut-on véritablement restreindre un rendez-vous à un seul symptôme ? Ces questions ont refait surface ces dernières semaines dans plusieurs médias français, pointant l'incompréhension, l'agacement, voire la colère de certains patients face à cette pratique. Chez les praticiens aussi, la règle "d'une consultation, un motif" suscite de vifs débats.

Interrogés sur ce sujet, les lecteurs d'Egora se sont également montrés mitigés. Sur les 417 professionnels de santé qui se sont exprimés sur notre plateforme de débats, 51% se disent opposés à cette règle "d'un motif par rendez-vous" qui, pour certains, "rabaisse la médecine à un commerce", provoque "sa déchéance"… Les autres soignants interrogés estiment, eux, que cette pratique est nécessaire pour assurer une meilleure qualité des soins face à la pénurie de médecins et à l'actuelle tarification des consultations. "Les patients [le] comprennent très bien", assure notamment l'un de ces répondants. Voici une sélection des arguments de nos lecteurs. 

 

Les patients voient trop rarement les médecins pour qu'on ne prenne plus le temps d'écouter leurs problématiques

"Le rôle du médecin ne peut pas être que symptomatique. Les patients voient trop rarement les médecins pour qu'on ne prenne plus le temps d'écouter leurs problématiques, évidemment dans une juste mesure. Quitte à programmer des examens complémentaires pour une nouvelle consultation.

Une consultation/un motif nous rabaisse au rang de techniciens de la santé et nous risquons d'être remplacé[s] par des IA encore plus facilement."

Par Florence D., médecin conseil

 

Cette règle découle de l'impossibilité de moduler la rémunération en fonction du temps passé et en fonction de la complexité de la consultation

"Cette règle découle obligatoirement de l'impossibilité de moduler la rémunération en fonction du temps passé et en fonction de la complexité de la consultation. Sinon, on peut passer des heures sur un seul patient, pour discuter [de] ses nombreux soucis de santé. 

D'ailleurs, quelle est la définition de l'Assurance maladie de la 'consultation' ?

Ok, je suis d'accord que souvent, il n'est pas facile d'identifier un motif individuel, car tout est emmêlé : la dépression avec les troubles du sommeil et avec les soucis de la vie en général, l'hypertension avec le surpoids, etc. Et puis le 'si vous pouvez juste jeter un coup d'oeil...' Mais, sinon, c'est no limits."

Par M. A.G, médecin

 

C'est le motif que le patient ne donne pas qui est souvent essentiel

"Un patient vient pour un motif et c’est celui qu’il ne donne pas qui est souvent essentiel… N'oublions pas que l'essentiel peut être dit à la poignée de la porte… Si on fait le métier de généraliste pour l’argent vaut mieux changer, gare aux risques de plaintes qui n’iront qu’en augmentant avec ce mode d’exercice…"

Par Monique M., généraliste

 

Une consultation efficace ne se fait pas au nombre de motifs ou au temps que l’on passe avec le patient

"Parce qu’une consultation n’est pas cinq consultations.

Parce qu’examiner correctement un genou ou une épaule (et 2 en fait) ne se fait pas en 2 minutes.

Parce qu’un renouvellement n’est pas un renouvellement, mais une réévaluation de l’état clinique et l’efficience thérapeutique.

Nous appliquons dans notre cabinet cela depuis plusieurs années, et les patients ont bien compris que nous ne pouvons pas bien faire 6 choses en même temps, comme tout le monde.

Un cabinet en médecine libéral a des charges qui font qu’une consultation à 30€ ne permet pas de rester plus de 15 minutes avec nos patients. Ils en sont conscients et acceptent les règles du jeu sans rechigner. Cela nous permet également de recevoir les patients en urgence au jour le jour sans avoir des délais de deux à trois mois comme certains confrères dans notre circonscription.

De toute façon, une consultation efficace ne se fait pas au nombre de motifs ou au temps que l’on passe avec le patient comme certains le pense, mais au message reçu par ce dernier. Plus il y en aura, et moins ils seront retenus et compris.

L’empathie fait la beauté de notre métier, mais creuse également sa tombe, et les politiques l’ont bien compris."

Par A. R., généraliste

 

Permettre au patient d'exprimer ses motifs de plaintes ne veut pas dire répondre à tous les motifs lors d'une consultation

"Médecin retraitée, je comprends l'épuisement des actifs libéraux qui, après leur longue journée, passent à la garde pendant laquelle les patients sans médecin traitant cherchent à être soulagés...

Le patient doit être pris dans sa globalité bien sûr, aussi lui permettre d'exprimer ses motifs de plaintes ne veut pas dire répondre à tous les motifs lors d'une consultation et le 'revenez pour la médecine préventive, pour vos troubles du sommeil, je traite aujourd'hui votre cystite', peut s'entendre, si le patient peut exprimer les autres motifs il me semble. 

Sinon on a 'j'ai vomi 4 fois cette nuit, ça m'inquiète', mais pas 'je suis essoufflé dès le moindre effort' ce qui peut cacher un problème cardiaque (vrai vécu il y a 48 heures par moi auprès d'un ancien patient que j'ai confié un médecin en exercice...)."

Par Nathalie H.C., généraliste

 

Moins de charge mentale pour moi, moins de retard : le patient priorise

"J’ai fait les deux. Plusieurs motifs sans limitation et je suis passée il y a quelques mois à un seul motif. Les patients sont prévenus. Il m’arrive bien sûr de dépasser parfois mais rarement, et je le rappelle au patient. Et bien depuis le 'un seul motif', tout le monde s’en porte mieux. Moins de charge mentale pour moi, moins de retard, le patient priorise. La durée de la consultation n’a pas diminué, c’est 15-20 minutes. Les patients comprennent très bien. Et la qualité est là. On se concentre sur l’interrogatoire et l’examen clinique et on explique ce qui prend du temps. Et cela ne part pas dans tous les sens. Cela n’empêche pas de voir le patient dans sa globalité."

Par Anne S-M.F., médecin

 

Un patient n'a pas à justifier du motif de sa consultation

"Non parce que par principe un patient n'a pas à justifier du motif de sa consultation. Ce principe est vieux comme Hippocrate de Cos, père de la Médecine. De toute façon, le patient si on lui demande un motif peut toujours dire n'importe quoi ! Donc c'est une question sans objet, à moins de mettre Hippocrate à la poubelle (c'est la tendance actuelle que je regrette !)."

Par Jacques P., médecin nucléaire

 

C'est mieux quand le patient annonce la couleur et qu'on peut donc préparer le créneau horaire et les moyens techniques à lui consacrer

"C'est mieux quand le patient sait pourquoi il vient, qu'il annonce la couleur et qu'on peut donc préparer le créneau horaire et les moyens techniques à lui consacrer.

Le premier problème n'est pas quand le patient sincère vient avec plusieurs motifs, mais avec plusieurs pathologies (car plusieurs motifs peuvent être reliés par une même pathologie). Ce n'est pas tant qu'il veut économiser le prix d'une consultation, c'est juste qu'il a eu tellement de mal à avoir son rendez-vous qu'il a fait sa liste. Et le problème posé est moins le problème de la rémunération (car il existe tout un tas de solutions dans la codification pour cumuler des actes techniques et/ou cliniques ou revaloriser une consultation complexe) que celui du temps à consacrer qui va déborder du créneau prévu.

Le second problème est le patient malhonnête qui prend volontairement rendez-vous pour un motif banal pour exposer un problème complexe sans rapport ou plusieurs problèmes indépendants (ce qui ramène un peu à la situation de celui qui prend rendez-vous pour un autre, ou qui amène plusieurs personnes).

Cela soulève donc 2 points clefs :

1- Celui de l'information : qui doit toujours être préalable. Le patient informe clairement le médecin du ou des motifs, et le médecin informe clairement en retour de ce qu'il peut faire ou pas dans le créneau. Pour la rémunération, on n'en est pas encore au devis, mais on s'en rapproche : l'annonce claire des tarifs faisant partie des obligations conventionnelles. Le patient a des droits, mais le médecin aussi, qui se résument sous le terme déontologique de "contrat de soins" (un contrat c'est bien quand c'est tacite, c'est mieux quand c'est écrit). On annonce clairement au patient qu'on va s'occuper du ou des problèmes pour le(s)quel(s) il a pris rendez-vous, et surtout qu'on est susceptible de reporter une partie du problème sur un autre rendez-vous.

2- Celui du temps passé devant une exigence imprévue du patient. Et c'est vrai que tout serait tellement plus simple si certaines consultations étaient rémunérées au temps passé, ou plutôt puisque nous sommes dans un pays ultra-libéral lévogyre, au temps dépassé (on annonce le forfait, on annonce le dépassement).

Reste à évoquer le problème Système "D" qui ne va pas trop plaire aux soignants des consultations ultra courtes payées au plein tarif, (on parle d'unité seconde) sous prétexte de rééquilibrer les consultations longues (on a tous des loyers à payer...). 

Rappel : le temps passé avec chaque patient étant évalué par la simple soustraction (T2-T1) de 2 pointages successifs de signatures patients horodatée, dès lors qu'on introduit une carte pucée dans une fente sécurisée, et ce n'est pas parce qu'on ne l'exploite pas, qu'on ne le collecte pas !"

Par Blue G., gynécologue-obstétricien

 
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