Le cadavre, la veuve et "l'ami" qui lui veut du bien

01/08/2019 Par Dr Pepper
Témoignage

[REMPLACEMENT : POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE] - Médecin remplaçant et "grand routier de la PDSA", Dr Pepper partage régulièrement ses mésaventures sur Twitter. Appelé pour constater le décès d'un homme de 77 ans, le jeune généraliste ne s'attendait pas à tomber "en plein vaudeville".   "J'étais de garde mobile pour le 15 (20h-8h) et pas un appel. Payé à dormir, le pied. Enfin, pas d'appel avant 7h20. La pire heure, puisque c'est généralement à trèstrèsloinCity et généralement pour des conneries. Mais bon, là, en l’occurrence, c'était un décès. Patient de 77 ans à domicile, polypathologique. Le régulateur rajoute : "l'épouse que j'ai au téléphone est en pleurs". Pourquoi croit-il avoir besoin de me dire cela ? Au cas où j'allais refuser d'y aller ? Ma garde se termine dans 30 minutes, je m'y colle, point. Sauf que trèstrèsloinCity, c'est à 40 minutes de route. Ce n'est que dans ma voiture en entrant les coordonnées que je pige que je me suis fait baisé : je vais arriver après 8 heures, donc en théorie après la fin de la garde mais surtout, je ne serai pas payé ! Coquin de régulateur... Car c'est ainsi en France : la Sécu ne paye que les certifs de 20 heures à 8 heures. En dehors de ces horaires, c'est QUE DALLE, surtout envoyé par le 15. Si vous vous demandez pourquoi les médecins ne se déplacent pas pour signer les certifs de décès avant 20 heures et après 8 heures, vous savez pourquoi.   "Je cherche la caméra de Surprise sur prise, je m'attends à voir Marcel Beliveau sortir de la cuisine" Bref, rage, rage, rage. Je me calme, et je roule tout en maudissant la situation. J'arrive, c'est une jolie maison bourgeoise. Jardin très bien entretenu. Allée goudronnée. La porte est entrouverte. Toc toc toc, c'est le docteur. De la chambre on me dit : "Entrez, c'est par ici". Je suis la lumière et j'arrive dans une chambre avec trois personnes. Un homme dans un fauteuil roulant, une femme assise sur le bord du lit et qui tient sa main. Et dans son dos, un homme allongé sur le lit. Le mort donc, vers qui je me dirige. Je sursaute au moment où il se met à ronfler ! Il pionce ! La femme me dit : "Non, c'est lui qui est mort". Celui dans le fauteuil, donc. Elle voit mon interrogation et me précise : "Lui, c'est un ami que j'ai appelé, il est fatigué, il s'est endormi en vous attendant". Whaouh, super pote. Bah, si l'épouse est en pleurs, l'ami l'est moins manifestement. Pas mon problème. Je vais dans le salon faire les papiers, l'épouse me suit, laissant le mort dans son fauteuil, en robe de chambre léopard, la tête tombante. Avec le ronfleur qui reste ronfler. Dans ces moments je parle peu, il n'y a pas grand chose à dire. Ayant oublié de vérifier s'il avait un peacemaker, je pose la question. Et là elle me raconte tous ses antécédents, toute sa vie ... et elle me lâche avec un pragmatisme déconcertant, mais à mettre sur l'émotion : "Dire qu'on a refait l'allée la semaine dernière pour qu'il puisse sortir facilement avec son fauteuil roulant, vous avez dû voir, le goudron, c'est bien fait, hein docteur" ... heu ... c'était dit sur le ton limite : "rho, et dire que je lui ai acheté son cadeau de Noël". Je reste flegme face à ces propos qui, à mon avis, sont à mettre sur le coup de la situation dramatique, l'émotion, toussa. Et là débarque l'ami. Il titube. Il est totalement bourré. Et il me dit : "Hé, docteur, vous pouvez me prescrire une radio des poumons ?" Heu ... bah, pourquoi ? "Parce que je tousse depuis une semaine". Je cherche la caméra de surprise sur prise, je m'attends à voir Marcel Beliveau sortir de la cuisine. Rien. Du coup, je lui dit de voir avec son médecin traitant. Il se pose dans le canapé et ... se rendort ...   "C'est Tchernobyl" Je vais voir l'épouse et je lui demande si elle a besoin d'aide pour mettre le corps sur le lit. Alors je ne sais pas si vous avez déjà essayé de porter un corps, mais ce n'est pas facile. Dans les films, les mecs, ils te mettent ça dans le coffre OKML. Bah, ce n'est pas si simple. Surtout quand le corps est encore chaud, donc encore mou, dans une robe de chambre flasque sans prise. J'ai été présomptueux, mais en attrapant le corps comme si je voulais lui faire une manœuvre d'Heimlich, en le soulevant, il me lâche une caisse nauséabonde incroyable... Une fois allongé sur le lit, je comprends que y'a pas que du gaz qui est sorti de l'intestin du Monsieur. Du liquide aussi. C'est Tchernobyl. Mais c'est la bouche ouverte qui m'interpelle, et je lui explique qu'il faut ma maintenir fermer quelques heures pour que cela tienne. Elle va dans son armoire chercher un de ses bas, qu'elle commence à lui mettre autour de la tête. Je l'arrête avant qu'elle réalise qu'elle est en train de faire un œuf de pâques avec le nœud sur le dessus. On est déjà niveau "god" sur l'échelle du malaise. Je lui conseille une serviette roulée sous le menton, quelques heures. Et là elle me dit : "attendez, faut lui mettre ses dents". Et elle me donne le dentier. Merde, je n'ai jamais fait ça moi ! Bon, je m'y colle et une fois terminé, je réalise que le mort est en train de sourire. On a l'impression que le mec va cracher son dentier, comme Rami Malek qui joue Freddie Mercury. Merde, je l'ai mis à l'envers. Vous avez essayé de retirer un dentier à un mort ? C'est plus compliqué que le mettre. Je suis sauvé par l'aide ménagère qui arrive et qui va prendre en charge la toilette. Parce que le nuage de Tchernobyl était clairement en train d'attaquer la tapisserie. Je retourne prendre congé de l'épouse retournée voir son "ami" sur le canapé. Et là je découvre que l'ami est un peu plus que l'ami pour Madame. En tout cas, moi je n'embrasse pas comme ça mes amis, même pour les consoler dans la douleur. Je suis en plein vaudeville. Il faut vite que je quitte cette maison. Vite. Dans l'allée, où j'admire le goudron tout neuf, effectivement c'est propre, je regarde l'heure. 8h30. Bon officiellement sur les papiers il est 7h50. Faut pas déconner..."  

Appel à témoignages : vos souvenirs de remplacement

Cas exceptionnel, lieu d'exercice hors du commun, cabinet cauchemardesque, patient inoubliable… Remplaçant d'hier ou d'aujourd'hui, racontez-nous vos meilleurs ou pires expériences ! Vos histoires seront publiées cet été sur Egora.fr
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