Pénuries de médicaments : "Le médecin aujourd'hui n'a aucune information"

20/02/2019 Par A.M.
Economie

Alors que le nombre de signalements de ruptures de stock ou de tensions d'approvisionnement ne cesse d'augmenter, les entreprises du médicament ont présenté mardi 19 février un plan d'action en 6 axes afin de prévenir plutôt que subir.

  En 2017, l'Agence de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a enregistré 538 signalements de ruptures ou de tensions d'approvisionnement de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM). Plus de la moitié concernent des anti-infectieux (notamment des vaccins), des médicaments du système nerveux et des anticancéreux, relève le Leem (Les Entreprises du médicament). Un "phénomène mondial, aux causes multiples, qui prend de l'ampleur au fil des années", relève Philippe Lamoureux, président du Leem. Quelques semaines après la présentation d'un rapport du Sénat sur la question, le syndicat a voulu tordre le cou à l'"idée reçue" selon laquelle "les entreprises organiseraient des ruptures de stock" pour des raisons économiques. "La rupture, c'est toujours une situation de force majeure, de catastrophe pour l'entreprise : sur le plan économique, mais aussi sur le plan de l'image", insiste Philippe Lamoureux, qui dénonce également la "fausse solution" consistant à durcir le régime de sanctions :  cela "ne ferait dissuader certains opérateurs d'intervenir sur le marché français", prévient-il. Car le marché pharmaceutique est un marché "globalisé", en forte croissance (6 à 10% par an), mis en tension par l'accès de nouveaux pays aux médicaments, comme la Chine. Le pays s'est engagé à rattraper d'ici à 2030 les niveaux de santé publique des pays développés. En 2010, 100 millions d'enfants ont été vaccinés contre la rougeole, faisant subitement augmenter de 20% la production mondiale de vaccins. D'après le Leem, cette "tension mondiale" entre la demande et les capacités de production et ces fluctuations imprévues du marché expliquent près de la moitié des situations de rupture. Les problèmes d'approvisionnement en principe actif sont en cause dans 15% des cas. Ces 30 dernières années, le marché s'est internationalisé et concentré : pour de nombreuses molécules, il n'existe que 2 ou 3 fournisseurs dans le monde. "Dans ce contexte, toute non-conformité sur un principe actif entraîne un arrêt immédiat de la production du médicament", souligne le Leem, citant le cas du valsartan. Les problèmes liés à la production elle-même (panne matériel, contamination d'un atelier, incendie…) sont à l'origine de 20% des ruptures et tensions, tandis que les contraintes réglementaires sont en cause dans 10% des cas. Alors que 70% du temps de fabrication d'un vaccin est consacré au contrôle qualité, la moindre variation réglementaire exposerait 50% de la population mondiale à un risque de rupture selon le comité vaccins du Leem. Restent les causes économiques (7%) : les prix des médicaments en France sont dans 50% des cas inférieurs au plus bas prix européen. Une ampoule d'Augmentin 1G/200MG injectable est vendue 4.34 euros en France, contre 7.67 euros en Allemagne. Des écarts de prix qui encouragent le marché des exportations parallèles, autorisé au nom de la libre circulation au sein de l'UE. Certains grossistes-répartiteurs (short liners) se sont spécialisés dans la revente des stocks dans les pays qui rémunèrent davantage. Le Leem propose un plan d'actions en 6 axes stratégiques. D'abord, il s'agit de définir une liste de médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique (MISS) pour lesquels des obligations de sécurisation doivent être renforcées : constitution d'un stock de sécurité au niveau national ou européen, définition de protocoles de remplacement… Ces médicaments pour lesquels une rupture entraînerait un risque vital et immédiat pour des patients souffrant de pathologie grave et qui sont irremplaçables représentent d'après le Leem 5 à 10% de la pharmacopée selon les classes (40 anticancéreux sur 200, par exemple). Les industriels plaident en second lieu pour revoir les mécanismes d'appel d'offres hospitaliers pour ces MISS (obligation d'avoir plusieurs fournisseurs, de préciser les volumes…) et pour une révision des prix en ville, notamment pour des médicaments anciens dont le prix ne cesse de baisser, jusqu'à remettre en cause la rentabilité de la production. Alors que 60 à 80% des principes actifs sont fabriqués hors UE, contre 20% il y a trente ans, le Leem fait du soutien aux fournisseurs européens sa troisième priorité. Il n'est pas question d'abaisser le niveau des normes environnementales et RSE auxquelles ces derniers sont soumis, mais de les contrebalancer par des mesures fiscales incitatives. Par ailleurs, le partage d'informations entre les acteurs de la chaine doit être amélioré. Les fabricants de médicaments n'ont aucune vision sur la répartition des stocks au niveau national, déplore le Leem. Les pharmaciens reçoivent des notifications "médicaments indisponibles" sans en connaître les tenants et aboutissants. Quant au médecin, il ne reçoit "aujourd'hui aucune information" directe, déplore Thomas Borel, directeur scientifique du Leem : c'est souvent par le biais du pharmacien ou du patient qu'il apprend qu'un médicament est en rupture. Afin de ne pas établir "une nouvelle prescription de médicament indisponible", le médecin doit être alerté immédiatement. En cas de rupture ou de tension, la distribution des MISS doit être mieux encadrée, estiment les industriels, qui plaident pour une restriction des exportations parallèles dans ces cas de force majeure. Enfin, le syndicat appelle à harmoniser les pratiques réglementaires au niveau européen : rien que pour les vaccins, il existe 23 calendriers nationaux et 4000 conditionnements différents. Impossible dans ces conditions d'importer des vaccins belges en cas de ruptures de stock en France.

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