"La fin du numerus clausus n’a permis de former que 13% d'étudiants en plus" : comment ce député veut augmenter le nombre de médecins

Adoptée la semaine dernière en commission des affaires sociales, la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par la simplification, la territorialisation et la formation est à l’ordre du jour de la niche parlementaire du groupe Les Républicains ce jeudi 7 décembre, dans une version réduite. Ce texte, porté par le député isérois Yannick Neuder et qualifié de “grand plan de la droite” contre les déserts, s’attaque notamment à l’effectif des médecins français. Le cardiologue de profession appelle à accentuer davantage la formation en fonction des territoires et ouvrir des “passerelles” entre professions paramédicales et médicales. Il souhaite enfin permettre à tous les carabins partis à l’étranger de revenir pour leur éviter “une double peine”. Il explique son projet à Egora.  

 

07/12/2023 Par Marion Jort
Démographie médicale

Egora : Vous avez souhaité déposer cette proposition de loi car vous considérez que les “lois rustines tapent sur les forces vives, les médecins et les paramédicaux”. Qu’entendez-vous par là ? 

DR

Yannick Neuder : Le problème de la santé, des déserts médicaux, est entre autres un problème numérique. La capacité de formation des médecins est très dégradée numériquement, on est en dessous du niveau de 1970… avant même que le numerus clausus soit instauré. Pourtant, on a 15 millions d’habitants en plus. Il faut aussi prendre en compte le fait que les médecins d’aujourd’hui ne veulent plus exercer comme avant : le rapport au temps de travail évolue. Je ne le critique pas, c’est une évolution sociétale qui touche tous les métiers, ceux de la santé en particulier. Pour l’instant, avec les effectifs que l’on produit, on ne couvre même pas les départs en retraite puisqu’il faut maintenant deux médecins pour remplacer un retraité. En plus, on n’a pas encore l’impact des baby-boomers, la nouvelle génération de personnes âgées à prendre en charge. Donc, on n'est pas dans les clous au niveau quantitatif. Attention, il y a d’autres éléments à prendre en compte et notamment la question de l’attractivité, ce qui fait qu’on est heureux dans sa pratique professionnelle mais ma proposition de loi, dans le cadre de la niche parlementaire, se concentre sur le nombre.  

 

Votre proposition de loi comporte 14 mesures au total mais seules trois, sur la formation, sont étudiées dans le cadre de la niche parlementaire. Pourquoi en présenter si peu ? 

La proposition de loi va être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale prochainement si tout va bien. Mais là, dans ce processus de niche parlementaire, mon groupe politique a décidé d’étudier un certain nombre de projets de loi, dont le mien. Pour cette raison, je l’ai réduit à trois articles qui concernent la formation : les besoins d’un numerus apertus définis par un territoire, le retour en France des étudiants français qui sont partis à l’étranger et l’intensification des passerelles entre professions de santé pour qu’elles soient plus adaptées.  

 

La première mesure vise en effet à garantir une “répartition optimale des futurs professionnels de santé sur le territoire au regard des besoins de santé” et non plus des “capacités de formation” des facultés de médecine. C’est pourtant déjà l’objectif affiché par le Gouvernement qui a mis en place les “objectifs nationaux pluriannuels” et supprimé le numerus clausus... cela ne va pas assez loin ? 

Non. Nous avons justement décidé hier en commission des affaires sociales de faire une évaluation de la loi de 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui a créé ces “objectifs nationaux pluriannuels”. Les rapports chiffrés qu’on a montrent que dans la filière médecine, on est loin du compte. On a augmenté les étudiants formés que de… 13%. Ce n’est pas assez ! A l’heure actuelle, il y a moins de 100 000 médecins traitants et le président de la République a lui-même reconnu qu’il n’y en aurait que 80 000-85 000 en 2025, alors idéalement il faudrait presque arriver à un doublement du nombre de médecins formés pour faire face aux enjeux démographiques.  

 

 

Les facultés, elles, alertent depuis longtemps sur le manque de moyens qui leur sont alloués… et les organisations étudiantes insistent sur l’importance de garantir une formation de qualité.  

Il ne s’agit pas de faire des formations low cost, de ne pas entendre les besoins des facultés ni de faire de l’enseignement si on n’a pas de formateurs. Il faut bien définir les besoins du territoire, rendre subsidiaire la capacité des universités. Il faut les accompagner : s’il y a une cohérence entre les besoins du territoire et la capacité de formation de la faculté, dont acte, on met cela en place rapidement. Si ce n’est pas le cas et que l’université manque de moyens, cet article 1 permet de leur en accorder davantage et plus facilement.  

 

Vous voulez donc la fin du numerus apertus...  

Oui ! Le numerus clausus n’existe plus mais dans les faits, on a changé de nom et le changement de nom n’a permis qu’une augmentation de 13%. On les prend les 13% de jeunes médecins en plus, bien sûr, mais au vu de la démographie, des départs en retraite, c’est insuffisant. Il faut l’élargir encore plus. D’autant que ça évitera la fuite de nos étudiants à l’étranger, puisqu’on ne peut pas redoubler dans ce système Pass/LAS.  

 

Votre article 2 souhaite justement “encourager l’émergence de médecins en combattant la fuite des cerveaux”. C’est l’une des mesures phare du texte : vous voulez permettre à tous les étudiants français qui sont partis étudier dans les facultés de médecine européennes de revenir en France… Pourquoi ?  

On estime le nombre de ces étudiants entre 3 000 et 5 000. 2 000 étudient en Roumanie.  

Ces jeunes n’ont pas réussi à faire médecine en France du fait d’un système trop restrictif et donc ils sont partis le faire à l’étranger. Si on n’est pas capables de les récupérer, ils vont aller en Allemagne, en Suisse... Actuellement, on a un système qui marche sur la tête : j’ai des étudiants dans mon propre service de cardiologie qui sont Français, qui ont été refoulés par le numerus apertus, qui sont partis en Roumanie et qui viennent faire leur Erasmus chez moi, à Grenoble, car ils peuvent loger chez leurs parents pendant leur stage. C’est paradoxal et complètement fou !  

 

Les organisations étudiantes, que vous avez rencontrées cette semaine, appellent à la prudence vis-à-vis de cette mesure… 

En effet, elles ne veulent pas qu’on mette en place des “filières parallèles” et je les comprends. D’un autre côté, les mêmes quand ils sont installés, après quelques années d’exercice, sont quasiment en surbooking tellement ils ont de l’activité… ils aimeraient qu’il y ait d’autres médecins ! Donc, il faut bien qu’on les forme. Cet article 2 a vocation à gérer un stock : le numerus apertus n'a pas donné d’espoirs à des étudiants alors on va leur permettre de revenir durant leur deuxième cycle. C’est une voie d'atterrissage pour éviter la double-peine.  

 

Mais ce retour aux études médicales en France n’a pas vocation à être pérennisé ? 

C’est cela. Comme je le disais, il faut favoriser un stock : il faut que le jour où cette loi est promulguée, le dispositif s’arrête. Tous les étudiants qui sont partis à l’étranger parce que le numerus apertus ne leur permettait pas de rester en France, on les récupère. Mais ensuite, on éteint le dispositif puisque la capacité de formation chez nous aura augmenté. Sinon, effectivement, cela pourrait revenir à organiser une filière à l’étranger, d’où les inquiétudes des organisations étudiantes. Je ne le souhaite pas.  

 

 

Initialement, ce retour en France n’était pas sans condition… Vous prévoyiez de les faire exercer deux ans dans une zone sous-dotée en contrepartie. Cette mesure a disparu de votre projet de loi ?  

On ne l’a finalement pas retenue en commission des affaires sociales, car c’est une mesure de coercition et c’est une rupture d’égalité de traitement. De manière générale, je ne suis personnellement pas favorable à la coercition. C’est une fausse bonne idée : il faut qu’on arrête de taper sur les professionnels de santé qui maintiennent le système de santé à flot. On a un problème numérique, quantitatif, mais quand on aura plus de praticiens, ils s’installeront dans différentes zones. Il faut qu’on arrête d’emmerder les médecins, sinon ils vont déplaquer et changer de job. C’est une vraie menace.  

 

Cette proposition de loi a aussi pour objectif de permettre des “passerelles” facilitées pour que les paramédicaux puissent reprendre des études de médecine. Le texte initial prévoyait d’orienter ces passerelles vers la médecine générale, ce n’est plus le cas ?  

Non, on a amendé cette mesure. On pense fortement à la médecine générale mais on avait surtout mis cette mesure pour la compréhension des parlementaires. Je ne peux pas supputer que les étudiants par exemple issus de la filière paramédicale, qui réintègrent un cycle 2, vont effectivement passer le concours de l’internat ou pas. Donc, on pense que c’est à destination des généralistes mais on peut très bien avoir quelqu’un qui est infirmière qui fait la passerelle, qui est en cycle 2 et qui décide de passer le concours pour devenir cardiologue.  

 

Comment concevez-vous cette passerelle concrètement ? Prenons le cas d’un kiné qui souhaite se réorienter vers la médecine.  

L’idée, c’est en effet de s’intéresser aux paramédicaux qui sont avancés dans leur cursus, comme les kinés ou les infirmières spécialisées, notamment en anesthésie, en psychiatrie, en puériculture… Tous pourraient être réintégrés dans un niveau plus élevé que la deuxième année.  

 

L’idée, ce serait donc de leur supprimer un ou deux ans d’études ?  

Oui ! Il n’est pas question de faire médecine en deux ans. Dans une première écriture du texte, on n’avait précisé qu’il s’agissait d’une “formation accélérée”, mais ce mot a été mal compris. Pour moi, cela voulait simplement dire qu’on ne les renvoyait pas en première année. Le terme “accéléré” a donc été modifié en “adapté et accompagné”. On adapte l'intégration en médecine en fonction du niveau de l’infirmière spécialisée, par exemple.   

 

Vous souhaitez enfin faciliter les stages en libéral…  

Oui ! Si on prend plus d’étudiants en deuxième année, on aura nécessairement besoin de plus de terrains de stage. Parfois, les hôpitaux sont surchargés et donc on pourrait s’appuyer sur le libéral pour cela et pour faire découvrir le territoire aux jeunes. Dès le deuxième cycle, on pourrait aussi s’appuyer sur des maisons médicales de territoire, des centres de santé.  

1 débatteur en ligne1 en ligne
Photo de profil de Bruno Goulesque
1,5 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 2 ans
Je ne suis pas sûr que les étudiants francophones partis ​faire leurs 6 années d'études en Roumanie veuillent tous venir faire leur internat en France. Les conditions de travail ne sont pas attirantes, même si la formation est bonne du fait d'un volume de travail très important et donc d'un apprentissage encadré et sur le tas conséquent. Le frein principal reste les ECN, qui font prendre à la plupart des jeunes médecins une spécialité qui n'était pas leur souhait premier, un choix imposé par élimination plus que de coeur. La possibilité de décider soi même de sa spécialité en Suisse, en Belgique ou même en Allemagne (malgré la barrière de la langue) est une option qui est prise par de plus en plus d'etudiants exilés. Les ECN et le troisième cycle français n'attirent personnes, il n'y a qu'à voir le nombre d'étrangers européens qui les présentent.
Photo de profil de yves adenis-lamarre
3,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 2 ans
Le problème est qu’en fin de cursus, les étudiants d'aujourd'hui ont compris la situation et qu’ils préfèrent faire autre chose ; prenez le cas de Mr Véran, par exemple. Prenons un exemple pratique. Enfant en bas âge qui se plaint de mal au ventre, examen clinique normal. Consciencieux, le médecin fait des examens pour tout éliminer, au bout de 100 cas identiques, la SS lui tombe dessus et le met sous objectif pour excès de prescriptions inutiles et ruineuses pour la société. Alors au 101 cas, il dit à la famille, mais la boule au ventre, qu’il voit cela tous les jours, que ce n’est rien…. Et patatra….. c’était une forme atypique pauci-symptomatique et débutante de péritonite. Médecin pris entre deux feux. Le médecin a été condamné et interdit d’exercice par son CDOM. Je me souviens quand ils ont ouvert le centre de pose de stents ; combien de patients ont eu des examens coûteux inutiles ! je pense à un patient qui a fini par venir me voir, il avait une lithiase vésiculaire. Lors d’une réunion des médecins pour vanter la nouvelle possibilité, j’avais remarqué une anomalie, le nombre important de « dépistage » versus les autres départements ; mais les statistiques étaient comparables, donc tout était bon. Puis plus rien comme examen lourd ; un de mes patients psy s’est retrouvé avec un traitement lourd de coronopathie sans examen complémentaire lourd, un autre qui avait une vraie coronopathie, sans examen lourd a été refoulé. J’ai compris alors que le service avait été mis sous objectif……. Faire vivre avec la peur au ventre ne peut que provoquer l’aggravation de la pratique de la mauvaise médecine devant des cas atypiques, et augmenter le nombre d’accidents, heureusement relativement fort rares, mais source de drames familiaux et professionnels. Les politiques jouent sur cette rareté accidentelle relative pour accuser les médecins - pris entre deux feux - de gabegie financière. Tant que l’on condamnera les médecins pour faute et non sur faute volontaire où par incapacité particulière, on vivra dans une pénurie aggravée de médecins.
Photo de profil de BERNARD G
597 points
Incontournable
Médecine générale
il y a 2 ans
Selon mon expérience, peu d'étudiants font Médecine pour gagner de l'argent, mais parce que la médecine les attire. Sinon, il est plus facile actuellement de fermer son cabinet et d'ouvrir un local dans la filière esthétique, par exemple, si on souhaite l'aisance financière. Mais le système d'étude empêche certains jeunes motivés de faire leurs études en France. La suppression du numerus clausus amène une amélioration de 13 %, certes. Mais la dégradation continue et ancienne de l'exercice médical, le manque d'attractivité actuel de la profession médicale limitent ce gain à 13 % Et je ne suis pas certain qu'une augmentation importante des revenus entrainerait actuellement un attractivité proportionnelle pour les études médicales. Le mal actuel est beaucoup plus profond.
 
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Pédiatrie
Moins de médecins, moins de moyens, mais toujours plus de besoins : le cri d'alerte des professionnels de la...
06/11/2025
14
Concours pluripro
CPTS
Les CPTS renommées "communauté France santé" : Stéphanie Rist explique l'enjeu
07/11/2025
12
Podcast Histoire
"Elle était disposée à marcher sur le corps de ceux qui auraient voulu lui barrer la route" : le combat de la...
20/10/2025
0
Portrait Portrait
"La médecine, ça a été mon étoile du berger" : violentée par son père, la Pre Céline Gréco se bat pour les...
03/10/2025
6
Reportage Hôpital
"A l'hôpital, on n'a plus de lieux fédérateurs" : à Paris, une soirée pour renouer avec l'esprit de la salle...
14/10/2025
8
La Revue du Praticien
Diabétologie
HbA1c : attention aux pièges !
06/12/2024
2