"En France, il vaut mieux mourir après 20h" : "l'injuste" rémunération des certificats de décès

25/02/2022 Par S. B.
Si la mort est taboue, la rémunération des certificats de décès l'est encore plus. Pour cet acte obligatoire en France, et nécessaire au lancement des obsèques, la tarification est variable qu'il s'agisse d'un jour ouvré ou d'un dimanche. La cotation varie également en fonction de certaines zones, qu'elles soient considérées comme sous-denses ou non. Ainsi, pour remplir le fameux papier bleu, les médecins de ville peuvent ne pas être payés, comme empocher 100 euros. Ils réclament la fin de cette "injustice".  

"On a trop donné et accepté. On veut aller au rapport de force avec les instances, la Sécu et les ARS"… Le Dr Martin Ambroise, membre associé de SOS 21 est remonté. Depuis le mois de janvier, ce médecin généraliste et ses confrères de SOS 21, ainsi que de SOS Médecins sur l'agglomération dijonnaise, ont lancé une grève des certificats de décès. Ils dénoncent une iniquité de traitement entre les territoires de l'agglomération quant à la tarification des certificats. Plus de 300 décès auraient déjà été impactés par ce mouvement social.  

Pour mieux comprendre la problématique dijonnaise, il faut revenir sur la réglementation de la tarification des certificats de décès. Jusque dans les années 1980, les célèbres feuilles bleues étaient remplies par des médecins d'état-civil, rémunérés par les municipalités. Mais ces médecins ont disparu et s'en est suivie une grande phase de vide réglementaire sur le sujet. "La Sécu n'a jamais prévu d'actes, elle comptait sur les médecins de ville pour rédiger les certificats. C'est délicat, voire tabou, de parler d'argent au sujet de la mort", analyse le Dr Ambroise.  

 

Pas un acte médical 

D'autant que la rédaction d'un certificat de décès n'est pas considérée comme un acte médical, bien que cela ne puisse être fait que par un médecin. Leur rémunération ne rentre donc pas dans le champ des négociations conventionnelles, indique la Caisse nationale d'Assurance maladie.  

Devant ce vide réglementaire, un arrêté daté du 10 mai 2017 a ouvert la voie à une rémunération forfaitaire de 100 euros pour "l'examen nécessaire à l'établissement du certificat de décès réalisé au domicile du patient". Mais pour percevoir cette somme, le certificat doit être rédigé la nuit entre 20 heures et 8 heures, les week-ends, jours fériés et ponts de 8 heures à 20 heures et dans les zones déterminées comme étant "fragiles" en termes d’offre de soins par arrêté du directeur général de l’agence régionale de santé. Le zonage est actualisé par l'ARS. En dehors de ce cadre, aucune rémunération n'est prévue. Il est considéré que cela fait partie des prérogatives du médecin traitant.  

 

Ethique 

"Pour la plupart des décès survenus de jour, dans les horaires d'ouverture des cabinets médicaux, le médecin traitant est appelé en priorité par la famille ou les voisins. Il ne prend pas généralement pas d'honoraires pour ses patients, comme le veut l'usage éthique de la médecine", précise l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté. "L'ARS nous parle d'éthique, c'est d'un cynisme affligeant. J'invite tous ces gens hors-sol à mettre les pieds dans la boue. Qu'ils viennent avec nous rédiger les certificats auprès des familles éplorées ou des corps putréfiés ou pendus. Nous n'avons aucune leçon d'éthique à recevoir", s'insurge le Dr Martin Ambroise, affilié à l'UFML-s. Il note une augmentation significative des demandes de rédaction de certificats de décès depuis la crise du Covid. "Il nous est arrivé d'avoir 8 décès sur une journée", lors des pics épidémiques, ajoute le généraliste. "Il est inacceptable et injuste que certains médecins soient rémunérés et d'autres pas pour le même travail. Nos cotisations sont les mêmes. En cas de problème, nous engageons notre responsabilité de la même manière", s'emporte le Dr Ambroise.  

En octobre 2013, l’Ordre national des médecins a rédigé un rapport sur les "constats et certificats de décès à domicile ou sur site privé ou public : aspects éthiques et déontologiques". Le document indique qu'"un certain nombre de règles, basées sur la seule éthique, sont d’usage dans la profession. Il en est ainsi de la gratuité pour un tel acte médical pratiqué par le médecin traitant et concernant une personne qu’il a suivie et accompagnée dans son parcours de soins et sa fin de vie. Il entre dans la responsabilité du praticien de répondre à cette obligation déontologique dans les meilleurs délais et dans le respect de la personne et de ses proches." 

Toutefois, le Cnom reconnaît le problème d'absence de rémunération. "Si la gratuité est la règle lorsque c’est le médecin traitant qui intervient (…) la suppression des médecins d’état civil n’implique pas que cette mission doive, depuis, être assurée de façon gratuite par les effecteurs", estime le l'Ordre. "Il apparaît de plus, dans un espace de forte contrainte démographique, une réticence grandissante des professionnels à faire gratuitement un acte nécessitant temps et déplacement, engageant leur responsabilité, et concernant une personne qu’ils n’ont jamais été amenés à suivre". 

 

"Arguments entendables" 

"Il n'y a pas toujours sur place un membre de la famille susceptible de régler les honoraires du médecin, ces situations laissant mal à l’aise le médecin et la famille. Ces difficultés alliées au problème rappelé ci-dessus de la responsabilité médico-légale expliquent la propension des praticiens à différer ce type d’acte au profit des soins aux usagers", ajoute l'instance ordinale. "Nous comprenons la nature du problème, mais cela relève des syndicats", résume le Dr Jean-Marcel Mourges, vice-président du Cnom. "Si on en arrive à de telles situations, c'est qu'il y a des arguments entendables…" analyse-t-il au sujet du mouvement social dijonnais.  

Sur le territoire national, 59,2% des décès ont eu lieu dans des établissements de santé (hôpital ou clinique), 26,0% à domicile, 13,5% en maison de retraite et 1,3% sur la voie publique, indiquait l'Insee en 2016. Si le Smur n'a pas vocation à...

se déplacer pour rédiger des certificats de décès, c'est SOS Médecins qui est surtout impacté.  

"En France, il vaut mieux mourir après 20 heures", ironise le Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France. "Cela nous met dans l'embarras parce que nous sommes de ceux qui rédigeons le plus de certificats, c'est quotidien pour nous. Les généralistes sont souvent coincés au cabinet donc ça retombe sur nous. Ça fait partie de notre travail donc nous y allons. Le plus souvent nous laissons une note d'honoraires de 35 euros pour le prix de la visite, mais ça n'est pas pris en charge par l'Assurance maladie. C'est délicat. Nous disons aux familles de donner la facture au notaire", précise le Dr Masseron.  

 

"Le sacerdoce atteint ses limites" 

Si aucun mot d'ordre de grève des certificats de décès n'a été décrété à l'échelle nationale, le président de SOS Médecins aimerait "un élargissement de cette rémunération forfaitaire en journée". D'autant que les certificats sont désormais dématérialisés. "On nous demande de détailler les circonstances de la mort pour alimenter les statistiques nationales, cela nous prend du temps. Nous devons être rémunérés pour ce travail. Parfois, nous restons plus longtemps que prévu. Les familles ont besoin de parler et c'est légitime", ajoute-t-il. 

"A un moment donné, le sacerdoce atteint ses limites, pour ceux qui en rédigent beaucoup, cela devient pesant", soupire le Dr Masseron. Les médecins de SOS interviennent également sur réquisition pour les levées de corps. "Nous sommes appelés par la police pour l'examen des cadavres. Nous percevons alors une rémunération forfaitaire uniquement si nous constatons un obstacle médico-légal. Si ce n'est pas le cas, nous ne sommes pas payés", indique le président de SOS Médecins.  

 

Mission de service public 

Mais le Dr Masseron a peu d'espoir concernant la tarification des certificats de décès. "C'est la DGOS qui pourrait décider d'un tel forfait mais, pour l'instant, ça n'est pas dans les tuyaux", note le généraliste qui compte toutefois se battre pour une hausse du prix de la visite à domicile, fixé aujourd'hui à 35 euros.  

"En termes financiers, cela représente peu pour nous, admet le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, qui réalise un à deux certificats par an, en tant que médecin traitant, donc non rémunérés. Mais SOS est très impacté. Il faut élargir le dispositif forfaitaire de rémunération. Rédiger un certificat de décès est une mission de service public qui devrait être rémunérée de la même manière quels que soient le lieu et l'heure. Symboliquement, c'est important."

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