"Mépris" pour les généralistes, rémunération trop faible : sur le terrain, le Service d'accès aux soins divise les médecins

24/09/2021 Par L. C.
À quelques mois de sa généralisation, prévue début 2022, le Service d’accès aux soins (SAS), dont l’objectif est de proposer une réponse populationnelle aux demandes de soins non programmés et d’éviter l’engorgement des urgences, peine à décoller. Sur les 22 sites pilotes désignés par le ministère de la Santé, nombreux sont ceux à rencontrer des difficultés organisationnelles ainsi qu’un manque cruel d’effecteurs. Certains médecins engagés dans des projets ont même décidé de stopper leur participation, dénonçant les rémunérations “insuffisantes” actées dans le cadre de l’avenant 9 à la convention médicale en juillet dernier. Le dispositif sera-t-il tué dans l'œuf ? 
 

Trop, c’est trop. Après huit mois de travail avec l’inter-communauté professionnelle territoriale de santé et le CH de Châteauroux-Le-Blanc, le Dr Sylvaine Le Liboux, secrétaire générale des Généralistes-CSMF, a décidé de boycotter l’expérimentation, dans son département (l’Indre), du Service d’accès aux soins (SAS). Accessible à toute heure, le dispositif doit permettre à tous les Français de disposer d’une réponse à leur demande de soins non programmés - lorsque le recours au médecin traitant n’est pas possible - et ce grâce à une régulation médicale associant la ville et l’hôpital. Le Dr Le Liboux qui avait porté le projet à bout de bras refuse les “miettes” proposées par la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) dans le cadre de l’avenant 9 à la convention médicale. “C’est du mépris pour notre travail”, dénonce la praticienne de Valençay, alors que son projet est “finalisé”.  

Signé en juillet dernier par trois syndicats (Avenir Spé-Le Bloc, MG France et la CSMF), cet avenant a défini les rémunérations pour les régulateurs et effecteurs du SAS. Si les régulateurs seront rémunérés 90 euros de l'heure*, la participation des effecteurs sera intégrée dans le forfait structure. Un coup dur pour les représentants des médecins qui réclamaient un paiement à l’acte. Ainsi, la mise à disposition de la régulation d’un créneau de 2 heures de rendez-vous minimum par semaine rapportera 200 points (soit 1.400 euros). Puis il y aura 5 paliers : 10 points pour 5 à 15 actes de soins non programmés réalisés par trimestre, 30 points pour 16 à 25 actes, 50 points pour 26 à 35 actes, 70 points pour 36 à 45 actes et 90 points au-delà de 45 actes. 

Si la mise en application de cet avenant ne doit intervenir que six mois après sa signature, plusieurs agences régionales de santé ont d’ores et déjà décidé d’appliquer ces consignes budgétaires. “Dès que l’avenant 9 est passé, les ARS ont dit que c’était ça ou rien. Alors on a bloqué notre SAS”, explique le Dr Le Liboux qui réclamait avec les Généralistes-CSMF 105 euros pour la régulation libérale (le tarif appliqué dans les centres de vaccination) et une majoration de 15 euros pour chaque acte effectué, soit une consultation à 40 euros. Pourtant, avant la signature de l’avenant, l’ARS Centre Val de Loire - qui n’a pas répondu à nos sollicitations -, avait accepté les 105 euros de l’effection, assure la généraliste.    

Comme elle, nombre de médecins engagés dans des projets pilotes s’inquiètent de la signature de cet avenant qui risque d’aggraver le manque de volontaires. Cet avenant est une “marche arrière”, estime pour sa part le Dr Alain Prochasson, généraliste à Metz et président de l’Association départementale de permanence des soins de Moselle, qui a participé au groupe de travail du ministère sur le Service d’accès aux soins, instauré dans le cadre du Pacte de refondation des urgences. “D’une majoration à l’acte expérimentale, on passerait...

à un forfait complètement ubuesque à mettre en place. Ce n’est pas avec ce que l’on nous donne là qu’on sera incitatifs.” D’autant que certaines ARS ont déjà accordé des majorations MRT : les médecins n’accepteront pas de voir leur rémunération diminuée, préviennent les syndicats.  Du côté de la Cnam**, le paiement à l’acte n’était “pas un point négociable”, rapporte le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. “Le pari du Gouvernement, c’est qu’une rémunération forfaitaire doit marcher, ce n’était pas le nôtre”, ajoute-t-il. “Le Gouvernement et la Caisse ont peur que les actes explosent, juge le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Ils ne veulent pas faire confiance aux libéraux. Or on ne peut pas mettre en place des dispositifs comme ceux-là sans confiance entre les partenaires.” Le représentant syndical explique que la CSMF a fait le choix de signer l’avenant pour que les médecins puissent obtenir la majoration des visites longues pour leurs patients de plus de 80 ans en ALD. Mais, prévient-il, "il faut maintenant se battre sur le terrain”. 

 

“Bras de fer” 

Résultat de cette impasse financière et des problèmes organisationnels qui en découlent : “On observe un désengagement sur la fin de l’expérimentation”, déplore le Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France. Même constat pour le Dr Duquesnel : “5 SAS sont considérés comme ayant démarré. Mais qu’est ce qui a démarré? On a changé la téléphonie, le système d’information… éventuellement on a les régulateurs, mais on n’a pas d’effecteurs !” Sur les 22 sites pilotes, la Direction générale de l’Offre de soins (DGOS) en identifie 20 comme étant fonctionnels. “On est purement dans de l’affichage politique”, tacle le médecin généraliste de Mayenne. “On ne peut pas dire qu’il y ait vraiment quelque chose d’opérationnel, complète le Dr Battistoni. Tous les sites essaient de faire quelque chose, mais rien n’est parfait.” 

 

"SAS : les dispositifs pilotes par région, DGOS"

 

Le danger de ce “bras de fer”, explique le Dr Sylvaine Le Liboux, par ailleurs présidente de la CPTS du Boischaut-Nord, “c’est que l’on casse la dynamique. On a embauché des opératrices de soins non programmés (OSNP) pour le SAS, on les a formées, aujourd’hui, elles commencent à en avoir marre. On leur donne du boulot dans nos CPTS mais ce n'est pas ce pour quoi elles ont été embauchées”. D’autant que, constate le Dr Prochasson, qui travaille depuis 1992 en collaboration étroite avec les urgentistes, “les médecins sont débordés, travaillent de plus en plus sur rendez-vous depuis la crise Covid et ont tous leur carnet...

de rendez-vous bien rempli.”  Impliqué dans 18 des 22 sites pilotes et effecteur principal du Samu, SOS Médecins déplore que l’essentiel des budgets ait été fléché sur la régulation, bien que cela ait permis aux Centres 15 de moderniser leurs outils. Mais aussi, que la visite à domicile n’ait pas été imaginée dans le dispositif. “Quand le Samu ou un régulateur libéral nous envoie une demande pour une visite à domicile en journée, pour nous, il s’agit bien du SAS, or dans le système actuel, ce n’est pas très clair”, avance le Dr Masseron qui souhaiterait bénéficier des mêmes rémunérations qu’un généraliste qui reçoit un patient dans le cadre du SAS au cabinet. Aujourd’hui, une visite SAS lui rapporte 35 euros, comme n’importe quelle autre visite. 

Depuis longtemps engagé dans la prise en charge des soins non programmés, SOS Médecins demande à ce que ses appels soient considérés ainsi. “Si c’est pour faire comme avant, sans avoir aucun coup de pouce, ça ne nous sert à rien. D’autant que ça nous demande pas mal d’énergie de coordonner ces systèmes.” Exclu de la revalorisation de la visite longue, prévue également dans l’avenant 9, la Fédération, qui a annoncé une journée nationale d’arrêt de ses activités pour protester contre cette exclusion, prévient : “Nous risquons fort de nous désengager si rien n’est fait. On ne peut pas juste bouger les trous sans arrêt et être la cinquième roue du carrosse.” 

 

“Marche forcée” 

Le manque d’outils rend par ailleurs l’effection compliquée pour certains. Alors que la plateforme nationale co-créée par la DGOS n’est pas encore déployée, certains SAS ont développé des plateformes numériques partagées pour échanger des informations en temps réel. “Un modèle qui fonctionne bien”, constate le Dr François Braun, président du Samu-Urgences de France. Mais ce n’est pas le cas pour tous. A la Réunion par exemple, la plateforme mise à disposition des médecins ne permet pas de prendre rendez-vous chez l’effecteur. “C’est une vraie blague. il n’y a aucune traçabilité du parcours du patient”, s’agace le Dr Christine Kowalczyk, généraliste à Saint-André et présidente de l’URML-OI. Cette dernière considère le Service d’accès aux soins comme “une grande déception”. 

“On fait un peu cette expérimentation à marche forcée”, reconnaît-elle. Plusieurs points n’ont pas été pris en compte dans les attentes des praticiens réunionnais : d’abord, “il n’y a pas eu d'évaluation des médecins”, ni de communication au grand public - qui continue donc à faire appel aux mêmes services qu’avant, et surtout une non prise en compte des particularités du territoire, déplore la généraliste. “Nous n’avons pas les mêmes demandes qu’en métropole. Nous ne sommes pas une zone sous-déficitaire et, ici, les généralistes répondent beaucoup aux demandes de soins non programmés, explique-t-elle. Je voyais davantage le SAS comme un système de réorganisation des soins avec la nouvelle génération qui veut travailler moins, un système d’entraide en somme.” 

 

“Boîte à outils” 

Une généralisation début 2022, comme le souhaite le Gouvernement, est-elle de fait utopique ? Pour le Dr Battistoni, “parler généralisation début 2022 n’est pas réaliste”. “On va sur un échec du SAS, abonde le Dr Duquesnel. C’est dramatique... pour l’accès aux soins des Français.” Le président du Samu se veut quant à lui plus optimiste. “Il y a des SAS qui sont bien avancés”, nuance-t-il, citant ceux de Metz, Lille, Poitiers, Rennes, ou encore Lyon (voir encadré). “Il est vrai qu’il y a des endroits où on a beaucoup de mal à trouver des effecteurs mais il y a des réflexions”, comme la téléconsultation. Côté régulation, “cela fonctionne très bien, avec un décroché très rapide par un assistant de régulation médicale en moins de 30 secondes”.  Si chacun des acteurs du Service d’accès aux soins défend naturellement ses intérêts, tous s’accordent pour dire qu’un tel dispositif est indispensable. “Alors qu’on pensait que la crise estivale des services d’urgences [dans de nombreux départements, des services d’urgence ont fermé la nuit faute de médecins disponibles, NDLR] était une crise conjoncturelle, on s’est rendu compte qu’elle était structurelle”, ajoute-t-il. “60 gardes sont non pourvues dans les trois services d’urgence de mon département.” Une prise en charge des soins non programmés partagée entre la Ville et l’Hôpital s’avère ainsi de plus en plus nécessaire. D’autant que, appuie le président de MG France, “on sait que deux tiers des appels qui arrivent aux Centres 15 relèvent de la médecine de ville”. 

Pour l’heure, “on n’a pas encore l’effet de diminution de la fréquentation des urgences, indique le président du Samu France. C’est normal : on n’a pas fait de publicité sur les SAS.” 

Au-delà de la possibilité d'offrir une alternative à la fréquentation des urgences, le Dr Battistoni voit dans le SAS un moyen de donner de la visibilité à la médecine de ville. Si les généralistes ont conscience de leur responsabilité professionnelle vis-à-vis de leurs patients, le SAS doit leur permettre d’assumer leur “responsabilité collective” vis-à-vis de la population du territoire sur lequel ils exercent, juge le président de MG France. Il est de fait impératif selon lui de “tirer les leçons” des expérimentations pour mettre sur pied un dispositif efficace. “L’idée, c’est qu’on valide une boîte à outils avec des grands principes, dans laquelle on pourra piocher. Il ne faut pas imposer un modèle”, avance le Dr Braun, qui a pu observer quelques points animosités entre les acteurs, chacun devant trouver sa place.  

De son côté, la Cnam se dit “très optimiste” sur une généralisation prochaine et juge les rémunérations actées dans l’avenant 9 “quand même importantes”, reconnaissant néanmoins qu’il y a “encore des choses à stabiliser”. Le Dr Le Liboux prévient toutefois : il va falloir que le Gouvernement lâche “des billes” s’il veut que les médecins s’investissent. “Sans les médecins généralistes, il n’y aura pas de SAS.” D’autres sujets épineux demeurent par ailleurs dans le brouillard, comme la mise en place d’un numéro unique de régulation médicale. “C’est un dossier qui n’avance pas, chaud, conflictuel entre les rouges et les blancs, les pompiers et le Samu, et le Gouvernement se garde bien de trancher”, regrette le Dr Battistoni, qui plaide pour un numéro spécifique aux soins ambulatoires, le 116-117. Le chemin s’annonce long et périlleux. 

*Avec prise en charge des cotisations sociales pour les médecins de secteur 1. 

 

Le SAS du Rhône : un projet à maturité 
]Expérimenté depuis le 1er février 2021, date à partir de laquelle les régulateurs ont reçu les premiers appels, le Service d’accès aux soins du Rhône arrive aujourd’hui “à maturité”, assure le Dr Jean Tafazzoli, généraliste à La Tour-de-Salvagny et secrétaire général de l’URPS-ML Auvergne-Rhône-Alpes, qui a mené de front le projet avec les Hospices civils de Lyon. En moyenne, le SAS 69 a reçu “environ 45.000 appels par mois depuis février dernier”. “On a réussi à basculer 60% des appels reçus sur les différents numéros vers les effecteurs de ville (maisons médicales de garde, SOS médecins, cliniques…).” Tous les acteurs ambulatoires ont été réunis au sein d’une même association, SASLIB69, afin de faciliter l’organisation et d’absorber de nouveaux effecteurs. Quelques points restent à améliorer, notamment l’intégration des généralistes dans le dispositif. “On est bridés par le manque d’outils car ceux développés pour l’expérimentation ne s’interfacent pas avec tous les éditeurs de logiciel.” Mais la plateforme nationale qui doit être déployée prochainement devrait faciliter leur participation. Le 28 septembre, l’URPS ML et les HCL signeront la convention officialisant le fonctionnement de leur SAS et la gouvernance partagée. “Un SAS qui fonctionne est un SAS où tous les acteurs s’entendent”, conclut le généraliste, enthousiaste.
Par L.C. 
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