"Retards de livraison" ou "rétention des pharmaciens" ? Les médecins ne voient pas arriver les tests antigéniques

13/11/2020 Par L. C.
Un mois après que le Gouvernement a annoncé le déploiement de cinq millions de tests antigéniques sur l’ensemble du territoire, les médecins généralistes, infirmières et pharmaciens, habilités à pratiquer ces tests, semblent désabusés, avec parfois le sentiment que les mêmes erreurs, commises au printemps dernier, se reproduisent. “Problèmes de livraison”, “manque de moyens de protection”, et même “rétention de tests”… Les professionnels de santé témoignent en effet de nombreux obstacles, décourageant certains d’utiliser ce moyen de dépistage.
 

Au lendemain du discours du président de la République, fin octobre, Cyril Colombani, pharmacien à Roquebrune-Cap-Martin (Provence-Alpes-Côte d'Azur), s’est empressé de commander 80 boîtes de 20 tests antigéniques pour pouvoir en effectuer, mais aussi fournir les autres professionnels de santé, médecins généralistes et infirmières, qui lui en ont demandé. Près de trois semaines plus tard, “je n’en ai reçu que 9”, explique-t-il. Sur son ordinateur, le pharmacien observe que tous les tests antigéniques, des différents grossistes, sont actuellement en rupture de stock. Impossible pour lui donc de répondre aux demandes des patients mais aussi des professionnels de santé. “Aujourd’hui, malheureusement, j’ai plus d’une dizaine de généralistes et une quinzaine d’infirmières qui voudraient avoir des tests mais je n’en ai pas”, assure-t-il, impuissant. Sur les 9 boîtes reçues, Cyril Colombani n’en a gardé que deux pour tester ses collègues. Les 7 autres ont été distribuées aux soignants qui les lui avaient demandées. “Aujourd’hui on se retrouve avec le même problème que pour les vaccins contre la grippe, constate de son côté le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML. On a dit qu’il y en avait, que c’était parti, mais tout a été consommé dès la première semaine, et maintenant on se retrouve en tension.”

S’il a pu se procurer quelques boîtes en s’y prenant très tôt, le médecin de Fronton (Haute-Garonne) rapporte que “dans certains endroits, les professionnels n’en trouvent pas du tout”. Le syndiqué, qui avait demandé la création d’une autorité indépendante qui indiquerait l’état des stocks, est amer. “On est dans une gestion permanente de pénurie.” Le Dr Marty, qui réalise pour sa part 6 à 8 tests antigéniques par jour, dénonce par ailleurs une “aberration” dans...

le système de tarification. “Si vous faites un test antigénique de nuit ou le week-end, en PDSA par exemple, vous n’avez pas la majoration de nuit. Vous ne pouvez coter que C2 (46 euros) ou C2+MIS (76 euros). A côté de ça, on lâche des millions et des millions dans un confinement mal fait.” Résultat de cet amoncellement d’obstacles, “80% des médecins ont dit qu’ils n’allaient pas en faire”, déclare le Dr Marty qui se base sur le recueil de témoignages par l’UFML. Sans compter les contraintes liées à l’organisation de ces tests, difficilement réalisables dans des cabinets exigus, sachant que les professionnels de santé doivent se changer intégralement (blouse, surblouse, charlotte, gants, masques), organiser des circuits différents etc. Pour pallier ces problèmes logistiques, Cyril Colombani souhaitait monter une tente à l’extérieur de sa pharmacie et travailler en coopération avec des infirmières qui auraient fait et facturer les prélèvements, tandis qu’il aurait délivré les tests et fait les enregistrements des cas positifs. Mais les Ordres se sont opposés à cela. “C’est une situation totalement ubuesque”, s’insurge Cyril Colombani. Une demande à laquelle est fermement opposé le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) qui estime, dans un communiqué, que les infirmiers sont “autorisés à réaliser les tests antigéniques à domicile, lieu beaucoup plus sécurisé qu’une officine pour éviter toute contamination au Covid-19 avec d’autres patients”.   Soupçons de rétention Si pharmaciens, médecins et infirmiers sont tous confrontés à ces problèmes d’approvisionnement, le Sniil assure, de son côté, que “certains pharmaciens font de la rétention de tests, préférant les réaliser eux-mêmes et faisant fi des instructions du ministère de la Santé leur demandant de délivrer les tests aux professionnels de santé habilités”. D’autres professionnels témoignent eux aussi de situations délicates similaires.

Le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, nous rapporte un extrait d’une lettre ouverte d’une adhérente adressée à Olivier Véran : “Quand tu te félicites de nous avoir obtenu des tests antigéniques, je me dis, excuse-moi pour la familiarité, il est mignon. On voit bien qu’on ne vit pas dans le même monde, parce que je ne sais pas si tu es au courant, mais bon des TROD (test rapide d'orientation diagnostique, ndlr), bah y’en a plus. Mon pharmacien (le gentil) se démène pour en commander partout, et l’autre pharmacien de mon village (le moins gentil) préfère garder ses boîtes pour tester ses patients asymptomatiques. Si,si, je te jure, asymptomatiques. Tu sais le truc qui ne sert pas à grand-chose en ce moment, vu la sensibilité du machin. Et là je me mets en colère, ce qui m’arrive souvent quand je suis fatiguée et je te le redis, je suis vraiment fatiguée.” Pour Cyril Colombani, ces accusations ne sont pas fondées et sont de l’ordre de la “diffamation”...

 “Ce n’est pas de la rétention, c’est simplement qu’on n’a pas suffisamment de tests.” Il évoque pour sa part un manque de compréhension. “Certains médecins et infirmiers pensent que l’Etat nous a envoyé des tests que l’on doit remettre gratuitement aux autres professionnels de santé, comme des dotations. Ce n’est pas le cas. Les tests, on doit les commander, les acheter”, signale le pharmacien, qui regrette que le syndicat soit “resté bloqué sur une image de pharmaciens commerçants, alors qu’ils sont de plus en plus investis dans les missions de santé publique”, et eux aussi “débordés”, en particulier avec la campagne de vaccination contre la grippe qui s’ajoute à la gestion de l’épidémie de Covid.   Changer de doctrine Si les situations délicates entre les professionnels de santé demeurent minoritaires, tous s’accordent cependant sur la désorganisation de la stratégie de dépistage. “On va vers un déconfinement sur une jambe”, craint pour sa part le Dr Jérôme Marty, qui estime qu’il faudrait mettre en place une stratégie reposant sur trois types de tests : les tests salivaires, avec pooling, pour les lieux qui regroupent souvent du public (collège, lycée, entreprises etc.), les tests antigéniques pour les lieux qu’il décrit comme “instables”, c’est-à-dire les événements : mariages, matches, concerts… et les tests antigéniques pour les personnes symptomatiques, les professionnels de santé, ou encore les cas-contacts.

De son côté, le Dr Battistoni souhaiterait lever “le grand flou sur les indications des tests antigéniques” : “Aujourd’hui on n’a pas levé les restrictions pour les patients symptomatiques (patients à risque ou de plus de 65 ans, ndlr), donc les indications chez les médecins généralistes sont finalement peu nombreuses. Et la plupart du temps, ils ont la possibilité d’avoir des tests PCR dans des délais raisonnables. Donc les principaux tests antigéniques réalisés le sont sur des patients asymptomatiques, et là où on n’est pas dans les clous, ou alors on nous a raconté des salades.” Le généraliste de Ifs (Calvados) déplore que le “changement de doctrine, qui devait être matérialisé par un DGS urgent envoyé aux médecins, n’ait toujours pas été reçu”. Le praticien qui indique ne voir aucune stratégie de dépistage en place concède : “Tout ça est assez démotivant.

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