Conservation des ovocytes pour raison non médicale : l’Académie dit oui

20/06/2017 Par Marielle Ammouche
Gynécologie-Obstétrique

C’est un pavé dans la marre que vient de lancer l’Académie nationale de médecine en s’attaquant à la conservation des ovocytes. L’Institution se prononce, en effet, en faveur de l’autoconservation des ovocytes pour des raisons autres que médicales, et recommande donc de modifier la loi de Bioéthique de 2011.

  Comme le rappelle le Pr Jacques Milliez qui a coordonnée l’élaboration d’un rapport sur ce sujet au nom de l’Académie nationale de médecine, rendu public le 19 juin dernier, la congélation des ovocytes existe depuis 1986. Elle permet de préserver ces cellules en vue d’une fécondation in vitro ultérieure. A la congélation, autorisée en 2004 en France, s’est substituée la vitrification qui correspond à une congélation ultra-rapide qui a permis d’obtenir de meilleurs taux de survie des ovocytes. Cette technologie est autorisée en France depuis 2011, et une première naissance a eu lieu le 4 mars 2012 à l’hôpital Robert Debré (Paris). Cependant la conservation d’ovocytes n’est actuellement autorisée que dans le cadre de raisons médicales. Il s’agit généralement de jeunes femmes porteuses d’une maladie maligne (cancer du sein, maladie de Hodgkin…), qui conduit à subir des traitements gonadotoxiques (chimiothérapie, radiothérapie), ou pour qui s’annonce une perte prématurée de leur fonction ovarienne (insuffisance ovarienne prématurée, endométriose…). La conservation des ovocytes est par ailleurs permise dans le cadre d’un don.   Pallier une infertilité liée à l’âge Or "aux indications médicales de conservation des ovocytes se sont ajoutées depuis quelques années des indications qualifiées de sociétales ou de convenance, d’autoconservation, de demandes personnelles, destinées à préserver sa propre future fertilité, en réalité une démarche de palliation de l’infertilité liée à l’avancée en âge", constate l’Académie dans son rapport. En effet, l’âge de la procréation de cesse de reculer. De 24 ans en 1970, l’âge de la première grossesse est passé à 30,3 ans en France en 2014 (données Ined, Insee 2014) ; il est de 29 ans en Espagne, et 31 ans au Royaume Uni. Les mères de 40 ans et plus représentaient 1% des accouchements en 1980, et elles sont aujourd’hui 5%, soit une sur vingt. Elles sont par ailleurs de plus en plus sensibilisées à la baisse de la fertilité liée à l’âge. Ainsi, le taux de conception à 12 mois est de 75,4% à 30 ans, de 66% à 35 ans, de 44,3% à 40 ans. A 40 ans, près de 80% des ovocytes soumis à fécondation sont aneuploïdes, ce qui induit un taux de fausses couches spontanées de 30%. En outre, le taux de réussite des inséminations artificielles, quelle que soit la technique, diminue fortement après 35 ans : de 30,1% à 34 ans, à 23,6% à 38 ans, et 16,5% à 43 ans.   La France fait figure d’exception La question d’une autoconservation des ovocytes en vue d’anticiper une infertilité liée à l’âge est donc plus que jamais d’actualité. Et ce d’autant que de nombreux pays ont déjà autorisé cette pratique. C’est le cas de la majeure partie des pays européens, comme par exemple l’Espagne, la Grande Bretagne, la Belgique, l’Italie, maintenant la république tchèque. Un nombre de plus en plus important de Françaises s’y rendent donc pour conserver leurs ovocytes, mais au prix de plusieurs milliers d’euros. Aux Etats Unis, de grandes entreprises telles que Facebook ou Apple financent même cette démarche pour "favoriser l’épanouissement professionnel de leur salariées en leur permettant d’avoir des enfants plus tard". L’Armée américaine la propose aussi pour couvrir les risques professionnels potentiels menaçant la fertilité de ses recrues. Plusieurs sociétés savantes en France se sont aussi prononcées en faveur de cette mesure comme la Société européenne de fertilité humaine et d’embryologie (Eshre) ou encore du Collège national des gynécologues et Obstétriciens français (Cngof). Sur le plan légal, un début d’ouverture a eu lieu en 2011. En effet, pour encourager le don d’ovocytes, la loi de Bioéthique du 7 juillet 2011, a étendu la possibilité à toute femme majeure n’ayant jamais procréé, de participer au don de gamètes. En contre-partie, elle peut conserver, en prévention d’une infertilité ultérieure, une partie de ses ovocytes pour elle-même.   Un pseudo "chantage" Cependant, cette première voie ouverte à l’autoconservation des ovocytes est assortie de conditions majeures et clairement orientée vers le don : il faut ainsi plus que de la moitié des gamètes soient destinées au don ; et en cas de quantité insuffisante, les cellules matures sont dirigées vers le don. Or "il faut au moins 15-20 gamètes vitrifiés pour raisonnablement espérer une grossesse plus tard", rappelle le rapport de l’Académie. En conséquence, l’autoconservation exigerait au moins 30 à 40 gamètes, imposant de multiplier les cycles de stimulation et de recueil d’ovocytes, "un défi qui semble insurmontable quel que soit l’engagement de ces jeunes femmes" assurent les auteurs du texte. Pour eux, "cette offre très favorable au don pour autrui, peut être perçue comme un chantage ou comme un leurre au détriment des donneuses motivées prioritairement par le projet de conserver des ovocytes pour elles-mêmes" insistent-ils. En outre, la loi actuelle "expose ces femmes à des risques inutiles" ajoutent-ils avant de conclure "cette loi est donc médicalement et éthiquement inacceptable. Il serait non éthique de la conserver en l’état". L’Académie recommande donc de l’amender en élargissant autoconservation des ovocytes à "la prévention de l’infertilité liée à l’âge". Les auteurs du rapport proposent que cette démarche soit réservée aux femmes majeures de moins de 35 ans, avec un âge d’utilisation ultérieure des ovocytes inférieur à 45 ans, et sous réserve d’une information obligatoire et exhaustive sur les méthodes, et les risques liés à la procédure.

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