Jusqu'à 80 heures par semaine : les résultats alarmants de la dernière enquête sur le temps de travail des internes

Dévoilée lors de la 24e édition du congrès de l'Isnar-IMG à Rouen (Seine-Maritime), une nouvelle enquête révèle que le temps moyen de travail des internes s'élève à 59 heures hebdomadaires. Parmi les carabins interrogés, 10% affirment même travailler plus de 80 heures par semaine. Face à ce constat alarmant, les syndicats appellent, entre autres, à mettre fin au travail de 24 heures consécutives pour les internes.

01/03/2024 Par Chloé Subileau

Les droits des internes sont encore trop peu respectés. Et, en particulier, ceux liés à leur temps de travail. À l'occasion de la 24e édition de son congrès, consacrée à l'éthique en santé, l'Isnar-IMG a présenté, ce vendredi 1er mars, une nouvelle enquête sur le temps de travail des internes. Selon cette étude, réalisée conjointement par l'Isnar-IMG, l'Isni, la FNSIP-BM et le SNIO*, les futurs médecins travaillent en moyenne 59 heures par semaine lorsqu'ils sont en stage. 10 % des internes – toutes spécialités confondues - déclarent même dépasser les 80 heures de travail. Des chiffres bien loin de la limite légale, fixée à 48 heures hebdomadaires par le décret du 26 février 2015

Pas moins de 2 277 internes ont répondu à cette enquête entre le 18 septembre et le 30 octobre 2023. Parmi eux, 80% affirment dépasser le maximum légal de temps de travail. Ces chiffres, très élevés, se sont aggravés depuis les dernières enquêtes sur le sujet. En 2020, l'Isni établissait, en effet, à 58,4 heures par semaine le temps de travail moyen des internes en stage. Tandis qu'en 2021, une étude Opinion Way, réalisée à la demande du ministère des Solidarités et de la Santé, estimait à plus de 51 heures en moyenne le temps de travail hebdomadaire des apprentis médecins. 70% des internes interrogés dépassaient les 48 heures.  

La nouvelle enquête, présentée ce vendredi à Rouen devant un parterre de plus de 700 internes, met en avant des disparités entre les spécialités. En effet, si "les internes de médecine générale travaillent en moyenne 50 heures hebdomadaires", note l'étude, ceux des spécialités chirurgicales peuvent atteindre "75 heures par semaine". Les carabins des autres spécialités médicales, comprenant notamment la rhumatologie, la cardiologie, la gériatrie et la neurologie, plafonnent à une moyenne de 58 heures hebdomadaires.

Source : Enquête "Temps de travail 2023",  Isnar-IMG, Isni, FNSIP-BM et SNIO.

Si les spécialités chirurgicales sont celles où les internes dépassent le plus le cas le cadre légal, elles sont suivies par la gynécologie obstétrique, la spécialité "ORL – chirurgie cervico-facile", la réanimation, la médecine cardiovasculaire et la néphrologie. À l'exception de la médecine du travail, de celle nucléaire et de la santé publique, les chiffres des trente autres spécialités "sont tous supérieurs à la limite légale du temps de travail", souligne l'enquête.

Source : Enquête "Temps de travail 2023,  Isnar-IMG, Isni, FNSIP-BM et SNIO.

  Cette dernière met également en lumière que le temps qu'un interne "passe dans son stage n'est pas intégralement dédié 'au lit des malades'". Les apprentis médecins passent, en effet, de nombreuses heures à tenir les dossiers médicaux des patients, à rédiger des courriers ou à prendre des rendez-vous, liste l'enquête. Au total, 41% du temps de travail hebdomadaire des internes est consacré à de l'extra-médical. 10% des répondants déclarent même y consacré plus de 70% de leur temps, indique l'étude.  

 

Un manque de respect des repos obligatoires 

Des chiffres alarmants pour les syndicats étudiants. Ce large temps accordé aux taches non-médicales "est ressenti par l'interne comme étant [en dehors] de son travail et des prérogatives", a avancé Guillaume Bailly, président de l'Isni, présent lors de la présentation de l'enquête. "C'est ce qui fait qu'un nombre non négligeable de jeunes ne se retrouvent plus dans leur métier. Il faut [donc] s'interroger sur le temps de travail des internes, mais aussi sur comment mieux travailler" lors des stages, a-t-il ajouté.   

Au-delà du temps de travail, les repos de sécurité des internes ne sont pas assez respectés. Depuis 2002, ces périodes de pause de 11 heures doivent obligatoirement être prises par les étudiants à l'issue d'une garde ou d'une demi-garde de nuit. En pratique, le respect de ce repos reste mitigé. "En 2023, ce repos semble être désormais acquis pour la plupart des gardes, puisque 84% des internes déclarent en bénéficier systématiquement", indique l'étude. Toutefois, ce chiffre tombe à 43% pour une demi-garde de nuit, et même à 25% après le dernier déplacement d'une astreinte de nuit. "Cela illustre que la pénibilité induite, par les demi-garde de nuit [notamment], n'est pas assez reconnue dans nos stages", a analysé Julien Monje, vice-président de l'Isnar-IMG, ce vendredi.

La question du respect des repos compensateurs est, elle aussi, centrale. Ces derniers, qui prennent la forme de demi-journées de récupération, doivent être pris par les internes au cours d'un semestre lorsqu'ils dépassent huit demi-journées de travail hebdomadaires. Comparables à des RTT, ces périodes de repos ont été "introduite[s] en 2015 et ser[vent] à récupérer tout dépassement de nos temps de travail", a expliqué Julien Monje, au public réuni au cœur du Parc des expositions de Rouen. 

Là encore, les droits des étudiants en troisième cycle de médecine ne sont pas assez respectés, puisque 57% d'entre eux ne prennent jamais de repos compensateur pour leur temps de travail excédentaire, note l'enquête. Parmi les éléments expliquant ces chiffres, la trop grande absence des tableaux de service nominatifs prévisionnels. Obligatoires, ils sont censés garantir l'équilibre de temps de travail des internes. Ils ne sont pourtant pas mis en place ou non utilisés pour au moins 50% des internes.   

 

Mettre fin aux gardes de 24 heures consécutives 

Pour une large majorité des carabins, la médecine est "une vocation". Cette dernière est à la fois "notre plus bel allié, et notre pire ennemi". À cause d'elle, "on peut se sentir en quelque sorte obligé de rester de manière supplémentaire [pendant un stage], parce que l'on ne veut pas abandonner un patient […] De manière instinctive et naturelle, on peut rester une heure de plus [sur place], car on peut se sentir un peu coupable" de partir, a tenu à glisser Guillaume Bailly, président de l'Isni, présent lors de la présentation de l'enquête. Les textes officiels sont, eux, censés éviter les dérives. 

Face à leur trop faible application, et aux chiffres accablants qui en découlent, les représentants des internes appellent à réagir. "Il va nous falloir poursuivre [le] combat pour se voir appliquer nos droits, et plus encore, pour en conquérir de nouveaux", a maintenu Julien Monje. Parmi les priorités, les représentants des étudiants demandent à ce que soit définit, dans les textes réglementaires, "l'amplitude horaire maximale" d'une demi-journée, afin de mettre fin au flou qui persiste autour de ces périodes de travail.

Concernant le trop faible recours aux tableaux de service durant les stages, ils proposent que l'état des lieux annuel de l'application de la réglementation autour de ces tableaux soit "transmis au directeur régional de l'Agence régionale de santé de la subdivision" des internes, "afin de sanctionner les terrains de stages ne faisant pas respecter le temps de travail réglementaire", soutiennent les syndicats, dans leur enquête. L'Isnar-IMG, l'Isni, la FNSIP-BM et le SNIO appellent également à mettre fin au travail de 24 heures consécutives des internes. "Nous pensons que le prochain droit à conquérir est la fin de l'obligation à travailler 24 heures consécutives", a lancé Julien Monje, sous les applaudissements des 700 internes réunis devant lui. 

Pourquoi une telle demande ? "Parce que c'est dangereux pour les patientes et les patients, a détaillé le vice-président de l'Isnar-IMG. Mais aussi, car c'est dangereux pour les internes, et même plus largement pour les médecins". Plutôt que 24 heures, "nous demandons donc à ne plus être mis dans l'obligation de travailler plus de 18 heures consécutives, et à avoir la possibilité d'une demi-journée de repos pré-garde avant toute nuit de travail". Des demandes nécessaires, selon les syndicats, pour protéger les internes, et enfin garantir le respect de leurs droits.   

 

*L’Intersyndicale Nationale Autonome Représentative des Internes de Médecine Générale, l’Intersyndicale Nationale des Internes, la Fédération Nationale des Syndicats d’Internes en Pharmacie et Biologie Médicale et le Syndicat National des Internes en Odontologie.

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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 2 ans
J'ai commencé en 1978 mon premier Internat dans un petit Hôpital de proximité d'une ville de 50 000 habitants sans passer par un concours, les postes étaient offerts aux étudiants de fin d'études , j'avais 23 ans, l'hôpital était polyvalent avec réanimation, maternité, pédiatrie, médecine, cardiologie, chirurgie et urgences , nous vivions 5 internes logés et nourris, de garde à 2 tous les 3 jours, les chefs de services étaient des médecins généralistes ou spécialistes exerçant aussi en libéral et nous recevions toutes les urgences, lors des gardes on bossait 24h/24 parfois 3 jours d'affilée, mais on ne se plaignait jamais... J'ai ensuite réussi le redoutable Concours d'Internat des Villes de Facultés qui permettait d'accéder aux postes en CHU et à la filière élitiste qui ouvrait la porte aux spécialités et au Clinicat, j'ai bossé souvent plus de 13h par jour 6 jours sur 7 pendant ces années, nous avons fait une grève générale en 1982 pour réclamer le paiement des gardes...Cette grève a abouti après la nomination de "5 sages" à faire sauter un Ministre communiste, poursuivre le secteur 2 des Patrons de CHU et malheureusement faire disparaitre en 1984 le Concours d'Internat tel qui existait et qui aboutira à l'examen classant national qui permettra à tous les hôpitaux de disposer d'étudiants hospitaliers sous-payés pour faire le taff !... Finalement on ne se plaignait pas beaucoup mais le système semblait bien mieux adapté et bien mieux équilibré que le système actuel, parfois il faudrait revenir à ce qui a fait ses preuves et permettre d'atteindre l'excellence...On en est loin aujourd'hui !...
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259 points
Incontournable
Psychiatrie
il y a 2 ans
Une loi de 2015 sur le temps de travail non respectée, des réquisitions non légales dans le fond (ce sont les PH qui doivent être réquisitionnés et non les internes) comme dans la forme (réquisition par mail), un statut de "stagiaire-étudiant" n'ayant aucune valeur légale qui permet quand ça arrange l'hôpital de considérer l'un ou l'autre... Tout ça pour permettre à l'hôpital de fonctionner sous une forme d'impunité en jouant la carte de "la vocation" et de remercier en applaudissant... Voilà l'une des multiples raisons m'ayant poussé à quitter l'hôpital sans remords ni regrets
Photo de profil de PIERRE C
1,7 k points
Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 2 ans
Nous sommes effectivement encore hors des clous avec de très grandes disparités selon les spécialités. Je ne serai pas si négatif en revanche car, encore interne il y a deux ans, il faut reconnaître qu'il y a quand même du progrès (mis à part quelques CHU de grandes métropoles). Je peux témoigner de l'apparition des congés formations, l'effectivité des repos de gardes (sauf pour les chirurgiens parfois), le respect des congés annuels. Les spécialités chirurgicales et médico-chirurgicales résistent encore et toujours à la loi. Je pense que c'est aussi dû à leur spécificité technique et je me suis toujours posé là question: Peut-on être un bon opérateur si au lieu de travailler 70h par semaine on travaille 48h ? C'est à dire, pour illustrer que, sur un internat de 5 ans, cela correspond à travailler un an et demi en moins. Je n'ai pas la réponse, d'ailleurs l'internat de ces spécialités à été rallongé d'un an ce qui règle en grande partie le problème (avec deux ans de docteur junior donc). Je pense qu'il faut afficher un minimum d'heures de vol au compteur pour ne pas faire n'importe quoi au bloc opératoire mais ces spécialités doivent trouver un équilibre car 80h par semaine c'est beaucoup trop et contre productif : vous n'apprendrez rien après 24 voir 30h sans dormir… Le pointage peut-être mis en place pour identifier les services dysfonctionnels. Cela permettra aussi de repérer les quelques resquilleurs qui prennent leurs co-internes pour des imbéciles. On peut discuter le passage en 12h mais, beaucoup préfèrent le 24h qui permet en 2 gardes de totaliser le nombre d'heures pour la semaine et d'avoir plus de jours "off". En résumé, il faut identifier les services hors là loi et forcer les établissements à appliquer la loi tout simplement.
 
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