"Je n'étais pas prête à être interne" : après un burn out, le long combat d'une étudiante en médecine pour repasser ses ECN

01/07/2022 Par Marion Jort
A 25 ans, Chloé, étudiante en sixième année de médecine, fait partie de la promotion qui a passé les ECN mi-juin… mais elle a également passé le concours en 2021. Alors qu’elle fera officiellement ses premiers pas en tant qu’interne à la rentrée prochaine, la jeune femme assume désormais d’avoir été fragilisée l’an dernier, au point de se battre pour redoubler son année, considérant qu’elle n’était pas prête à être interne. Dépression, idées suicidaires, fatigue… Cette excellente étudiante a fait les frais des études de médecine, souvent qualifiées de “machine à broyer” les carabins, y compris les plus tenaces. Elle témoigne pour Egora. 

  “Honnêtement, si j’avais été interne cette année, je ne sais pas ce que je serais aujourd’hui.” C’est avec pudeur et beaucoup de sincérité que Chloé*, 25 ans et étudiante en sixième année de médecine à Paris, se livre aujourd’hui sur les épreuves qu’elle a traversées durant son externat. Il y a trois semaines, celle qui a fait deux sixième année de médecine et qui a passé à deux reprises les redoutées épreuves classantes nationales informatisées (ECNi) a validé, pour la toute dernière fois, ses QCM. “A ce moment-là, j’ai eu un grand sourire. J’ai appuyé sur le dernier bouton réponse et je me suis dit que tout était fini. Et advienne que pourra !”, raconte-t-elle fièrement.  Ces mots sont loin d’avoir été choisis au hasard. Excellente élève, elle a raté de peu (12 places) sa première Paces. L’année suivante, son passage en médecine a été une formalité. En deuxième et troisième année, elle relâche la pression, sort, s’amuse. “Je pense que c’est pour cette raison que l’externat s'est mal passé. J’ai eu du mal à reprendre un mode de travail acharné”, souffle la jeune femme. 

“Des idées noires” Quand elle intègre la quatrième année, Chloé a, en effet, du mal à se faire au rythme intense des stages et des révisions. Pendant deux ans, elle accumule fatigue et angoisses. Je suis arrivée en première sixième année, j’étais épuisée. Je me suis dit que ça allait le faire. Sauf que ça ne l'a pas fait du tout…”. La fatigue mentale du début de l’externat la rattrape de plein fouet. “J’étais crevée à cause des stages le matin. Quand venait le moment de réviser, l'après-midi, j’étais à plat. Je faisais des siestes de deux-trois heures, je me remettais à travailler à partir de 17h. Je suis entrée dans un cercle vicieux sans le vouloir. Comme je me réveillais à 17h, j’étais désespérée de ne pas travailler assez.”  Au milieu de l’année, elle craque. A l'issue des premiers ECNi blanches du mois de décembre, elle découvre son classement (régional) : 2.300 sur 2.600 étudiants. “La dépression qui me pendait au nez depuis plusieurs mois avec des baisses de moral, s’est installée. Ce classement, c’était la goutte d’eau”, assume-t-elle franchement.  En janvier, elle entame un stage en psychiatrie. “J’ai fait trois jours de stage et j’ai parlé de ça à l’un de mes chefs”, poursuit-elle. “Ça”, ce sont des “idées noires”, comme les qualifie délicatement Chloé. “Je lui ai expliqué les idées que j’avais. Comme j’étais déjà bien suivie, il n’y avait pas d’autres solutions pour lui que de m’hospitaliser. C’était une hospitalisation libre et je ne la regrette pas. Ça m'a isolée de mon appartement où je ne pensais qu’à mes études.”  Elle reste à l’hôpital pendant un mois et demi. Mais quand on lui demande si elle a cessé de penser médecine pendant ce temps, elle répond immédiatement : “arrêter de penser médecine, c’est impossible !”. Si elle s’accorde du temps pour elle, la jeune femme revient vite à ses révisions, même hospitalisée. “Je trouvais ça bien de reprendre un rythme à l’hôpital”, sourit-elle aujourd’hui. “Lorsque je suis sortie, je bossais une à deux heures par jour et je me suis aperçue que je ne pouvais pas ouvrir un livre car ça me faisait trop stresser. Alors, je travaillais sur d’autres supports : des fiches, des questions/réponses que mon psychiatre m’avait donné. En fait, j’ai travaillé sur ça jusqu’à l’ECN en me disant qu’il fallait que j’assure un minimum et pas sur des livres qui me provoquaient des angoisses.”

“Trop fragile pour redoubler” Très rapidement, en mars, elle reprend les stages. Pour elle, “c’était bien de se remettre dans le bain.” A cette période, elle prend aussi la décision de redoubler son année. Une idée qui lui trottait déjà dans la tête depuis la cinquième année. “Je n’étais pas sûre à propos de ce choix. Autour de moi, on me disait que peut-être que l’année suivante, je serais mieux, etc. Sauf que là, avec l'hospitalisation, j’ai perdu un mois et demi de cours et révisions. C’était donc le bon moment... C’est là que j’ai eu mes problèmes avec l’administration…”  Quand elle sollicite la faculté de médecine pour entamer les démarches nécessaires, on lui refuse le redoublement, car elle a validé ses partiels. “On m’a dit qu’il valait mieux que je passe l’ECN, plutôt que de redoubler à l’amiable, c’est-à-dire qu'ils invalident mes résultats pour me faire redoubler et que je puisse repasser l’ECN l’année suivante”. Mais la faculté lui promet aussi qu’elle pourra redoubler une fois le concours passé et validé, grâce à une autre procédure existante.  “Alors j’y suis allée à fond, même si je ne connaissais pas grand-chose. Je suis arrivée 8.300 sur 8.800. C’était un classement qui me permettait probablement de faire ce que je voulais, car je voulais être... urgentiste. Mais on ne peut jamais être sûrs à 100%… Et on doit prendre notre décision de redoubler avant de voir si on a vraiment notre spécialité. Comme ça se jouait à peu, ça m'a confortée dans ma décision.” Ce n’est pas le seul motif qui a poussé Chloé à choisir le redoublement. "J'ai redoublé, car je voulais prendre confiance en moi, être une interne sereine. Probablement aussi par fierté. C’est peut-être déplacé, mais je voulais un meilleur classement.”  Dix jours après les résultats, son choix est assumé : elle demande à redoubler sous le statut d’auditeur libre. Un statut qui lui permet d’accéder aux cours et conférences sans être obligée d’aller en stage. Mais elle se heurte au Doyen de l’Université de Paris… “On m’a tout bonnement refusé le redoublement… qu’on m’avait promis quelques mois plus tôt”. La raison ? “Ils ont estimé que j’étais trop fragile pour redoubler et qu’une année supplémentaire de médecine me serait délétère”, lâche-t-elle, la voix encore pleine de colère. “On m’envoyait au casse-pipe. Je n’étais pas prête à être interne, j’avais besoin de prendre confiance en moi, en mes connaissances. Eux pensaient au contraire qu’une deuxième D4** accentuerait mon manque de confiance.”  Alors, Chloé se bat. Elle demande un entretien au Doyen et lui explique que sa dépression lui a fait perdre la mémoire. Qu’elle a besoin de temps. “Je considérais aussi que c’était de la discrimination avec les autres candidats car je n’avais pas eu les mêmes chances au concours à cause de mon hospitalisation”. Même si le Doyen ne semble “pas vraiment comprendre”, ce dernier argument fait mouche. Elle peut redoubler. 

“C’est difficile de se voir devenir mauvaise élève”  Cette décision est une victoire pour elle, après plusieurs mois de souffrance dans ses études. Déjà fragilisée par son épuisement physique et moral, devenir “une mauvaise élève” lui a en réalité pesé. Beaucoup.C’est compliqué. Je ne suis pas la seule, j’ai des amis autour de moi qui ont vécu la même chose : être très bon élève au lycée et tomber en bas du classement. C’est particulièrement difficile à vivre quand on a toujours excellé et qu’on devient les “pas bons”. Pour moi, c’était un élément du cercle vicieux. Personnellement, j’ai toujours voulu rendre fiers mes parents par mes études, et là je n’osais même plus leur parler de mon classement ni même de mes notes.”  Même si elle manque encore de recul, les résultats des ECN étant tombés la semaine dernière, elle pointe du doigt le fonctionnement des études de médecine. “Les études de médecine m’ont broyée. Elles ont joué sur mon humeur. Je ne peux pas expliquer pourquoi, car je n’ai jamais eu de maîtres de stage violents envers moi. Selon moi, c'est plutôt un problème de rythme : travailler à l’hôpital tous les matins, devoir travailler l'après-midi encore sur nos livres cette fois-ci. J’ai eu du mal à prendre le coche.”  “J’ai toujours voulu être urgentiste”  En septembre dernier, Chloé entame donc sa deuxième sixième année. Elle fait le choix, même s’il n’était pas obligatoire, de prendre un stage au premier trimestre. Elle est affectée en anesthésie-réanimation, en pleine crise du Covid. “A cette période, j’ai eu un dégoût de la médecine. Je n’arrivais plus à soigner les gens, à voir les patients”. Au deuxième, elle fait une pause et se concentre sur ses révisions. Puis, au troisième trimestre, elle choisit de faire un stage libre aux urgences, qui la réconcilie avec la pratique. “J’étais toujours stressée mais dans une optique de réussite.”  Comme l’année passée, la jeune femme s’est préparée aux ECN uniquement avec des fiches. “Je n’ai fait qu’un tour du programme, mais c’est déjà énorme pour moi. Le premier jour des ECN, j’étais bizarrement sereine. C’était la fin, je savais qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible !”.  A l’issue des épreuves de cette année, elle a gagné... 1.500 places au classement et peut prendre la spécialité de médecine d’urgence, son choix de cœur depuis le début de ses études. Mais son hospitalisation a laissé des traces… “Je doute de moi. Je me demande si je suis capable de faire une spé aussi stressante, où il y a un énorme flux de patients au cours de la journée. Je sais que les pauses sont compliquées aux urgences. J’ai adoré mes stages mais il ne faut pas se mentir, j’étais lessivée à la fin de la journée.”  D’autant que les conditions de travail actuelles aux urgences, et plus largement dans les hôpitaux publics, sont loin de la rassurer… "Évidemment, ça fait peur et on y pense”. Alors, elle hésite avec la médecine légale. Elle a prévu un stage cet été, pour l’aider à faire son choix. “La médecine légale pourrait être un meilleur compromis pour moi. Disons que j’ai pour cette spécialité un attrait intellectuel, alors que les urgences sont un choix de cœur”, résume Chloé. 

  “Les soucis mentaux ne devraient pas être un problème aujourd’hui” Malgré sa dépression, Chloé garde étonnamment la tête sur les épaules, en restant toujours très lucide sur son état. Comme elle, 40% des étudiants en médecine présentent des symptômes de dépression au cours de leurs études selon une étude de l’Association nationale des étudiants en médecine de France ; et 67% souffrent du syndrome d’épuisement professionnel, ou burn out. La jeune femme estime donc que sa perte de confiance en elle est “logique”, et se dit très soutenue par ses proches et sa famille.   Ce passage de sa vie, la future médecin l’a vécu comme un “échec”. Mais elle l’assume, car elle estime que “les soucis mentaux ne devraient pas être un problème aujourd’hui”. Elle regrette en revanche le manque d’empathie de la faculté. On ne devrait pas avoir à se justifier sur le fait que les problèmes de santé mentale ne sont pas un caprice quand on en souffre, surtout dans le cadre d’études de santé”, considère-t-elle. Même s’il existe des dispositifs de prise en charge au sein de l’université et à l’hôpital, cela reste largement insuffisant pour Chloé. “C’est de la poudre aux yeux. Au final, je pense que les décideurs font ça pour se dédouaner d’une certaine responsabilité, car on sait que les suicides d’étudiants en médecine sont fréquents”, tranche-t-elle sévèrement. Pour l’instant, elle songe sérieusement à se lancer dans la médecine d’urgence, tout en se laissant la possibilité d’un droit au remords éventuel l’an prochain pour la médecine légale.    *Le prénom a été modifié
** D4 : sixième année des études de médecine

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