Pour ou contre le midazolam en ville ? Un généraliste à la tête des professionnels de soins palliatifs se positionne

09/01/2020 Par Marion Jort
Le lancement d’un manifeste en soutien au généraliste accusé d’euthanasie pour avoir donné du midazolam à des patients en fin de vie a provoqué de vives réactions. Faut-il ouvrir, ou non, le droit aux libéraux d’utiliser ce produit ? Comment prendre en charge la fin de vie à domicile dans les déserts médicaux ? Et plus globalement, quelle prise en charge pour les soins palliatifs à domicile ? Si pour Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, l’interdiction du midazolam pour les généralistes participe à la dégradation des conditions d’exercice, le Dr Olivier Mermet, président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) et médecin libéral, insiste sur la notion impérative d’équipe et de collégialité.  

Egora.fr : Quel regard portez-vous sur la mise en examen du Dr Méheut et sur le manifeste lancé en soutien par la Fédération des médecins de France ?  

Dr Olivier Mermet : Pour nous, il ne faut pas limiter ce débat au seul accès du midazolam. Il ne faut pas banaliser cette possibilité de sédation à domicile comme si c’était quelque chose de facile. Les situations nécessitant un produit sédatif à domicile pour des patients en fin de vie sont des situations rares et ce n’est pas si fréquent d’utiliser ce type de produit, surtout chez les généralistes. Ce n’est pas non plus sans retentissements sur l’équipe soignante. Notre position c’est donc ne de pas limiter la réflexion à la seule limitation du midazolam mais plutôt de s’interroger sur les moyens qu’on met sur les soins palliatifs à domicile. 

Êtes-vous pour l'accès des généralistes à des produits permettant une sédation profonde tels que le midazolam ? 

Je pense que cette situation montre que la suspicion peut naître dans le fait d’agir de manière isolée. Or, il faut bien comprendre qu’on ne fait pas du soin palliatif seul mais en équipe. Ce sont aussi des produits particuliers à manier, surtout quand on n’a pas l’habitude. Les médecins doivent s’y former. Il faut assurer aux patients en situation palliative la possibilité d’avoir des équipes qui peuvent se déplacer à domicile. Les médecins généralistes seuls, les équipes de soins primaires, prennent déjà une bonne partie des situations palliatives de façon autonome mais il y a des situations complexes. La situation où l’on envisage de mettre en place un produit à visée sédative l’est assez pour faire appel à une équipe dédiée.    

Le midazolam est disponible en ville dès lors que le patient se trouve pris en charge en HAD puisque le produit peut être amené par le personnel hospitalier. Ce qu’on ignore plus souvent, c’est qu’un arrêté datant de 2004 permet la rétrocession des produits hospitaliers par les pharmacies hospitalières pour des patients en ville dès lors qu’il y a la mention “soins palliatifs” sur l’ordonnance faite par le médecin généraliste.  

Vous insistez sur la notion d’équipe, vous estimez que le médecin généraliste libéral ne peut donc pas prendre en charge une fin de vie à domicile ? 

Ce n’est pas qu’il ne peut pas. Dans l’urgence, il faut qu’on puisse bénéficier d’une sédation temporaire pour passer un pic douloureux ou une hémorragie cataclysmique, par exemple. Mais lorsqu’il s’agit de mettre en place une pratique sédative sur le long cours, ce n’est anodin ni pour le patient, ni pour l'entourage, ni pour l’équipe soignante…

Et cela nécessite d’être entouré et de travailler en collégialité. De toute façon, avant de mettre en place un produit sédatif pour une sédation profonde et continue, il est normalement nécessaire d’avoir une démarche collégiale avec l’avis d’un deuxième médecin sans lien hiérarchique avec le premier. C’est donc déjà dans la loi que d’avoir affaire à un deuxième avis. Les soins palliatifs sont vraiment synonymes de travail en équipe. Moi-même quand je travaille à domicile avec des patients en fin de vie, j’essaie de donner rendez-vous sur place avec l’infirmière libérale, je demande aux infirmières comment cela se passe, pareil pour les auxiliaires de vie qui peuvent avoir des informations.  

Mais tous n’ont pas le temps… 

Il y a eu des adaptations de la nomenclature qui permettent de prendre une visite longue à 70 euros trois fois par an pour des situations palliatives. On dit souvent qu’on peut ‘trouver le temps’, on essaie en tout cas de le dégager. Surtout quand c’est pour un patient qu’on a suivi pendant vingt ans. Et encore une fois, il n’y a pas quinze situations complexes en même temps. C’est aussi pour cela que je ne veux pas limiter le débat à la seule disponibilité du midazolam. Ce produit ne doit en aucun cas être une réponse aux déserts médicaux.  

Que préconisez-vous ? 

Je suis tout à fait favorable à un débat sur la fin de vie à domicile mais il faut s’en donner les moyens. Il y a actuellement en France, des réseaux de soins palliatifs qui ferment et qui sont remplacés par des structures de coordination polyvalente qui ne permettent plus d’assurer l’expertise palliative des patients à domicile. Nous alertons sur le fait qu’il faut une équipe de soins palliatifs où qu’on soit, en Ehpad, à domicile, en hôpital, en hôpital de proximité… Qu’il n’y ait plus de zones blanches. Les soignants peuvent aussi souffrir d’une situation qui a mal été expliquée. La ministre a annoncé un nouveau plan de développement des soins palliatifs qui devrait voir le jour cette année. Je pense que c’est dans ce cadre que les discussions pourront se faire sur les soins palliatifs et la disponibilité de médicaments dont le midazolam. D’autant que lorsqu’on voit le nombre de situation palliatives attendues dans les prochaines années, il faut s’armer et mettre l’accent sur la formation des médecins et des autres professionnels de santé. Il faut aussi que la formation initiale des médecins soit meilleure dans ce domaine.  

Signerez-vous le manifeste en soutien au Dr Méheut lancé par la FMF ? 

Ce médecin est au cœur d'une affaire dont les enjeux dépassent les particularités de cette situation singulière. Imaginons, nous débutons une sédation avec le midazolam et elle se passe mal. Le patient se réveille et est très agité… Que faire ? Il ne faut pas y voir le produit miracle car il faut aussi prévoir un lit de repli, peut-être l’avis d’un anesthésiste… D’où mes réserves. 

 
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