"Personne n’imagine qu’un tel métier existe" : illustratrice scientifique, elle croque les gestes des médecins au bloc

29/12/2023 Par Mathilde Gendron & Justine Maurel
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Lorsqu’Emma Blanc-Tailleur, 23 ans, passe la porte du bloc opératoire, vêtue d’une charlotte, d’une blouse, d’un masque et de gants, tout porte à croire qu’elle est soignante. Pourtant, elle troque les scalpels et autres compresses contre un carnet et quelques crayons. La jeune femme n’est ni médecin, ni infirmière, mais illustratrice scientifique médicale. Elle explique son métier pas comme les autres à Egora lors d’une rencontre à l’hôpital Necker à Paris.  

 

“Ce métier, je l’ai appris sur le tas, reconnaît Emma Blanc-Tailleur. Personne ne s’imagine qu’un tel travail existe.” Depuis juin, cette jeune femme de 23 ans, orginaire de Savoie, est illustratrice scientifique médicale. Un métier exercé, selon elle, par une “petite centaine” de personnes en France.  

Pour Emma Blanc-Tailleur, tout commence à l’âge de 15 ans, lorsqu’elle met un premier pied dans le milieu du soin, en devenant jeune sapeur-pompier. Elle y prend très vite goût et y consacre tous ses week-ends lorsqu’elle est au lycée. Mais pour ses études, la jeune femme choisit de se diriger vers sa deuxième passion : le graphisme. Elle opte pour un baccalauréat professionnel Artisanat et métiers d’art (AMA) avec une option communication visuelle et plurimédia. Une fois son diplôme en poche, la jeune femme rejoint la capitale et entre à l’école Estienne à Paris pour commencer une licence en graphisme. Emma Blanc-Tailleur n’abandonne pas pour autant son activité de pompier, elle gravit les échelons et devient sapeur-pompier volontaire. 

La jeune femme poursuit ses études avec un master en deux ans pour se spécialiser dans l’illustration scientifique. “Je ne connaissais pas cette formation avant d’arriver sur Paris, se souvient-elle, j’étais dans la seule école qui le proposait, c’est comme ça que j’ai appris son existence.” L’accès au master s’obtient en réussissant un concours très sélectif. Pour Emma, il est évident que son parcours de sapeur-pompier l’a aidée à réussir l’examen. “J’avais déjà quelques connaissances médicales grâce à mes formations sur les secours”, confie-t-elle, en précisant que seuls 12 étudiants faisaient partie de sa promotion. 

 

Illustrer les nouvelles techniques de chirurgie 

Si la première année de son master porte principalement sur la science, Emma Blanc-Tailleur choisit de se spécialiser l’année suivante dans l’illustration scientifique médicale, pour pouvoir travailler dans la santé. Au cours de ces deux ans, l'étudiante reçoit à la fois des cours d’anatomie dispensés par des médecins et des cours d’illustrations. Elle effectue également un apprentissage de quatre mois à l’hôpital Necker (AP-HP), qu’elle appelle la “petite ville”. “Comme c’est un hôpital international, il y a des techniques de chirurgie qui sont inventées ou utilisées depuis peu ici, c’est pour ça qu’il faut créer une documentation pour que les futurs médecins puissent les réaliser”, explique-t-elle. Si son activité se concentre principalement à Paris “parce que c’est dans cette ville qu’il se passe beaucoup de choses en termes de médecine…”, elle travaille également pour les CHU, et plus particulièrement sur toute la partie “formation des médecins”. 

 

 

Aujourd'hui diplômée et indépendante, Emma Blanc-Tailleur navigue de projets en projets. “C’est toujours un scientifique qui m’appelle pour me commander une ou plusieurs illustrations”, explique-t-elle. Elle se souvient notamment de la commande d’un chirurgien également professeur à l’université. “Il avait besoin d’expliquer une pratique chirurgicale à ses étudiants à l’aide d’un diaporama sauf qu’il n’avait pas d’image. Il ne trouvait rien sur internet”, explique-t-elle, soulignant qu’il est rare de trouver des illustrations pour des opérations très précises sur le web. “Éventuellement il y a les livres, mais souvent ce sont des illustrations qui ont été réalisées par des médecins, donc pas toujours très bien réalisées parce que ce n’est pas leur métier”, relève-t-elle.  

Partant de ce constat, le médecin et elle se mettent d’accord sur le moyen graphique qui sera remis (illustrations à la main, numériques, affiches, livres…). Elle doit également beaucoup échanger avec le praticien pour bien comprendre sa demande. N’étant pas médecin, Emma Blanc-Tailleur a aussi besoin d’aller au bloc opératoire, “pour que le professionnel de santé puisse m’expliquer pourquoi il fait cette opération-là, ce qu’il fait précisément, comment il fait, qu’est-ce qu’elle va permettre chez le patient…”, précise-t-elle.  

 

Créer le mode d’emploi de l’opération 

Au bloc, Emma Blanc-Tailleur se fond parmi le personnel médical. Avec un carnet et quelques stylos, elle observe le patient et les médecins sous tous les angles. “Mon objectif, c’est de créer le mode d’emploi de cette opération, pour qu’on comprenne du début à la fin ce que le médecin va faire”, explique la jeune femme, en comparant son travail à “la notice d’un meuble à monter”. “Dans mon métier, il y a vraiment une grosse partie où il faut être sur place, pouvoir échanger avec les professionnels, c’est une phase qui dure assez longtemps”, souligne-t-elle. La jeune femme doit parfois assister plusieurs fois à la même opération pour être sure de tout voir et de tout comprendre. La première fois, elle a pour habitude d’observer et de poser des questions. Puis, elle prend des notes, parfois des dessins “de façon schématique” pour se constituer “une base de données”. Mais elle confie que ce n’est pas toujours simple. “C’est super dur de dessiner au bloc, je suis debout, les médecins vont vite, je n'ai pas beaucoup d’outils”, confie-t-elle. 

Une fois cette première étape au bloc franchie, Emma Blanc-Tailleur dispose de toutes les informations nécessaires pour commencer ses illustrations. A la différence d’une photographie, le travail de la jeune femme consiste à déterminer ce qui est important dans une illustration, de le mettre en valeur et d’enlever tout ce qui n’est pas nécessaire. “On a tout un vocabulaire graphique à disposition (flèche, légende…). Comme ce sont des dessins à visée pédagogique, ils doivent expliquer quelque chose, donc ils ne sont pas nécessairement ‘beaux’”, reconnaît-elle. Elle peut mettre plusieurs jours voire, plusieurs mois en fonction de “la complexité des illustrations demandées”, pour réaliser un projet dans son ensemble. “Je suis capable de finaliser deux ou trois illustrations par jour”, précise-t-elle. 

Mais son travail ne s’arrête pas là. “Le médecin va me faire ses retours pour faire des modifications”, explique-t-elle, en précisant qu’”il y a souvent des corrections”. “C’est un milieu tellement particulier et précis, je ne suis pas médecin donc je fais des erreurs”, continue-t-elle. C’est une des raisons pour laquelle elle travaille en particulier avec l’outil numérique. “Si je passais par le dessin traditionnel, il faudrait que je recommence tout et ce serait une perte de temps considérable alors qu’en numérique j’utilise des calques, si l’illustration que j’ai faite est fausse, j’ai juste à supprimer ce calque et à en faire un nouveau. Le dessin numérique permet aussi de bouger les proportions comme on veut, de changer d’orientations…”, explique-t-elle.  

 

Des posters médicaux pour les salles d'attente

Si Emma Blanc-Tailleur fait de nombreuses illustrations d’opération, elle réalise également des dessins anatomiques. “Ce sont des illustrations qui existent déjà, mais les médecins peuvent avoir besoin de mettre quelque chose de particulier en avant, par exemple un nerf, un muscle…”, explique-t-elle. Pour ce type de projet, l'illustratrice n’a pas forcément besoin de se déplacer au bloc opératoire. ”Je me sers d’une illustration ou d’un dessin qui existe pour m’en inspirer et après je crée quelque chose qu’on n’a jamais vu”, poursuit-elle, en précisant qu’elle fait toujours vérifier par le médecin si l’illustration dont elle va s’inspirer est scientifiquement juste. Elle peut également travailler sur des cadavres, en étant toujours “accompagnée par des médecins” ou des tablettes numériques. “Ce sont des grands panneaux numériques de la taille d’une table”, explique-t-elle. Pour un projet sur les cordes vocales, elle reconnaît que cela a été très utile pour elle. “C’est très intéressant de voir quelles formes ça prend. On peut différencier les couches…”

Crédit : Anouck Renaud

Les illustrations d’Emma Blanc-Tailleur ne sont pas toujours destinées aux professionnels de santé. “Il m’arrive de faire des posters médicaux pour les salles d’attente. Cela permet de capter l’attention des patients pour qu’ils puissent apprendre des choses tout en attendant chez les médecins”, explique la jeune femme. Elle appelle cela de “l’illustration didactique”. A l’hôpital Necker, Emma Blanc-Tailleur a par exemple réalisé une affiche pour expliquer aux parents une opération pédiatrique. “J’avais mis un fond un peu atténué, avec un bleu pastel, l’illustration devient presque ‘poétique’, alors qu’on est en train de montrer un enfant qui se fait opérer”, met-t-elle en avant. Car dessiner pour des professionnels ou pour des patients est très différent. “Avec les médecins, on peut aller très loin dans le détail et mettre des notions scientifiques très complexes. Pour le grand public, on oublie tout ça. C’est à moi de m’ajuster en fonction de la cible”, précise-t-elle.  

 

150 euros par illustration 

Étant à son compte, Emma Blanc-Tailleur indique toucher entre 2 500 et 3 200 euros par mois. Son salaire dépend du nombre et de la complexité des projets qu’elle rend. Car certains projets peuvent lui demander énormément de temps. C’est le cas d’un livre où elle devait produire plus de 100 illustrations différentes. “J’ai commencé au mois de juin et je suis encore dessus. Il y a beaucoup de corrections”, raconte-t-elle, en précisant être rémunérée environ 150 euros par illustration. Elle garde en parallèle des projets d’illustrations culturelles par exemple, qui prennent moins de temps à réaliser et qui lui permettent de “sortir” du milieu médical. Elle se souvient de la première opération à laquelle elle a assisté, une opération du cerveau chez un enfant. Emma Blanc-Tailleur se souvient que cela avait été “marquant”, mais aujourd’hui, elle reconnaît “avoir l’habitude” “comme un médecin”

Si la passion d’Emma Blanc-Tailleur pour le soin a commencé en exerçant avec les pompiers, elle confie travailler encore avec eux, à la fois en tant que sapeur-pompier les week-ends, mais aussi en tant qu’illustratrice scientifique médicale. “Je réalise des documents de formation pour les SDIS et la brigade des pompiers de Paris”. “C'est un métier qui fonctionne vraiment, il y a une large demande et des besoins”, lance-t-elle avec fierté. Avec ce métier d’illustratrice scientifique médicale, elle se réjouit d'avoir réussi à “allier à la fois sa passion du graphisme et son attrait pour le milieu médical”

Faut-il octroyer plus d'autonomie aux infirmières ?

Angélique  Zecchi-Cabanes

Angélique Zecchi-Cabanes

Oui

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6 commentaires
7 débatteurs en ligne7 en ligne
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il y a 9 mois
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Médecins (CNOM)
il y a 9 mois
Un article très positif, et intéressant. Chose rare par les temps actuels. Par ailleurs rééditer de nouveaux schémas avec l'évolution des techniques et l'évolution des connaissances c'est une excelle...Lire plus
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Médecine générale
il y a 9 mois
Mon grand-père, chirurgien urologue à Lille (pas fréquent pour l'époque), s'est croqué lui-même plusieurs fois sur des tableaux qu'il peignait lui-même et que j'ai toujours. Amusant de le voir, en 190...Lire plus
 
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