"C’est compliqué pour les soignants de s’entendre dire qu’ils sont discriminants sur la santé des femmes"

08/03/2022 Par Louise Claereboudt
Santé publique

Les femmes et les hommes sont-ils logés à la même enseigne en matière de santé ? À l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ce mardi 8 mars, Muriel Salle, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'Université Lyon 1, décrypte pour Egora leur accès aux soins et leur prise en charge. Diagnostics, examens, traitements... Cette spécialiste des questions de genre constate des inégalités entre les patientes et les patients tout au long du parcours de soins. Conséquence, selon elle, d'un modèle médical centré sur les hommes. Interview.      Egora.fr : En 2022, les femmes sont-elles bien soignées en France, correctement prises en charge ? Muriel Salle : Toute la difficulté pour répondre à cette question, c’est de savoir quels indicateurs on mobilise. Si on regarde – comme c’est souvent le cas – l’espérance de vie, on se dit que les femmes vivent âgées et que, donc, elles doivent être bien soignées, du moins mieux soignées que les hommes puisqu’elles vivent plus âgées qu’eux. Ce sont, aujourd’hui, des choses qui sont beaucoup nuancées : on sait que la différence entre l’espérance de vie et l’espérance de vie sans invalidité est un différentiel important. Quand on regarde les taux de mortalité maternelle, la situation est plutôt bonne en France. Les taux restent résiduels (9.6 pour 100.000 naissances). Cela nous positionne bien à l’échelle internationale. Ça, ce sont des chiffres dans leur globalité. Les choses se complexifient quand on regarde dans le détail. Faire une réponse globale qui consisterait à dire "oui, les femmes sont bien soignées" ou "non, elles ne sont pas bien soignées" n’aurait pas tellement de sens. On est quand même dans un pays riche, avec une Sécurité sociale. On n’est pas si mal lotis à l’échelle internationale. Est-ce que pour autant cela veut dire qu’il n’y a pas des pistes d’amélioration ? Evidemment que non.   Vous déplorez en effet des inégalités de santé entre les femmes et les hommes. Inégalités dues au fait que la médecine soit historiquement androcentrée… Oui. On est dans une façon de construire les savoirs en santé qui est très androcentrée. Cela concerne tous les savoirs. Le sujet du savoir a longtemps été les hommes pour des raisons historiques. Ce n’est pas surprenant de voir que des chercheurs s’intéressent d’abord aux problèmes qui leur tombent sous le nez, parce que ce sont des problèmes qui les concernent. Durant longtemps quand on avait des médecins – hommes – et des chercheurs en médecine, qui étaient là aussi majoritairement des hommes, les problématiques féminines passaient au second plan. Exemple très emblématique de cela : l’endométriose. L’endométriose a été décrite en 1860. Elle concerne 1 femme sur 10. Les femmes représentant la moitié de la population, il ne s’agit pas d’une question de prévalence. Quand le corps standard du savoir médical est un corps masculin, on pense aux problématiques féminines seulement secondairement. Les choses ont changé. Le sujet de l’endométriose a été inscrit au plan de travail de la Haute Autorité de santé en 2016. Je me rends compte également en parlant avec mes étudiants que ils et elles savent de quoi il s’agit, et connaissent les prévalences. C’est une différence flagrante avec les années antérieures.

  Il y a également un élément très intéressant à questionner, bien que paradoxal. Le sujet du savoir c’est l’homme car l’organisme standard est un organisme mâle. Les femmes sont toujours pensées sur le mode de l’exception à la règle. Je parle d’épistémologie de l’exception. Les femmes sont toujours des exceptions à la règle. Pour les maladies cardiovasculaires par exemple, on décrit les symptômes standards, qui sont en réalité des symptômes "masculins", puis on se penche sur les symptômes "atypiques" chez les femmes. C’est comme en grammaire : on apprend la règle, et les exceptions à la règle, on a du mal à les retenir. Les symptômes "atypiques" concernent pourtant la moitié des femmes qui présentent des symptômes de maladie cardiovasculaire.   Ces inégalités peuvent entraîner des conséquences dramatiques. Un rapport du Haut Conseil à l’Egalité indique que "les femmes sont plus vulnérables que les hommes aux maladies cardiovasculaires : 56% en meurent contre 46% des hommes"… Il y a deux choses dans cette donnée. Premièrement, le fait que les femmes font des maladies cardiovasculaires. Plus aujourd’hui que par le passé. Deuxièmement, quand elles sont prises en charge, elles sont moins bien prises en charge. Il y a, à ce sujet, des chiffres assez cruels. Une étude menée en 2018 en Suisse relève des retards à la prise en charge. En France, on estime qu’il y a 37 minutes d’attente de plus pour une femme que pour un homme dans l’appel passé aux urgences.

  Quelle est l’explication ? La première explication dans le cas du patient ou de la patiente qui appelle, c’est reconnaître les symptômes. Quand toute la politique de santé publique est faite sur les symptômes "masculins" et que vous présentez des symptômes "atypiques", vous mettez du temps à vous rendre compte de ce qui vous arrive. Il y a ensuite d’autres biais. Cette fois-ci ce n’est pas du côté des patients mais du côté des soignants au moment de la prise en charge, notamment lorsqu’une femme se présente avec des palpitations cardiaques, un sentiment d’oppression au cœur. Le stéréotype est de penser que les femmes sont stressées pour des raisons qui...

n’ont rien à voir avec la biologie mais avec le fait qu’elles travaillent autant que les hommes et sont soumises à d’autres charges – notamment la charge mentale, qui fait qu’on impute plus souvent ce type de symptômes à des facteurs psychologiques qu’à des facteurs cardiovasculaires. Elles se voient par exemple proposer un examen électrocardiogramme (ECG) en moins grande proportion que les hommes, alors qu’elles présentent un tableau semblable quand elles arrivent aux urgences.   Les maladies cardiovasculaires semblent considérées comme des "maladies masculines". A l’inverse, existe-t-il des maladies réputées "féminines" ?  Oui, bien sûr. L’ostéoporose par exemple. Elle a longtemps été considérée comme une maladie de femmes ménopausées pour des raisons biologiques : l’ostéoporose est consécutive des évolutions hormonales post ménopause. Pendant longtemps, les hommes ont été protégés. Or cela a changé : la pénibilité des travaux masculins a beaucoup baissé, et on est toutes et tous devenu(e)s sédentaires. Il y aussi une histoire de stéréotypes : on a des médecins qui avaient des patients qui présentaient des fractures, dont on aurait pu avoir l’idée qu’elles étaient imputables à une destruction du capital osseux, et dont on constate qu’elles sont prises comme des fractures liées à des prises de risque inconsidérées au vu de l’âge. Il a fallu attendre la deuxième moitié des années 1990 pour voir des recherches spécifiques sur l’ostéoporose chez l’homme et, de fait, une adaptation des thérapeutiques et des protocoles diagnostiques. Ça marche exactement en miroir. L’autre exemple que l’on cite souvent est celui de la dépression. Le tableau clinique de la dépression chez les hommes (violences et conduites addictives) est différent chez les femmes. De fait, on a des vrais problèmes de santé mentale moins bien pris en charge chez les hommes.   Va-t-on suffisamment loin dans la rédaction des recommandations destinées aux professionnels de santé ? On a écrit ce qu’on avait à écrire. Il y a eu un rapport de la Haute Autorité de santé, un autre du Haut Conseil à l’Egalité. En termes de recos, tout est écrit. La difficulté, c’est la diffusion. Il y aussi la question de l’acceptabilité de ce que l’on dit. C’est très compliqué – et je le comprends très bien – pour les professionnels de santé de s’entendre dire qu’ils sont discriminants dans leurs propositions de prise en charge. Loin de moi l’idée d’accuser individuellement des gens de ne pas faire leur boulot comme il faut. Ce n’est pas du tout mon propos. Mon propos c’est de dire qu’on est formés dans un contexte, et on exerce son métier dans un contexte particulier, dans lequel il y a certain nombre de stéréotypes, d’idées préconçues qui ont cours, et dont on n’a pas toujours collectivement conscience. Ce ne sont pas des accusations ad hominem, mais c’est malheureusement compris comme cela.
Vous vous adressez aux étudiants en médecine. La formation a-t-elle évolué sur les questions de genre ? Y a-t-il plus de programmes spécifiques ? Très peu. Ils sont portés très localement, et de manière individuelle. Je porte par exemple ces questions-là à la fac de médecine [de Lyon]. Si pour une raison ou pour une autre, je devais cesser de le faire, il n’y a pas d’engagement institutionnel sur ces sujets. Ils passent donc aisément à la trappe. Par ailleurs, ces programmes sont souvent portés par des personnes qui se revendiquent militantes. Dans le contexte des études de médecine, cette dimension militante n’est pas toujours bien perçue. Ça paraît faire pièce à l’objectivité, à la rationalité scientifique.   Pourquoi n’a-t-on toujours pas intégré suffisamment de programmes sur les questions de genre dans les facs, à la différence des Etats-Unis ? Je pense qu’il y a une différence majeure entre la France et les Etats-Unis, et qui n’a rien à voir avec le champ des études médicales, mais plutôt avec la façon dont on conçoit l’égalité. En France, on est pétris d’un idéal, l’universalisme républicain, qui consacre le principe d’une égalité qui fait fi des appartenances. On est citoyen, et le fait d’être citoyen, c’est faire abstraction des particularismes qui peuvent être de sexe, d’origine ethnique, de pratique religieuse. Les Etats-Unis ont une tout autre démarche. Ça se retrouve notamment dans les politiques de quotas dans les grandes universités d’étudiants afro-américains, asiatiques… En France, on considère que l’égalité doit passer par l’oubli de la différence. C’est très structurel. Et c’est difficile, de fait, à dépasser. Dès lors qu’on porte ce genre de discours, on donne le sentiment qu’on critique et qu’on porte atteinte à l’universalisme républicain, qu’on considère que le particularisme prend le pas sur le reste. Moi je pense que c’est plus une histoire de démarche. L’idée de dire que ce qui est important de souligner c’est que les femmes sont différentes des hommes (la perspective dite différentialiste) peut donner lieu à des interprétations, et ouvrir à des conséquences qui peuvent être graves. Au XIXe siècle, le fait de dire que les femmes ont un organisme globalement différent – notamment au niveau du cerveau – a entraîné des conséquences en termes d’exclusion. C’est toute la difficulté qu’il y a aujourd’hui à remobiliser ces analyses, sans tomber dans un discours qui pourrait permettre de justifier certains états de fait. J’essaie d’avancer ces réflexions avec prudence parce que je sais aussi très fort quelles conséquences négatives et absolument contre-productives cela peut avoir pour les femmes.

  Les femmes ont longtemps été mises à l’écart des essais cliniques. Pourquoi ? Cela a-t-il évolué ? En France, on est presque à parité : on est à 46.1% de participantes. Si on a une représentation qui est quand même satisfaisante, il existe de grandes disparités. D’après le rapport de la Haute Autorité de santé, on trouve 76% de femmes pour tout ce qui concerne l’ophtalmologie. La donnée statistique existe mais personne n’a cherché à repérer les raisons qui expliquent cet état de fait. A l’inverse, on note 0% de femmes dans les essais sur les produits pour l’imagerie diagnostique, notamment les produits de contraste dans le cadre des scanners. Pourquoi ? Le rapport de la HAS n’avance pas d’explications. Il y a des raisons historiques. D’abord il y a ce que l’on évoquait précédemment : l’épistémologie de l’exception et le fait que les "organismes femelles" sont réputés plus complexes du fait que les femmes aient des cycles menstruels. Ça paraît introduire un biais, dont il faut tenir compte. Une complexité. Un autre argument a à voir avec de grands scandales, notamment celui de la thalidomide, dans les années 50/60, ou encore au celui du distilbène. On a alors ouvert au maximum le parapluie de la précaution, répondant à cette nécessité de protéger les femmes enceintes. Impliquer des femmes dans les essais cliniques devient prendre un risque car il existe un risque qu’elles soient enceintes. Dernier point : on considère toujours que "la" différence entre des individus quand on parle de santé, c’est une différence homme/femme. Dans le médicament, cela a posé des questions. La raison pour laquelle on doit réduire la posologie d’un certain nombre de médicaments, ce n’est pas parce que les femmes sont des femmes, c’est parce qu’elles sont en moyenne moins lourdes, plus petites. Cette différence des sexes finit par prendre toute la place : oui il y a des différences entre les hommes et les femmes, mais entre les hommes et les femmes tout n’est pas différent.

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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