Rémunération, responsabilité, accès direct… Cinq questions qui fâchent sur l'exercice infirmier en pratique avancée

24/01/2023 Par A.M.
Paramédicaux
Depuis sa création en 2016 par la loi Touraine, la pratique avancée suscite autant de craintes que d'espoirs, divisant médecins et infirmières. Alors que le Gouvernement soutient l'élargissement des compétences des IPA pour répondre à la baisse de la démographie médicale, au grand dam des syndicats médicaux qui redoutent la dérégulation du parcours de soins et la négation du rôle du médecin traitant, le débat est plus que jamais tendu. Pour démêler le vrai du faux, Egora.fr a souhaité donner la parole à Emmanuel Hardy, président de l'Union nationale des infirmières en pratique avancée (Unipa). Les IPA sont-ils mieux rémunérés que les généralistes ? L'accès direct va-t-il créer une médecine à deux vitesses ? Eléments de réponse. 

 

 

  1. L'IPA est-il mieux rémunéré que le médecin généraliste ?* C'est la principale pomme de discorde entre médecins généralistes libéraux d'un côté et IPA de l'autre. Tandis que la consultation de base des premiers est rémunérée 25 euros, les seconds seraient payés le double : 50 euros. Mais ces deux rémunérations ne sont pas vraiment comparables.  

La rémunération des IPA est encadrée par l'avenant 9 à la convention des infirmières libérales, signé le 22 juin dernier. Prenant acte d'un trop faible déploiement des IPA en ville, le texte revalorise leur l'activité : le forfait d'initiation (de "premier contact"), est facturé 60 euros, et le "forfait de suivi", 50 euros. Mais ce dernier n'est facturable qu'une fois par trimestre, et seulement si "au moins un contact (en présentiel ou en distanciel) a eu lieu". "C'est un forfait, martèle Emmanuel Hardy, IPA mention pathologies chroniques stabilisées, installé à Boigny-sur-Bionne, dans le Loiret. Qu'on voit une fois ou dix fois le patient dans le trimestre, on est payé le même prix." 

Si théoriquement, les IPA peuvent facturer jusqu'à 4 forfaits par an, dans les faits, ils en sont loin, souligne le président de l'Unipa. Le patient peut en effet être réadressé au médecin, ou hospitalisé. "On ne peut pas coter le forfait si on ne le voit pas", insiste-t-il. Si bien qu'en 2021, la moyenne était à 2.4 forfaits facturés par IPA libéral. L'avenant 9 a introduit un assouplissement, en permettant de facturer deux forfaits le premier mois de suivi pour permettre aux soignants d'atteindre "plus facilement 4 forfaits par an". 

L'IPA ne pouvant suivre que les patients adressés par le médecin, et ne facturer qu'un nombre limité de forfaits pour chacun d'eux, le chiffre d'affaires de ces derniers est en réalité loin d'être mirobolant : en 2021, le CA moyen était de 25 383 euros et le CA médian de 16972 euros. Soit, charges déduites, une rémunération médiane nette de 707 euros mensuelle, calcule le syndicaliste. "On est les Bac+5 les moins payés de France", ironise-t-il. Parce que l'exercice "n'était pas viable", plusieurs IPA "ont déplaqué". "De 70, on est passé à 43 IPA libéraux exclusifs" en 2021, souligne Emmanuel Hardy. "Et pour 2022, on a vu un infléchissement dans les inscriptions en master 1. Les collègues hésitent à faire deux ans d'études supplémentaires pour gagner 5 à 7 fois moins qu'en étant Idel…" 

Pour inverser la tendance, l'avenant 9 a revalorisé de 20% le suivi régulier et instauré "une prise en charge ponctuelle", sur demande du médecin : un bilan, rémunéré 30 euros (1 fois par an) et des "séances de soins", jusqu'à 4 par an, valorisées 16 euros, avec d'éventuelles majorations si elles sont réalisées la nuit, le dimanche et les jours fériés "en cas de nécessité médicale".  

Par ailleurs, une majoration liée à l'âge du patient (3.90 euros) peut être appliquée. 

Avec ces revalorisations et en ciblant 700 patients par IPA, la Cnam calcule un CA potentiel de 110 000 euros (honoraires sans déplacement, HSD), ce qui placerait ces soignants, à temps de travail égal, entre les infirmières libérales (90 000 euros d'HSD en 2019) et les généralistes (160 000 euros d'HSD en 2020). 

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Source : Cnam

Des objectifs trop ambitieux pour Emmanuel Hardy. "La patientèle cible est surestimée. Il faudrait qu'on travaille jour et nuit", signale-t-il, indiquant qu'une séance de suivi IPA dure environ "30-45 minutes" et un bilan jusqu'à "1h30".  

Faute d'accès direct, pour l'heure, cela suppose également que les médecins acceptent de confier leurs patients aux IPA… A titre d'exemple, le président du syndicat, qui exerce depuis un an en coordination avec 5 médecins, comptabilise "150-170" patients. 

  2. L'IPA libéral bénéficie-t-il d'importantes aides à l'installation, quelle que soit la zone d'exercice? 

L'avenant 9 a étendu à tous les IPA l'accès à "l'aide au démarrage de l'activité" libérale. Elle s'élève à 40 000 euros en zone de sous-densité médicale et à 27 000 euros en dehors de ces zones. 

En contrepartie, les bénéficiaires s'engagent à exercer "au minimum 5 ans dans la zone", à avoir assuré le suivi d'au moins 30 patients la première année d'exercice et de 60 patients la deuxième année, et enfin, "à atteindre une part d'activité en tant qu'infirmier en pratique avancée" d'au moins 25% de son activité globale (chiffre d'affaires) la première année, 50% la deuxième année et 85% la troisième année.  

"L'Assurance maladie peut procéder à la récupération des sommes indument versées si l'infirmier quitte la zone avant la fin des cinq ans ou si la part d'activité minimale en tant qu'IPA n'est pas atteinte, stipule l'avenant. Lorsque la part d'activité minimale au titre de la 3e année d'exercice n'est pas atteinte, les aides versées sont récupérées au due de concurrence de l'écart à la cible." 

"Le but n'est pas d'avoir une activité mixte IPA/Idel mais vraiment d'accompagner la transition vers un exercice IPA", explique Emmanuel Hardy. 

 

L'IPA en France
Développé dans les années 1960 aux Etats-Unis, la pratique avancée infirmière, aujourd'hui présente dans une vingtaine de pays, peine à prendre ses marques en France.
Pour le Conseil international des infirmières, un infirmier qui exerce en pratique avancée est un infirmier "qui a acquis des connaissances théoriques, le savoir-faire nécessaire aux prises de décisions complexes, de même que les compétences cliniques indispensables à la pratique avancée de sa profession". Si à l'étranger, la distinction est souvent faite entre "cliniciens" et "praticiens", la France a adopté un modèle hybride.
D'après le dernier état des lieux, datant du 31 mars 2022, 1425 IPA en formation et 935 IPA diplômés étaient recensés. Ces chiffres sont en cours d'actualisation. 

 

3. L'IPA, responsable ou pas responsable ?  

Tantôt l'IPA serait en "exercice illégal de la médecine" et passible de poursuites, tantôt c'est au contraire le médecin qui serait responsable de ses actes…  

"Comment peut-on être en exercice illégal de la médecine si on est régi par un décret et des arrêtés ?", réagit Emmanuel Hardy. L'exercice infirmier en pratique avancée est en effet encadré par plusieurs textes réglementaires, dont le décret du 18 juillet 2018 définissant les domaines d'intervention et les activités de l'IPA. Le texte précise que...

l'IPA "dispose de compétences élargies" par rapport à celles de l'IDE, sanctionnées par un diplôme. Un master permettant de valider 120 crédits ECTS, dont 6 mois de stages, précise le président de l'Unipa. "Ce n'est pas un BTS médecine. C'est une discipline propre, on fait trois ans d'études IDE, plus deux ans d'études IPA." Et non "trois ans plus un stage de 4 mois chez un généraliste" comme on peut parfois le lire. 

En ambulatoire, l'IPA peut exercer soit en soins primaires, au sein d’une équipe de soins coordonnés par le médecin, soit en assistance d'un médecin spécialiste. Cinq domaines d'intervention ont été définis : pathologies chroniques stabilisées et polypathologies courantes en soins primaires ; oncologie et hémato-oncologie ; maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale ; psychiatrie et santé mentale ; urgences. 

Le décret du 18 juillet 2018 établit que l'IPA "participe à la prise en charge globale des patients dont le suivi lui est confié par un médecin", qui détermine "la conduite diagnostique et les choix thérapeutiques".  

Le texte stipule que "l'IPA est compétent pour conduire un entretien avec le patient qui lui est confié, effectuer une anamnèse de sa situation et procéder à son examen clinique", il peut "conduire toute activité d'orientation, d'éducation, de prévention ou de dépistage qu'il juge nécessaire", effectuer des "actes d'évaluation ou de conclusion clinique" et adapter le suivi en fonction des résultats. Il peut renouveler, en l'adaptant si besoin, une prescription médicale.    

Un arrêté paru le même jour liste ainsi les actes techniques qu'ils peuvent effectuer "sans prescription médicale" (pose de sonde gastrique, toucher rectal, anesthésie locale, sutures…), des actes de suivi et de prévention (ECG, EFR…) ou encore des examens biologiques qu'ils sont autorisés à demander. 

"On n'est pas indépendant, nous sommes dans le cadre de l'exercice, mais une fois que le patient nous est confié, on est autonome, résume Emmanuel Hardy. Je peux demander une prise de sang, un examen complémentaire, l'adresser au spécialiste en cas d'urgence sans avoir besoin de demander l'accord au médecin traitant. Ça engage ma responsabilité tant civile que pénale. Ce n'est pas de la délégation de tâches, c'est un transfert de compétences." 

C'est d'ailleurs ce qui distingue une infirmière Asalée, qui agit dans le cadre d'un protocole de coopération* sous la responsabilité du médecin, d'un IPA. Par ailleurs, le champ de compétences de l'infirmière Asalée est restreint à l'éducation thérapeutique, pour lequel elle a été formée 40 heures. 

Cette responsabilité de l'IPA est clairement établie dans le code de santé publique, par l'article L4301-1 : "Le professionnel agissant dans le cadre de la pratique avancée est responsable des actes qu'il réalise dans ce cadre."

Le décret précise enfin que "lorsque l'infirmier exerçant en pratique avancée constate une situation dont la prise en charge dépasse son champ de compétences, il adresse le patient sans délai au médecin et en informe expressément ce dernier afin de permettre une prise en charge médicale dans un délai compatible avec l'état du patient". Dans le cas d'un patient chronique "qui décompense", si l'IPA n'avertit pas le médecin, il peut être mis en cause. A l'inverse, si le médecin est averti mais n'agit pas en conséquence, il peut voir sa responsabilité engagée, souligne Emmanuel Hardy, précisant toutefois qu'en deux ans, "aucun cas" n'avait fait encore fait jurisprudence. 

 

4. Le médecin perd-t-il la main sur le suivi? 

Le suivi est encadré par un protocole d'organisation, conclu entre l'IPA et chaque médecin avec qui il coopère, ou une structure regroupant plusieurs médecins s'ils se mettent d'accord. Il précise les domaines d'intervention concernés, les modalités de prise en charge par l'IPA, mais également "les conditions de retour du patient vers le médecin", comme "la fréquence à laquelle le médecin souhaite revoir le patient en consultation".  

Le rythme de suivi dépend du patient et du médecin, développe Emmanuel Hardy. "On ne peut pas faire une généralité. Pour certains patients, insuffisants cardiaques notamment, on les voit en alternance tous les mois. Mais quand le patient est stable, que tout va bien, certains médecins vont dire 'suis le entièrement, tu me tiens au courant', d'autres veulent les voir une fois par an pour ne pas perdre le contact. C'est important dans la relation thérapeutique, je respecte ce que veut le médecin." 

 

5. Que changera la proposition de loi Rist, si elle est adoptée ? 

Adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale jeudi 19 janvier, la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé (dite PPL Rist) permet aux IPA de prescrire des médicaments soumis à prescription médicale obligatoire, ce qui n'est pas le cas actuellement. Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la HAS devra en définir la liste. 

Surtout, la PPL Rist ouvre un accès direct à l'IPA : les patients ne lui seront plus nécessairement confiés par le médecin. Toutefois, l'exercice de l'IPA devra toujours s'inscrire dans une structure d'exercice coordonné (équipes de soins primaires, CPTS, maison de santé, centre de santé). "Ça, c'est notre volonté, insiste le président de l'Unipa. Le but n'est pas de travailler tout seul. L'IPA n'a de sens que s'il se coordonne", martèle-t-il. 

Alors que les syndicats de médecins libéraux redoutent l'avènement d'une "médecine à deux vitesses", Emmanuel Hardy rejette cet argument. "Le choix pour le patient ce n'est pas soit le médecin, soit l'IPA. A l'heure actuelle, c'est soit le médecin, soit rien. Dans le Loiret, on a 30% des gens sans médecin traitant", relève-t-il. 

En faisait de l'IPA une autre "porte d'entrée dans le système de santé", l'accès direct va permettre de "réintégrer ces patients", assure Emmanuel Hardy. "On va faire un bilan, si besoin on réorientera vers un médecin traitant. On pourra décider d'un suivi conjoint ou bien il récupèrera le suivi. S'il n'y a pas de médecin traitant, on orientera vers un médecin de centre de soins non programmés, par exemple. Et s'il n'y a rien au bilan et que tout va bien, tant mieux !"  

Déplorant le "démembrement" et la "perte de sens" du dispositif médecin traitant, le syndicat MG France a toutefois lancé un "appel à la résistance" dimanche 22 janvier, appelant les généralistes à arrêter la PDSa, la participation au SAS et à fermer les cabinets en soirée et le samedi matin. 

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