Permanence des soins élargie aux infirmières : "On en a marre d’être le bouche-trou à bon prix"

22/12/2022 Par M.G.
Paramédicaux

Le 25 novembre dernier, l’élargissement de la permanence des soins ambulatoires aux infirmiers, sages-femmes et chirurgiens-dentistes a été adopté dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale via un recours au 49.3 par la Première ministre. Mais ce 20 décembre, le Conseil constitutionnel a finalement décidé de censurer cet amendement. Compétences, rémunération, manque de temps... la mesure divise la profession infirmière et ses représentants.   La mise en place de la permanence des soins ambulatoires (PDSa) pour les infirmiers, les sages-femmes et les chirurgiens-dentistes ne sera pas si facile que prévu. L’amendement prévoyant cette évolution avait été adopté le 25 novembre dernier dans le budget de la Sécu via le 49.3, mais, l’article 39, qui concernait cette mesure, vient d’être censuré, ce 20 décembre, par le Conseil constitutionnel. Elle devait permettre à ces professionnels de santé de répondre aux demandes régulées par le Samu et les centres d’appels du 15, qui n’ont pas la nécessité d’être prises en charge par un médecin. L’idée du Gouvernement était de leur ouvrir la PDSa puisque celle effectuée "par les médecins ne permet pas de garantir une couverture complète de tout le territoire". A la suite du Comité de liaison inter-ordres (Clio), Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers, s'était réjoui de cet amendement. "A la fin des travaux du Clio santé, je me félicite que le principe des transferts de compétences et du premier recours vers les professionnels paramédicaux soit enfin acté. C’est une reconnaissance du rôle essentiel que jouent les infirmiers pour l’accès aux soins", a-t-il déclaré sur Twitter, le 13 octobre dernier.

L’idée de se tourner vers la communauté infirmière était cohérente pour Daniel Guillerm, président du syndicat Fédération nationale des infirmiers (FNI), puisque la profession effectue déjà la continuité des soins. "Cette continuité des soins met en place une organisation qui permet à la profession de s’inscrire dans la permanence des soins", assure le président de la FNI, qui se dit favorable à cette mesure. "Aujourd'hui, on a 135 000 professionnels sur le territoire. Nous n’avons pas de désert infirmier en France. Je pense que c'est un atout pour le système, et qu’il est assez logique que les autorités sanitaires s’appuient sur ces atouts."

Maintenant que cette mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel, Daniel Guillerm s’inquiète : "On a le sentiment de se retrouver dans une double injonction en permanence. On nous bassine avec les problématiques d’accès aux soins. Et à côté, il y a des propositions qui pourraient être mises en place très rapidement et qui ne le sont pas pour des raisons obscures." Il assure "continuer de pousser sur ce volet-là" afin que de nouvelles propositions de lois en lien avec cette PDSa soient déposées au Parlement. Dans un communiqué envoyé hier, la FNI demande effectivement au Gouvernement de "prendre ses responsabilités et d’introduire par amendement les mesures de l’article 39 dans les différentes propositions de loi déposées par les groupes parlementaires sur l’accès aux soins". Le syndicat dénonce également "une perte de temps préjudiciable au système de santé et par là-même aux patients".   "Ce qu’il faut voir d’abord, c’est l’intérêt du patient" Chez les médecins, la PDSa est soumise à une obligation collective reposant sur le volontariat individuel des praticiens. Pour les infirmiers, cette mesure introduit la notion de responsabilité collective de participation à la permanence des soins. Le président de la FNI partage entièrement cet avis. "Je pense qu’on ne peut pas se prévaloir en tant que professionnels libéraux de missions de service public, si on les refuse. On nous dit depuis des années que les infirmiers libéraux participent à des missions de service public. La profession est suffisamment mature et cohérente pour comprendre qu’on ne peut pas être dans cette injonction paradoxale. Ce qu’il faut voir d’abord, c’est l’intérêt du patient." Pour vérifier la bonne mise en pratique, des contrôles seront effectués. Et des réquisitions auront lieu en cas de défaut de fonctionnement, a fait savoir le Gouvernement. Sur les réseaux sociaux, le sujet fait débat parmi les soignants concernés. Si la FNI se dit favorable à cette mesure, ce n’est pas le cas de toute la profession. Et vous, lecteurs d’Egora, vous êtes nombreux à avoir réagi et exprimé le rejet de cette mesure. Plusieurs infirmiers egoranautes estiment en effet ne pas avoir les capacités, ni les connaissances pour effectuer des tâches, qui ne relèvent pas de leurs compétences, dans le cadre de la PDSa. C’est le cas de Dark_Caigh : "Je n’ai en aucune façon les compétences pour juger la gravité ou non d’un cas surtout en pleine nuit au fin fond de la campagne." Christiane_C_2 partage entièrement l’avis de son collègue. "Je ne suis pas médecin et n'entends pas le remplacer et encore moins prendre les responsabilités d'une décision qui pourrait mettre en danger la vie de quelqu'un. Je ne suis pas censée savoir ausculter un patient." Mais le président de la FNI continue de défendre cette mesure. L’idée n’est pas...

de "transformer les infirmiers. Ils seront en liaison étroite avec des services dans lesquels il y aura des médecins". Et pour ceux qui ne se sentent pas à l’aise sur ces enjeux-là, il a la solution. "Nous mettons en place des formations à cet objectif", a-t-il affirmé.   "On se dédouble ?" Si certains infirmiers ont peur de prendre de mauvaises décisions, que leur diplôme ne leur autorise pas à prendre, la charge de travail supplémentaire leur paraît également difficilement compatible avec leur emploi du temps. Emilie_J partage son incompréhension face à cette proposition sur Egora : "Là, on voudrait nous coller des astreintes alors qu’on est déjà soumis aux soins 24h/24 et 7j/7 avec obligation de continuité des soins”. Elle ne voit qu’une solution : “on se dédouble ?” Alors que la profession critique fermement cet amendement, les représentants des syndicats, eux, s'en félicitent. A l’instar de la FNI, John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), y est plutôt favorable. "L’objectif, ce n’est pas d’aller au-delà des compétences des infirmiers, ni de les mettre en difficulté. Ce serait basé sur du volontariat, comme les médecins. On peut imaginer des infirmiers libéraux qui vont consacrer une ou deux nuit(s) à la PDS ambulatoires en week-end, sans surcharge d’activité parce qu’on ne va pas pouvoir cumuler nos tournées de soin et la PDS ambulatoires. En ayant des volontaires dans chaque territoire, on devrait pouvoir ne pas surcharger la propre activité des infirmiers."   Une rémunération à revoir Cependant, un autre point fait débat : la rémunération de cette PDSa. Le texte de l’amendement indique qu’il faudra "déterminer par voie réglementaire la rémunération d'astreintes pour les nouvelles professions de santé participant aux gardes de la permanence des soins ambulatoires, indépendamment de la rémunération des actes accomplis dans le cadre de leur mission, ainsi que de leur éventuelle participation à la régulation”. Pour Christiane_C_2, la peur d’être sous-payée est forte. L’infirmière craint de ne pas voir cette nouvelle charge de travail valorisée. "On remplace déjà les secrétaires et les standardistes gratuitement… On va en faire encore plus dans le même laps de temps et pour un salaire de merde… Parce qu’on va nous transférer des responsabilités mais bénévolement." Dark_Caigh est lui aussi à bout, il craint de ne pas voir cette nouvelle charge de travail valorisée. C’est "trop facile de reporter tout sur les IDE qui en ont marre d'être le bouche-trou à bon prix".

Pour le président du Sniil, il n’est pas question de rester sur le système de rémunération actuel : "Il faut le revoir complètement. Il faut que les actes effectués par la profession soient mieux valorisés. Si l’infirmier se déplace, il faut une réelle valorisation des actes sur le déplacement", défend-il. Même revendication du côté de la FNI : "On demande une remise à plat de cette rémunération pour justement encourager les professionnels à s’emparer de ces nouvelles prérogatives. Les rémunérations d’aujourd’hui ne sont pas cohérentes. On souhaite avoir une rémunération suffisamment attractive, qui tienne compte des contraintes qui nous sont imposées." Même si l’amendement vient d’être censuré par le Conseil constitutionnel, il pourra être repris par le Gouvernement dans d’autres textes. Pour le président de la FNI, il est possible que la mesure passe via le Conseil national de la refondation (CNR). Dans le cas où une telle mesure viendrait à être adoptée, elle ne verrait pas le jour avant le printemps prochain, selon les syndicats. "J'espère que notre Ordre va se révolter, mais j'en doute... [Ils sont] juste bons pour nous soutirer des cotisations mais certainement pas pour faire avancer nos intérêts", redoute Christiane_C_2.  

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