Injections d'insuline, vidéo "à poil", arrêts maladie : portrait d'un pionnier de la contestation hospitalière

03/03/2020 Par A. R.
Depuis un an, le collectif Inter-Urgences secoue l’hôpital public. Hugo Huon, infirmier à l’hôpital Lariboisière à Paris et président de cet objet contestataire non identifié, vient de publier un ouvrage qui, sous la forme de témoignages, relaie la parole de ses membres. Rencontre avec un combattant sans illusions.
 

"Personne ne voulait y aller, alors il a bien fallu que quelqu’un aille. " C’est ainsi qu’Hugo Huon explique comment il s’est, voilà un an, retrouvé à la tête du collectif Inter-Urgences. Autant dire que la promotion du livre que ce trentenaire à gueule d’ange vient de signer aux éditions Albin Michel, et qui porte la parole des professionnels des urgences engagés dans la grève depuis mars 2019, n’est pas, pour lui, une partie de plaisir. Attablé avec Egora dans un café aux bords du canal de l’Ourcq à Paris, juste après un passage télévisé à l’autre bout de la capitale pour Le Magazine de la santé, l’infirmier n’hésite pas à sous-entendre que s’il le pouvait, il laisserait à d’autres le soin de répondre aux journalistes. Ce qui ne l’empêche pas, pourtant, de se prêter de bonne grâce au jeu de l’interview. Il faut dire qu’il en a, des choses à raconter. "On aura tout fait : la grève, les manifs, les réseaux sociaux, les photos, on s’est mis à poil, on s’est injecté de l’insuline devant le ministère de la Santé…", énumère-t-il tout en sirotant le milk-shake coco qu’il a commandé et sur lequel il ne tarit pas d’éloges.

Comment tout cela a-t-il démarré ? "Au départ, c’est trois personnes qui appellent 450 services d’urgence en France", rappelle le militant qui se souvient de quelques épisodes cocasses. "On nous a parfois répondu qu’on ne comprenait pas notre demande et qu’il fallait appeler le 15 ", sourit-il. " D’autres fois, on nous a demandé si on voulait parler à la cadre… Ben non, on essaie de vous mettre en grève, ne me passez pas la cadre, ce n’est pas la peine ! "  

Hugo Huon en trois dates
2013. Obtient son diplôme d’infirmier et débute en psychiatrie dans une clinique près de Blois.
2014. Devient infirmier aux urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris.
2019. Co-fonde le Collectif Inter-Urgences dont il devient président.

  Parmi les faits d’armes les plus marquants, il y a notamment ce jour de juin 2019 où toute une équipe des urgences de Lariboisière s’est retrouvée...

en arrêt maladie. " C’est quelque chose que d’autres avaient fait avant nous, notamment à Lons-le-Saunier, mais qui n’avait pas attiré l’attention des médias, précise Hugo Huon en se roulant une cigarette. Mais quand un hôpital parisien l’a fait, ça a eu un écho très important. Les journaux en ont parlé, et cela a été un détonateur qui a fait exploser le nombre de services en grève… D’ailleurs, cela n’a pas été sans conséquences pour le personnel."   Un incorrigible pessimiste Ces modes d’action non conventionnels, le collectif Inter-Urgences les revendique haut et fort, même si Hugo Huon reconnaît qu’ils posent question. "Onze mois de grève, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce qu’on n’est pas en train de délégitimer ce que c’est que de faire la grève ? " s’interroge-t-il. Mais quand on lui fait remarquer que sans le collectif, il n’y aurait probablement pas eu de collectif Inter-Hôpitaux, qu’il n’y aurait pas eu la mobilisation sans précédent qu’ont connue les établissements publics à l’automne dernier, que les chefs de service n’auraient pas démissionné de leurs fonctions administratives, qu’on ne parlerait pas de grève du codage, il ne nie pas. Son regard s’éclaircit même subrepticement d’un éclair de fierté, éclair qui s’efface cependant très vite devant les perspectives à venir. Car malgré l’énergie qu’il déploie pour mobiliser les soignants, Hugo Huon est un incorrigible pessimiste. "Il est évident que cela va mal finir et que l’hôpital public va s’effondrer", explique-t-il calmement. Alors, dans ces conditions, pourquoi lutter ? "L’important n’est pas de gagner ou de perdre, mais de bien faire les choses", répond-il. "On est partis, il n’y a pas de marche arrière. On le doit aux patients, on le doit aux paramédicaux qui sont en train de relever la tête." Et c’est pour cela qu’il continue, n’attendant rien des politiques.

Le pacte de refondation des urgences présenté par Agnès Buzyn en septembre dernier ? "Sa seule vertu, c’est qu’en prenant l’argent ailleurs dans l’hôpital, il a permis d’étendre la mobilisation en dehors des urgences ", tacle-t-il. La "large consultation" qu’a annoncée le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, pour associer les soignants à l’utilisation des fonds débloqués en faveur de l’hôpital public ? "Il essaie de noyer le poisson, et c’est dommage de jouer le pourrissement d’un mouvement quand c’est la dignité des soignants qui est en jeu, et quand il y a des malades qui meurent en bout de course."  

  Halte aux demi-mesures La vision du collectif, elle, est assez claire. "Toute l’idée d’Agnès Buzyn concernant l’amont, c’est de dire que 40 % des gens n’ont rien à faire aux urgences, et que celles-ci ne devraient s’occuper que des choses graves, des beaux malades", détaille Hugo Huon. "Pour moi, c’est faire un mauvais diagnostic, car c’est méconnaître...   la réalité du travail aux urgences, et notamment tout l’aspect de santé publique, de détresse sociale qui s’y exprime." La solution, donc, est selon lui dans l’arrêt des demi-mesures. Et l’infirmier de comparer la politique gouvernementale avec sa propre pratique professionnelle. "Quand je suis à l’hôpital et qu’on me demande de faire quelque chose, je dis que je peux le faire ou que je ne peux pas le faire", explique-t-il. "Je ne dis pas que je vais faire la moitié des sutures ou la moitié de la prise de sang." Pour la revalorisation des urgences, c’est, selon lui, la même chose. "Quand on est en train de couler dans le shaker, si on fait un demi-plan pour en sortir, on ne va pas sortir la tête de l’eau. Il faut un vrai plan qui ressemble vraiment à quelque chose." Avec, au menu, les trois mêmes revendications, présentes depuis le début de la mobilisation du Collectif Inter-Urgences : revalorisation salariale, ouverture de postes, et ouverture de lits… même si cela doit coûter cher. Toutefois, pour lui, cet argent ne serait pas perdu, car il générerait des économies par ailleurs. Mais surtout, la question des moyens est, selon lui, à mettre en regard avec celle de la situation que connaissent les services d’urgences. "Il y a des gens qui meurent sur des brancards à cause de cela, et la situation ne fera qu’empirer." La lutte doit donc continuer… mais ce sera sans l’infirmier de Lariboisière. "Il va y avoir des élections au collectif au mois d’avril, et je ne serai pas candidat", annonce-t-il. "Être dans le conflit pendant un an, c’est épuisant, tu penses toujours à ça, tu dois toujours être dedans. J’aimerais reprendre le cours de ma vie." Et ce cours risque de l’emmener assez loin : il évoque la Suisse, le Canada…" Ouvrons les yeux, l’évolution du climat social ne va pas dans le bon sens, j’ai envie de quitter ce pays", soupire-t-il. Faut-il y voir un regret ? Pas du tout. "Si c’était à refaire, je le referais : j’ai sacrifié un an de ma vie là-dedans, mais le combat est juste."


Un livre pour témoigner
Sobrement intitulé Urgences, le livre qu’Hugo Huon et le Collectif Inter-Urgences ont publié au mois de février est, avant tout, un témoignage sur la situation que vivent les professionnels au quotidien. 21 soignants – majoritairement des infirmières et des aides-soignants, mais le panel comprend aussi deux médecins – y livrent leur vécu et racontent leurs problèmes du quotidien : on y parle de l’insécurité, de l’épuisement professionnel, de la chasse aux lits d’aval, des rapports avec l’encadrement, des glissements de tâches ou encore de l’attractivité du métier.
Des récits faits pour alerter. Yves, infirmer au CHRU de Lille, raconte, par exemple, comment un patient a " timidement interpellé " l’équipe à propos de sa voisine de brancard. "Le monsieur nous a dit : 'Euh… excusez-moi… Je crois que la dame n’est pas très bien…' La patiente n’allait effectivement pas très bien. Elle était morte, sans que personne ne s’en aperçoive, sur un brancard, au milieu d’un couloir." Édouard, aide-soignant à l’hôpital Tenon à Paris, exprime, lui, son mal-être. "Au début de ma carrière, je pouvais encore prendre le temps. Maintenant, si j’arrive à consacrer cinq minutes pour discuter avec un patient, c’est vraiment le luxe", raconte-t-il.
"Cet ouvrage est un hommage à l’une des trop nombreuses catégories de sans-voix, les paramédicaux", écrit en introduction Hugo Huon, qui a recueilli tous ces témoignages. Et dans sa conclusion, l’infirmier tient à rendre hommage à tous ceux qui sont mobilisés depuis un an. "Le dynamisme des quelques petits milliers de paramédicaux formant l’Inter-Urgences me laisse pantois", avoue-t-il, avant d’expliquer quelques lignes plus tard que la solution à la crise ne saurait selon lui être que politique. " Le débat est véritablement citoyen ", estime-t-il. "Jusqu’où, individuellement, plaçons-nous le curseur de ce qui est admissible quand on parle de soin ? Est-il acceptable que des personnes décèdent dans un couloir avec, pour dernier échange, un "J’arrive" d’une soignante débordée ?" Poser la question, c’est y répondre…
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