Secteur 1 ou secteur 2 ? Ces jeunes généralistes qui ont le choix
Alors que les conditions d'accès au secteur 2 font débat, Egora s'est intéressé aux jeunes généralistes qui empruntent la voie du parcours universitaire post-internat. Si la majorité d'entre eux semblent privilégier une installation en secteur 1, des revendications émergent en faveur d'un accès au secteur 2 élargi pour la spécialité.
Le plus souvent, la question ne se pose même pas : dans la tête des patients, une consultation auprès d’un médecin généraliste est remboursée intégralement. Et pour cause : plus de 96 % des médecins généralistes exercent en secteur 1. La tendance n’est pas nouvelle, elle s’accentue même depuis le début des années 90. De là à dire qu’aucun médecin généraliste ne risque de s’aventurer vers le secteur 2 à l’avenir, rien n’est moins sûr.
Au départ, le sujet intrigue. "On nous pose plutôt des questions sur le type d’exercice, pas sur le choix du secteur", résume le Dr Kilian Thomas, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir). Le secteur 2 en médecine générale ? Circulez, il n’y a rien à voir. Créé dans les années 80, le secteur 2 avait pourtant attiré les médecins généralistes. Mais si 23 % d’entre eux pratiquaient les dépassements d’honoraires en 1989, ils n’étaient déjà plus que 14 % en 2000, après un durcissement des conditions d’accès.
Car pour y prétendre, comme n’importe quelle autre spécialité, c’est le titre qui compte : être praticien hospitalier à titre permanent ou avoir été chef de clinique des universités ou assistant des hôpitaux, autrement dit effectué un parcours universitaire post-internat. Mais en médecine générale, ils ne sont pas nombreux à emprunter cette voie : si plus de 3.000 postes d’internes sont ouverts chaque année, on ne dénombrait en 2022 que 42 professeurs universitaires (PU-MG), 47 maîtres de conférences universitaires (MCU-MG), 104 professeurs associés (PA-MG), 144 maîtres de conférences associés (MCA), 162 chefs de cliniques (CCU-MG) et 93 assistants universitaires (AUMG), selon les chiffres fournis par Reagjir. Pas étonnant, donc, que seulement 4 % des médecins généralistes soient conventionnés secteur 2.
"On a tendance à oublier la question du conventionnement parce qu’on sait qu’il y a des contraintes légales et administratives", explique Kilian Thomas. Et avec peu de moyens attribués aux départements de médecine générale pour développer les postes d’assistant ou de chef de clinique et une volonté de favoriser l’exercice libéral… c’est un peu le serpent qui se mord la queue.
"C’est vrai qu’il y a peu de postes de chef de clinique en médecine générale mais il y a aussi peu de candidats"
C’est après une année de recherche pendant son internat que le Dr Stéphane Bouxom a décidé de s’orienter vers un parcours universitaire. "C’était une suite logique, affirme le médecin généraliste. J’avais envie de travailler pour la faculté, c’était un moyen pour moi de poursuivre mon engagement auprès des étudiants, des internes et pour ma spécialité." Stéphane Bouxom obtient un poste de chef de clinique à l’université Jean Monnet à Saint-Etienne il y a cinq ans. La concurrence est loin d’être rude : "C’est vrai qu’il y a peu de postes de chef de clinique en médecine générale mais il y a aussi peu de candidats. Je crois que j’étais le seul à postuler." Aujourd’hui, il donne des cours deux jours par semaine mais envisage de devenir maître de conférence. "Ce n’était pas mon ambition au départ mais j’aime la pédagogie, être confronté à des questionnements, aux réflexions des étudiants. Je dois remettre constamment mes connaissances à jour et ça me plaît."
La pédagogie, c’est aussi ce qui a motivé la Dre Mathilde Cognet. "C’est pendant mon internat que j’ai découvert que la médecine générale était une spécialité assez jeune. Ça a été ma première motivation : contribuer à la faire évoluer. Alors après avoir passé ma thèse, en 2019, j’ai demandé un poste de chef de clinique où j’ai fait mes études, à l’Upec [Université Paris-Est-Créteil, NDLR] et je l’ai eu." Aujourd’hui, la spécialiste en médecine générale a quitté Créteil mais a conservé son statut de chef de clinique, désormais à l’université de Limoges.
Mais les deux chefs de clinique l’assurent d’emblée : ce n’est pas pour bénéficier du secteur 2 qu’ils ont opté pour un parcours universitaire. Selon eux, la question ne s’est même jamais posée. "Quand on est médecin généraliste, le secteur 2 ne me paraît pas logique", assure Stéphane Bouxom. Salarié d’un centre de santé près de Lyon, le médecin n’envisage pas de "valoriser financièrement" son activité universitaire. "Je gagne déjà 1.300 euros net par mois en tant que chef de clinique pour deux jours par semaine. Avec des consultations à 30 euros au cabinet, je rentre dans mes frais. Je ne me suis jamais dit que je ne m’en sortirai pas financièrement. Et je sais aussi que ma patientèle ne pourrait pas payer ces dépassements d’honoraires."
"Cela n’est pas légitime que l’activité de soin soit valorisée différemment que les médecins non-universitaires"
Pour Mathilde Cognet, c’est une question d’éthique. "Ce n’est pas au patient de trinquer. Nous sommes des médecins de premier recours et l’accès aux soins reste la valeur principale à mes yeux." D’ailleurs, la majorité de leurs collègues chefs de clinique, à Saint-Etienne, Créteil ou Limoges, n’exercent pas non plus en secteur 2. A Rouen, le directeur du département de médecine générale le confirme aussi : aucun de ses chefs de clinique n’a choisi ce secteur de conventionnement. Cohérent selon le Pr Olivier Saint-Lary : "La majorité des confrères universitaires exercent en secteur 1. La question centrale reste celle de l’accès aux soins et elle est complexe à faire cohabiter avec des dépassements d’honoraires." Le président du CNGE juge lui aussi que la valorisation d’un engagement universitaire ne doit pas passer par un conventionnement différent. "L’accès au secteur 2 pour les médecins généralistes n’est pas un combat, c’est plutôt antinomique avec nos valeurs et ça acterait une différence entre les médecins généralistes universitaires et les autres. C’est normal que les chefs de clinique soient rémunérés par l’université pour leur activité d’enseignement et de recherche mais cela n’est pas légitime que l’activité de soin soit valorisée différemment que les médecins non-universitaires. On fait tous le même métier avec nos patients, c’est normal que la rémunération soit la même."
La jeune génération semble d’ailleurs du même avis. A l’Isnar-IMG, à la faveur des débats entourant la quatrième année d'internat de médecine générale, la question a été soulevée : l’année de docteur junior pourrait faciliter l’accès à l’assistanat donnant le droit d’exercer en secteur 2 ? "On a fait plusieurs enquêtes et on a constaté que ça n’a jamais été une demande des internes, tranche Atika Bokhari, présidente de l’Isnar-IMG. Tout simplement parce que ça ne correspond pas à leur volonté d’exercice futur. Le dépassement d’honoraires n’a aucun sens à nos yeux. Le projet d’enseignement et de recherche n’est pas en lien avec l’exercice en secteur 2."
Pourtant, le choix du conventionnement va parfois au-delà de la carrière universitaire. Il y a un peu plus de 10 ans, la Dre Sandrine N.* quittait son poste de praticien hospitalier en médecine d’urgence à l’hôpital pour s’installer en Isère comme médecin généraliste. "J’ai alors dû faire le choix d’une installation en secteur 1 ou 2. Ça a été une réflexion difficile : je n’avais jamais demandé à être payée par mes patients, alors le faire dans un secteur différent par rapport aux autres médecins généralistes m’était très inconfortable." Elle décide finalement d’opter pour le secteur 2 Optam "pour permettre à [ses] patients d’être remboursés et avec des compléments d’honoraires modérés", quitte à repasser en secteur 1 plus tard – l’inverse n’étant pas possible. "Le secteur 2 m’a permis de pratiquer la médecine éthique et consciencieuse que je souhaitais sans modifier mes pratiques au profit d’objectifs variables et décidés unilatéralement." La généraliste estime ne pas être plus gagnante financièrement grâce au secteur 2 mais "faire payer à [ses] patients les actes réalisés à hauteur de la complexité et du temps consacré". Sandrine N. s’est ainsi formée au diagnostic et à l’accompagnement des troubles du neuro-développement. Et ses dépassements d’honoraires lui permettent seulement de voir un peu moins de 30 patients par jour.
Une consultation à 52 euros en moyenne
Selon les derniers chiffres publiés par la Carmf en 2023, les bénéfices non commerciaux des médecins généralistes sont même supérieurs en secteur 1 par rapport au secteur 2 (76.879 € en moyenne en secteur 1 contre 67.107 € en secteur 2). Quant au rapport du HCAAM sur les dépassements d’honoraires, il précise que les médecins généralistes pratiquent les plus faibles taux de dépassement en secteur 2 : 38 % en moyenne, soit une consultation à 52 euros. "Je ne fais toujours pas régler certains actes et mes patients CMU et ACS sont soignés avec autant d’attention que les autres. Il faut arrêter de penser que les médecins généralistes font le choix du secteur 2 par simple avidité", plaide Sandrine N.
Par avidité non, mais pour lutter contre les déserts médicaux, peut-être. En janvier dernier, la Conférence des doyens de médecine, appuyée par l’Isni, l’Anemf et l’Ordre des médecins, a proposé la création d’un statut d’assistant territorial pour pallier les difficultés d’accès aux soins. Ces assistants "pourraient exercer dès la fin de leur internat en bénéficiant d’une prime d’exercice territorial spécifique. Ils bénéficieraient au terme de leur assistanat d’avantages statutaires leur permettant un accès au secteur 2 régulé Optam". Une mesure "attractive", selon les doyens de médecine.
Issu du plan de lutte contre les déserts de François Bayrou, un "statut de praticien territorial de médecine ambulatoire" a bien été intégré au PLFSS 2026. Il doit permettre aux jeunes généralistes de bénéficier durant les premières années de leur installation dans une zone prioritaire définie par l'ARS d'une rémunération complémentaire. En contrepartie, ils devront participer à des "actions" en matière d'accès aux soins, de permanence et de continuité des soins et contribuer à l'enseignement et à la formation universitaire en médecine générale. Mais ce statut n'a pas vocation à permettre l'accès au secteur 2.
"Aujourd’hui, le seul moyen de préserver le système universaliste, c’est le secteur 2, sinon, tout le monde va se déconventionner"
De son côté, le syndicat Jeunes Médecins milite en faveur d’un "secteur 2 unique". "Nous sommes des médecins mais aussi des chefs d’entreprise : on a besoin de matériel, de consommables, de locaux et si on veut soigner les gens, être au service du patient, il faut investir. Malheureusement, les tarifs imposés par la Sécurité sociale ne sont pas adaptés", estime la Dre Anna Boctor, présidente de Jeunes Médecins. D’après elle, "les dépassements scandaleux sont marginaux" et les "fantasmes" autour du secteur 2 persistent. "Aujourd’hui, le seul moyen de préserver le système universaliste, c’est le secteur 2, sinon, tout le monde va se déconventionner." Un vrai risque pour Moktaria Alikada, présidente de Médecins pour Demain. "Que ce soit pour accompagner un adolescent dépressif, pour parler contraception et consentement ou pour suivre un patient atteint d’un cancer, on aurait besoin de 30 minutes de consultation. On voudrait faire de la qualité mais on ne nous laisse pas faire", pointe le médecin généraliste, conventionnée secteur 1. Dans son cabinet, Moktaria Alikada accueille régulièrement des étudiants en médecine. "Je voulais leur montrer toute la diversité de notre métier. Les externes ont adoré mais elles m’ont dit que pour 30 euros, elles préféraient exercer à l’étranger..., déplore-t-elle. On est attaché au paiement à l’acte mais si le secteur 2 existe c’est parce que l’acte n’est pas assez rémunéré. Et un acte faible favorise l’abattage. Plus ça s’aggrave et moins les jeunes auront envie de s’installer."
La tentation du déconventionnement
Mais avec les différentes contraintes évoquées par le PLFSS pour le secteur 2, et l’exercice libéral de manière générale, c'est le conventionnement qui est remis en cause. "Les médecins sont conventionnistes, on a tous une fibre sociale, on s’intéresse à nos patients et on n’a pas envie qu’ils renoncent aux soins mais les médecins aimeraient que la convention soit plus équilibrée", souligne le Dr Richard Talbot, trésorier de la FMF-Gé. D’après le représentant syndical, si le secteur 2 n’est pas si intéressant, "le secteur 3 le serait davantage". "C’est tout un calcul, appuie Kilian Thomas, de Réagjir. On achète sa liberté vis-à-vis de l’Assurance maladie."
Mais pour l’ISNAR-IMG, le déconventionnement n’est pas une solution. Tout comme favoriser l’accès au secteur 2 pour les médecins généralistes ne rendra pas la spécialité plus attrayante selon Kilian Thomas. "Aujourd’hui, promouvoir le secteur 2 en médecine générale, ce n’est pas le bienvenue et en même temps, le secteur 1 perd de l’élan. On se retrouve coincé." D’après le président de Réagjir, il serait peut-être temps de s’interroger sur la place du secteur 2 en médecine générale : "Qu’est-ce qu’il représente pour la jeune génération ? Ce n’est pas prioritaire mais il faudrait y penser."
Plusieurs options pourraient être mises sur la table : un secteur unique à honoraire librement modulable pour la FMF-Gé : "Un secteur 1 pour tout le monde et des dépassements pour une partie des actes", précise Richard Talbot. Au contraire, un secteur 1 revalorisé "pour soigner beaucoup de patients et correctement", plaide l’Isnar-IMG. "On est montré comme ceux qui veulent du fric mais c’est tellement loin de la réalité. On veut être au service de l’accès au soin, c’est ce pour quoi on choisit la médecine générale", rétorque Atika Bokhari. Un avis partagé par MG France, le premier syndicat des médecins généralistes. "On ne peut pas accepter d’être maltraité et on comprend que les jeunes ne veulent plus jouer à ce jeu-là. Mais le secteur 2 n’est pas une solution, c’est bancale : ça oblige les patients à financer nos revenus, ce n’est pas conforme à nos engagements vis-à-vis de la Sécurité sociale", résume le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France.
Mathilde Cognet préfère quant à elle relativiser. "Il ne faut pas oublier que notre patron, c’est la Sécurité sociale et c’est elle qui nous permet d’avoir de l’argent tous les mois plutôt que de dépendre de nos patients. Oui, on a l’impression de nous faire taper dessus constamment mais je pense qu’on n’est pas les plus à plaindre. Je crois qu’il fait être humble parce que c’est un peu la honte." Le débat reste ouvert.
*Le prénom a été modifié pour conserver l’anonymat.
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