Réforme du système de santé : "Ce n'est pas en contraignant les seuls médecins libéraux qu'on y arrivera"
Alors que l'instabilité politique semble s'être installée durablement, la médecine libérale accuse le coup : report des revalorisations tarifaires, exercice contraint par le politique, coups de rabot... Le président de la CSMF, le Dr Franck Devulder, appelle, dans un entretien accordé à Egora, à la responsabilité de tous, et défend une réforme du système de santé basée sur la qualité et la pertinence des soins. Un discours que le gastroentérologue défendra lors des Universités d'été de la CSMF, du 2 au 4 octobre à Avignon.
Egora : A l'occasion de son premier déplacement, le nouveau Premier ministre a annoncé la création d'un "réseau de 5000 sites France santé" à l'horizon 2027, sans entrer plus dans le détail à l'heure où nous réalisons cet entretien. Saluez-vous cette annonce ? Qu'en attendez-vous ?
Dr Franck Devulder : Je salue le fait que la première sortie du Premier ministre ait concerné la santé. Le contraire aurait été très choquant car il s'agit d'une préoccupation majeure de nos concitoyens. Aujourd'hui, nous faisons face à un problème d'accès aux soins et à un problème financier. Quand on regarde la démographie de la population et celle des professions médicales et paramédicales, il y a de quoi s'inquiéter. Depuis 1980, nous avons gagné 15 millions d'habitants. Notre système de financement de la santé, basé sur la solidarité intergénérationnelle, se casse la figure, entre autres du fait de la dénatalité et du rapport au travail qui a changé dans tous les secteurs. Si on ne résout pas ces deux problématiques, on va droit dans le mur.
Les propositions du Premier ministre méritent d'être précisées. Son message est très trouble. Il souhaite créer 5 000 centres, [accessibles] à moins de 30 minutes de chaque Français. Mais combien Français sont réellement à plus d'une demi-heure de route du premier généraliste ? Je m'interroge aussi sur le choix de faire cette déclaration dans un centre de santé, et sur le positionnement du Premier ministre sur ces structures. Les services de Matignon ont-ils lu les rapports de l'Igas et de la Cour des comptes ? La production de soins y est moindre, la moitié d'entre eux sont en déficit. Si le Premier ministre souhaite créer à grands frais des centres de santé partout, financés par des fonds publics, et ce alors que le pays vit une situation économique inédite, c'est de la folie furieuse.
Le nouveau Gouvernement devra présenter cet automne son projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Quelles sont les priorités ?
Le PLFSS doit répondre à deux enjeux selon moi. D'abord, prendre le virage de sa pluriannualité. Parce qu'on ne mènera pas une vraie politique de prévention sans une vision pluriannuelle. Ensuite, il faut un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) minimum pour faire face aux défis d'aujourd'hui et de demain (vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, etc.). Il faut par ailleurs intégrer plusieurs mots clés dans ce texte : responsabilité, pertinence, qualité.
La responsabilité ne doit pas être celle des seuls médecins, mais de tout le monde. Je suis gastroentérologue. La semaine dernière, j'ai reçu un patient atteint d'un problème digestif. Celui-ci avait demandé à son médecin un deuxième avis. Or, j'ai appris que non seulement un premier avis avait été rendu à cet homme mais que cela avait fait l'objet d'une décision pluridisciplinaire en réunion de concertation. Est-ce à l'Assurance maladie ou à sa complémentaire de payer ce second avis ? Je ne crois pas. C'est ça pour moi la responsabilité, qui est aussi celle des soignants. On voit bien que le virage pris sur la qualité et la pertinence n'est pas le bon.
Si ces mots clés ne sont pas inscrits dans le PLFSS, ne rêvons pas, le mot d'ordre sera le coup de rabot, comme celui que subit actuellement l'imagerie médicale. Si on baisse les tarifs d'un exercice, soit vous augmentez votre production soit vous baissez vos charges en réduisant vos amplitudes horaires et la masse salariale. Et qui trinque à la fin ? L'usager.
Les PPL Mouiller et Garot sont par ailleurs toujours en suspens. Elles doivent être inscrites à l'agenda de l'Assemblée pour la première, et du Sénat pour la seconde. Craignez-vous un nouveau revers pour la médecine libérale ?
C'est évidemment une crainte. Nous connaissons le contexte, et j'entends l'idéologie que peuvent défendre les uns et les autres. Mais je pense que c'est tous ensemble qu'on y arrivera, pas en punissant ou en contraignant les seuls médecins libéraux alors qu'on a des offres d'emploi partout. Ils vont juste aller ailleurs, là où l'herbe est plus verte. Dans sa version initiale, la PPL Mouiller prévoyait que le médecin qui s'engage, parce qu'il participe à la PDSA, fait des consultations avancées, ou est maître de stage, ait un espace de liberté tarifaire. A la CSMF, nous soutenons ce principe, qui pourrait être solvabilisé par les complémentaires. Cette disposition a été supprimée. C'est invraisemblable.
Dans son dernier rapport Charges et produits, la Cnam a dit vouloir s'attaquer aux "rentes économiques" dans la santé (radiologie, biologie, dialyse...). La lutte contre la financiarisation du secteur doit-elle en passer par là ?
Je travaille en établissement de santé. Je vois apparaître depuis des années des fonds financiers dans les cliniques. Il faut néanmoins distinguer les effets pervers de la financiarisation du nécessaire financement de notre système de protection sociale. On a besoin de financements extérieurs. Or, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. On ne peut pas demander à un fonds d'investissement étranger qui achète un cabinet de radiologie de faire ça pour la beauté du geste. On ne vit pas dans un monde de bisounours.
En revanche, pointer du doigt une ou des professions en disant que leurs émoluments sont trop importants est une mauvaise stratégie qui ne génère que des crispations. Je me moque qu'un chef d'entreprise gagne très bien sa vie si le service à la population est rendu. Si vous baissez la "rente" – qui est un mot à bannir – par le biais d'un coup de rabot, vous faites perdre aux patients l'accès à la technologie de pointe, il ne faut pas rêver. C'est vrai partout, pas seulement dans les lieux financiarisés.
Un projet de loi que s'apprêtait à présenter l'ancien gouvernement prévoit de supprimer la possibilité pour le médecin d'éviter une mise sous objectifs (MSO) de ses prescriptions d'arrêt de travail en optant pour une mise sous accord préalable (MSAP). Une disposition que vous allez combattre en cas de reprise par le nouvel exécutif...
Nous avons toujours conseillé aux médecins de refuser les MSO. Parce que quand vous acceptez une mise sous objectif, d'abord, vous reconnaissez votre faute, mais vous acceptez aussi l'automaticité de la sanction. Si vous dépassez votre objectif, vous prenez un coup dans les reins.
Le problème pour le Gouvernement, ce sont les arrêts de travail de longue durée, car c'est ce qui coûte le plus cher. On se souvient de la déclaration de François Bayrou qui estimait que 50% des arrêts de travail de plus de 18 mois sont des arrêts abusifs... Il y a certainement des confrères qui ont le crayon facile ; remettons les dans le droit chemin. Mais on ne peut pas pointer du doigt les seuls médecins libéraux en leur disant que c'est leur faute. La diminution du taux de chômage, couplée à l'augmentation des salaires, fait que, mécaniquement, il y a plus de personnes qui travaillent et donc plus de personnes en arrêt de travail.
Aussi, quand vous interrogez les médecins prescripteurs, certains vous disent qu'ils rencontrent des difficultés, parfois, à stopper un arrêt long. Un exemple : un confrère a reçu une jeune femme qui a eu un cancer du sein. Elle est considérée comme en rémission complète, mais elle a des effets secondaires digestifs des chimiothérapies qu'elle a reçues, qui font qu'elle a des diarrhées incoercibles et incontrôlables. Comment voulez-vous que cette personne reprenne le boulot ? Il faut que le service du contrôle médical de l'Assurance maladie vienne au secours des médecins. Il est du devoir du payeur, non pas de sanctionner le patient, mais de le recevoir afin d'identifier la meilleure solution pour lui et pour les finances publiques.
Les revalorisations tarifaires des médecins spécialistes qui devaient intervenir en juillet ont été repoussées à janvier 2026. Peut-on craindre un nouveau report du fait du contexte économique particulièrement tendu ?
Non, sauf si le comité d'alerte se réunit d'ici la fin de l'année et tire à nouveau la sonnette d'alarme, conduisant le Gouvernement à différer les dates d'application des mesures tarifaires. C'est arrivé cette année. Ce n'était pas arrivé depuis 2007. C'est une mesure rarissime. Il est par ailleurs possible que le nouveau Gouvernement ne parvienne pas à livrer son projet de loi de finances et son projet de loi de financement de la Sécurité sociale au Parlement à temps. Dans ce cas, on tombe sous le régime de la loi spéciale, dans lequel toutes les promesses déjà signées sont prises en compte (la convention y serait donc intégrée).
Le pacte conventionnel a-t-il été endommagé par ce premier report ?
Evidemment. Le message qui nous a été envoyé c'est : 'en un trait de plume, on efface tout'. Rien n'empêchait nos tutelles de dire 'ok, la loi nous oblige à cette automaticité, mais on va demander aux partenaires conventionnels de réécrire un calendrier d'application'. Ça aurait été beaucoup mieux. Il y a un problème budgétaire national mais on [les médecins] ne peut pas être responsables de tout.
On a quand même mis plus de deux ans pour parvenir à cette convention. Et heureusement que nous l'avons signée. Je ne dis pas que la convention médicale, c'est parfait, j'ai toujours dit que c'était le point de départ d'une ère nouvelle. Mais si nous n'avions pas eu de convention, les médecins auraient toujours une consultation à 26,50 euros, aucune spécialité clinique ne serait revalorisée, et les travaux de la CCAM seraient à l'arrêt.
Une mission parlementaire est en cours sur les dépassements d'honoraires. Par ailleurs, de nombreux médecins ont manifesté leur volonté de sortir de l'Optam au vu des nouveaux avenants. Quelle issue pour le secteur 2 ?
Aujourd'hui, si l'on parle du secteur 2 et s'il y a des crispations sur ce sujet, c'est parce que certains – l'UFC-Que Choisir notamment – tirent à boulet rouge sur ce secteur. Il y a parfois des pratiques tarifaires qui sont dingues, c'est vrai, mais 90% des médecins appliquent le tact et la mesure. Est-ce que le secteur 2 est, comme on peut l'entendre, un frein à l'accès aux soins ? Je ne dis pas qu'il n'y a pas de renoncement aux soins, mais on n'a pas la réponse à cette question.
Il y a pour moi deux problèmes. D'une part, c'est que le nombre d'installation en secteur 2 augmente de façon très importante. Les plus jeunes se rendent compte que le tarif opposable de la coloscopie, pour prendre cet exemple, n'a pas bougé depuis 35 ans. Ils veulent préserver leurs arrières : je les comprends ! Les conditions d'accès aussi ont changé. A l'époque, elles étaient très restrictives. Il s'agissait d'un secteur d'excellence. Aujourd'hui, la multiplicité des postes de post-internat fait que le nombre de confrères pouvant accéder au secteur 2 est devenu plus important.
A la CSMF nous tenons au secteur 2. Nous pensons qu'il doit être maintenu mais qu'il faut réviser les conditions d'accès. On ne peut pas admettre que 80-90% des futures générations de médecins choisissent le secteur 2. On fissurerait le pacte social et le politique prendrait la décision de le fermer.
Où en est la refonte de la classification commune des actes médicaux (CCAM) ?
La plupart des familles d'actes ont fini leur travail de hiérarchisation interne à la spécialité, à la famille. On va comparer la valorisation d'un acte technique à celle d'un acte technique qui s'en rapproche, pour s'assurer d'une forme de cohérence. J'ai toutefois attiré l'attention du directeur général de la Cnam et du secrétaire général du Haut Conseil des nomenclatures, le Dr François Krabansky, sur le fait qu'un certain nombre de conseils nationaux professionnels ont été surpris de la désignation des experts par l'Assurance maladie, parfois inconnus des sociétés scientifiques de profession.
On peut regretter aussi que l'enveloppe [provisionnée pour la revalorisation des actes techniques une fois la révision de la nomenclature terminée, NDLR] soit contrainte, 240 millions d'euros. Quand on voit que l'ensemble des actes de la CCAM coûte 14 milliards d'euros par an, 240 millions, c'est l'épaisseur du trait…
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